Le Vietnam devrait investir à long terme dans la protection et les soins de la santé mentale des enfants

Nhân Dân en ligne – La pandémie de COVID-19 a entrainé des effets néfastes sur la santé mentale et le bien-être des enfants et des adolescents. Sur ce sujet, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) vient de publier un rapport intitulé « La situation des enfants dans le monde 2021. Promouvoir, protéger et prendre en charge la santé mentale des enfants ». À cette occasion, Mme Rana Flowers, représentante en chef de l’UNICEF au Vietnam, nous a accordé une interview.

Mme Rana Flowers, représentante en chef de l’UNICEF au Vietnam, lors d'une mission dans la province de Kon Tum. Photo : NDEL
Mme Rana Flowers, représentante en chef de l’UNICEF au Vietnam, lors d'une mission dans la province de Kon Tum. Photo : NDEL

Que pensez-vous de la santé mentale des enfants durant la pandémie de COVID-19 ?

Rana Flowers : Avant même que la pandémie ne survienne, les risques de troubles mentaux sont apparus. Mais tout comme les violences familiales, la pandémie a mis en évidence l’importance de la santé mentale et nous a conduits à nous poser la question : que faire pour prendre soin de notre santé psychologique ?

En effet, le COVID-19 a engendré des défis inédits pour nous tous, mais surtout pour les enfants et les adolescents. Leur santé mentale est profondément affectée par leur environnement et leurs conditions de vie, leurs expériences avec leurs parents et les personnes qui s’occupent d’eux, les liens qu’ils entretiennent avec leurs amis et les occasions qu’ils ont de jouer, d’apprendre et de grandir.

Si la pandémie nous a enseigné une chose, c’est que, comme beaucoup d’adultes, nos enfants ressentent également les effets du COVID-19 sur leur santé mentale et leur bien-être, mais il faudra des années pour avoir une image complète et entière de l’ampleur des conséquences.

En raison des longues périodes de confinements et des restrictions de déplacements dues à la pandémie, les 18 mois qui viennent de s’écouler ont été très longs pour les enfants. Jour après jour, ils se sont vu voler une vie à laquelle ils étaient autrefois habitués. Cloîtrés loin de leurs proches, de leurs amis et des salles de classe, sans pouvoir se consacrer à des activités extrascolaires, ils ont ainsi été privés des aspects essentiels de l’enfance. Beaucoup d’entre eux sont même bloqués chez eux avec une personne violente. Dans le monde et au Vietnam, la pandémie a généré chez de nombreux enfants et jeunes un sentiment de peur, de solitude et d’inquiétude pour l’avenir.

Avant même que la pandémie ne survienne, bien trop d’enfants et de jeunes souffraient déjà de problèmes de santé mentale. Les attentes trop élevées des parents, les pressions familiales et scolaires, les conflits entre les parents, les coutumes sociales (dont le mariage précoce), l’exposition accrue aux dangers du web, telles sont quelques-uns parmi les facteurs qui peuvent contribuer aux risques de troubles mentaux et psychosociaux. Tout cela peut conduire à l’isolement social, l’inquiétude, l’angoisse, la détresse, le désespoir et même les pensées d’automutilation ou de suicide.

Que doivent faire les parents pour prendre soin de la santé mentale de leurs enfants ?

Rana Flowers : Durant la pandémie de COVID-19, de nombreux parents et personnes s’occupant d’enfants ont vu leur santé mentale décliner. Ils sont les premiers à avoir besoin d’aide. En effet, les parents doivent d’abord prendre soin d’eux-mêmes et s’équiper des connaissances sur la santé mentale pour pouvoir apprendre aux enfants à identifier, à comprendre et à faire face à leurs émotions.

Pour que les enfants se sentent heureux et en bonne santé mentale, les parents doivent être plus attentifs. L’important est de trouver un équilibre en termes de répartition du temps de travail et du temps passé avec les enfants et de pouvoir faire des pauses. Ignorez vos téléphones portables pendant le repas avec vos enfants ! Écoutez-les sans juger. Notez les changements comportementaux récents chez vos enfants.

De plus, nous pouvons créer des occasions permettant la connexion entre les enfants et leur entourage pour qu’ils puissent se sentir utiles, valorisés et respectés des autres. Dès le retour à la normale après la pandémie, il faut que les parents favorisent les activités extrascolaires des enfants au lieu de mettre trop de pression scolaire sur leurs épaules.

Quelles recommandations l’UNICEP a-t-elle pour le gouvernement vietnamien sur ce sujet ?

Rana Flowers : Le gouvernement joue un rôle primordial dans la protection de la santé mentale de la population et dans la formation des générations vietnamiennes plus fortes et plus heureuses pour obtenir un avenir meilleur et plus brillant.

Il est crucial que le gouvernement vietnamien investisse davantage dans les services de soins de santé mentale. Le Vietnam nécessitera une stratégie nationale sur la santé mentale des enfants et des adolescents. Cette stratégie devra fournir des soutiens à la parentalité pour aider les parents à faire face au développement émotionnel et comportemental de leurs enfants, à renforcer leurs habiletés parentales et à améliorer la communication parents-enfants.

L’école est également un déterminant majeur dans la santé mentale des enfants. Il faut assurer le droit des enfants d’apprendre dans un environnement scolaire sûr et non menaçant. Pour ce faire, il est important d’intégrer la formation en santé mentale dans les programmes de formation des enseignants et le développement professionnel. Avec les connaissances nécessaires, les enseignants remarqueront chez leurs élèves des signes et symptômes de troubles de santé mentale. Les écoles peuvent créer des équipes de soutien scolaire offrant des ressources utiles aux élèves et à leurs familles.

Au Vietnam, il n’y a pas encore beaucoup de psychiatres, de psychologues de l’enfance et de l’adolescence et d’intervenants sociaux. Le gouvernement doit promouvoir le développement de ces métiers.

— Merci Madame !

Selon une enquête menée en 2017 dans une dizaine de provinces et villes vietnamiennes, 12 % des enfants recensés souffrent de troubles mentaux, c’est-à-dire que plus de trois millions d’enfants ont besoin de soutien psychologique et psychosocial. La plupart d’entre eux ont déclaré ressentir de l’inquiétude, de la dépression, de la solitude, un manque de concentration et de l’hyperactivité. Le taux de suicide chez les jeunes vietnamiens est cependant inférieur au taux moyen du reste du monde.

Publié en octobre, le rapport « La situation des enfants dans le monde 2021 » de l’UNICEF annonce que les enfants et les jeunes pourraient ressentir les effets de la pandémie du COVID-19 sur leur santé mentale et leur bien-être pendant de nombreuses années.

D’après les plus récentes estimations mondiales disponibles, plus d’un adolescent sur sept, âgé de 10 à 19 ans, vivrait avec un trouble mental diagnostiqué. Chaque année, près de 46 000 adolescents se suicident, ce qui en fait l’une des cinq principales causes de décès pour cette tranche d’âge. Parallèlement, des écarts significatifs persistent entre les besoins en matière de santé mentale et les financements consacrés à cette problématique. D’après le rapport, seuls 2 % environ des budgets publics alloués à la santé sont affectés à la santé mentale dans le monde.

L’UNICEF a appelé à investir de toute urgence dans la santé mentale des enfants et des adolescents dans tous les secteurs, et pas seulement celui de la santé, afin de soutenir une approche de la prévention, de la promotion et des soins qui mobilise l’ensemble de la société. « La santé mentale fait partie intégrante de la santé physique. Nous ne pouvons pas continuer à la considérer autrement. Nous avons trop longtemps négligé, tant dans les pays riches que dans les pays pauvres, l’importance de comprendre cet enjeu et d’investir suffisamment dans ce domaine, alors même qu’il joue un rôle crucial dans la pleine réalisation du potentiel de chaque enfant. Cela doit changer », a déclaré la directrice générale de l’UNICEF, Henrietta Fore.