Réveiller la valeur des forêts
grâce aux crédits carbone

Les crédits carbone forestiers s’imposent désormais comme une « unité de valeur » nouvelle de l’économie verte, ouvrant une source de financement pour l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Fort de l’atout que représentent ses forêts tropicales et de sa volonté réformatrice, le Vietnam a l’opportunité de transformer chaque forêt en une véritable « banque verte » au service des moyens de subsistance des communautés, où la valeur environnementale se convertit en valeur économique.
À mesure que le marché du carbone se structure, la forêt n’apparaît plus seulement comme le poumon de la planète, mais aussi comme un socle pour la croissance verte et le développement durable du pays.
Face à cette dynamique, la série d’articles intitulée « Crédits carbone forestiers - Une opportunité en or pour le Vietnam dans sa stratégie de croissance verte », se propose d’expliquer le mécanisme de fonctionnement du marché du carbone, d’analyser son potentiel ainsi que les conditions permettant au Vietnam de mobiliser les ressources financières vertes issues des forêts ; elle met également en lumière le rôle des institutions, de la science et des communautés dans le processus visant à ériger la forêt en pilier de l’économie verte de demain.
Les crédits carbone ne relèvent pas uniquement d’une problématique environnementale.
Ils sont en passe de devenir une nouvelle catégorie d’actifs dotés d’une valeur économique considérable.
Dans un contexte de transition vers l’économie circulaire, de développement durable et d’engagement en faveur du Net Zéro, c’est le moment opportun pour le Vietnam de réveiller la valeur de ses forêts et de faire des crédits carbone forestiers un moteur de développement durable.
Quand la « ressource invisible » se voit attribuer un prix
Alors que le Vietnam s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, le développement d’un marché du carbone apparaît comme une exigence incontournable.
Les crédits carbone issus des forêts, longtemps considérés comme des actifs immatériels, voient désormais leur valeur se préciser de manière plus tangible.
Selon Nguyen Dinh Tho, vice-directeur de l’Institut de stratégie et de politique en matière d’agriculture et d’environnement, l’engagement Net Zéro représente une opportunité pour le Vietnam de redéfinir son image en tant que pays responsable à l’échelle mondiale, mais pose aussi un défi majeur en matière de ressources financières et institutionnelles.
Il souligne que, pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions, le pays doit développer simultanément trois piliers essentiels : la finance verte, la technologie verte et la capacité institutionnelle et humaine à absorber et exploiter ces technologies.
À ce jour, le maillon le plus faible reste la gouvernance et le capital humain nécessaire à la mise en œuvre de ces mécanismes financiers et technologiques.
De son côté, Nguyen Tuan Quang, directeur adjoint du Département du changement climatique au ministère vietnamien de l’Agriculture et de l’Environnement, estime que le développement du marché du carbone constitue l’un des leviers stratégiques pour atteindre les objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre du Vietnam.
Les crédits carbone forestiers joueront, selon lui, un rôle clé dans les échanges à venir entre les acteurs émetteurs et les entités capables d’absorber le carbone.
Toujours d’après Nguyen Dinh Tho, les instruments carbone se sont développés dans le monde depuis plus de vingt ans, suivant deux principales approches : la taxe carbone et le marché carbone.
À la mi-année 2025, on dénombre 38 systèmes d’échange de quotas d’émission (ETS) en activité, couvrant environ 23 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, contre seulement 5 % en 2005.
Sur les marchés développés, tels que le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS) ou le marché suisse, le prix du carbone a parfois atteint environ 90 euros la tonne (soit près de 120 dollars) et jusqu’à 120 francs suisses la tonne (environ 150 dollars).
Cela reflète la ferme détermination politique des pays européens à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Selon Nguyen Tuan Quang, le Vietnam a achevé les préparatifs nécessaires pour piloter le fonctionnement d’une plateforme d'échange de crédits carbone dès 2025 et la mettre en service officiellement à partir de 2028.
Le ministère vietnamien de l’Agriculture et de l’Environnement, quant à lui, a travaillé en étroite collaboration avec les secteurs et organismes concernés pour définir clairement le rôle des différentes parties : les émetteurs, les entités d’absorption, les intermédiaires de transaction et le mécanisme de partage des bénéfices.
Betty Palard, conseillère en politiques climatiques et énergétiques à l’Institut Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), a souligné que le Vietnam disposait de nombreux atouts naturels pour devenir l’un des pays pionniers d’Asie du Sud-Est dans le développement des crédits carbone forestiers.
« L’essentiel pour le Vietnam est de mettre en place un système MRV (Mesure, Rapport et Vérification) fiable, tout en établissant un mécanisme clair de partage des bénéfices tirés des crédits carbone au profit des communautés locales. Si ces conditions sont réunies, le pays pourra attirer des financements internationaux du carbone et promouvoir des moyens de subsistance durables », a-t-elle précisé.
Le professeur associé Nguyen Dinh Tho a, de son côté, insisté sur le rôle crucial du signal-prix dans la régulation du marché :
« Une fois le prix du crédit carbone établi, les entreprises devront choisir : investir dans des technologies propres pour réduire leurs émissions et vendre des crédits, ou continuer à émettre et devoir en acheter. C’est là la logique de fonctionnement de l'économie de marché face au changement climatique ».

Du plan politique aux actions réelles
Ne se limitant pas à un cadre politique, le Vietnam a pris des mesures concrètes. Un exemple typique est la Coopérative de sylviculture durable de Cao Quang, située dans le district de Tuyen Hoa, province de Quang Binh (désormais désignée comme la commune de Tuyen Hoa, province de Quang Tri, au Centre du Vietnam).
Cet établissement pionnier qui a fait lui-même la mesure et la vérification de la quantité de carbone absorbée par la forêt, et qui a commencé à accéder au marché mondial.
Nguyen Quang Huy, président de la Coopérative de sylviculture durable de Cao Quang témoigne : « Nous avons près de 600 hectares de forêt certifiée FSC. Après avoir reçu des conseils et un soutien technique, nous avons nous-mêmes mesuré la quantité de carbone absorbée, et nous avons désormais établi des dossiers avec des partenaires étrangers. Cela nous aide non seulement à comprendre la valeur réelle de la forêt, mais ouvre également de nouvelles voies de subsistance pour les ménages locaux. »
Selon les calculs, un hectare de forêt plantée peut absorber en moyenne 5 à 10 tonnes de CO2 par an.
S'il est certifié et négocié à un prix courant de 10 à 20 dollars par tonne, 100 hectares de forêt peuvent générer des revenus annuels de plusieurs dizaines de milliers de dollars pour la communauté, ce qui est bien supérieur aux bénéfices tirés de l'exploitation forestière traditionnelle.
Le professeur associé, docteur Nguyen Dinh Tho estime :
Cela montre que la valeur économique des forêts peut être quantifiée en termes de carbone ; si la gestion est efficace, les crédits carbone forestiers peuvent devenir une source de revenus stable, contribuant à l’éradication de la pauvreté et à la création de moyens de subsistance durables pour les populations montagnardes.
Cependant, la mise en œuvre sur le terrain révèle également un problème important : le cadre juridique et le mécanisme de partage des bénéfices doivent encore être clarifiés.
M. Huy recommande : « Nous espérons vivement que l’État publiera rapidement des directives précises sur la répartition des bénéfices issus des crédits carbone – entre les habitants, les coopératives et les intermédiaires. Sans transparence et ouverture dès le départ, il est très facile que des conflits apparaissent et que la confiance soit perdue. »

Le professeur associé, docteur Nguyen Dinh Tho analyse : selon le Rapport sur les Contributions Déterminées au niveau National (NDC) mis à jour en 2022, le Vietnam prévoit d’émettre plus de 900 millions de tonnes selon le scénario courant ; l’engagement est de réduire les émissions de 15,8 % de manière inconditionnelle et de 43,5 % avec un soutien international. Dans le secteur de l’énergie, le coût marginal pour réduire une tonne de CO₂ est d’environ 150 USD ; dans l’agriculture, le coût final peut atteindre 300 USD par tonne.
Actuellement, les crédits carbone issus de l’agriculture et de la foresterie ne se vendent sur le marché volontaire qu’à un prix oscillant entre 1 et 1,6 USD la tonne.
« Si nous vendons des crédits à bas prix sans pouvoir respecter nos engagements de réduction des émissions, le Vietnam pourrait devoir dépenser jusqu'à 300 USD par tonne pour compenser », a-t-il souligné.
C’est pourquoi la valorisation des crédits carbone doit être indexée sur les coûts réels, afin de garantir la faisabilité des CDN.
Selon Nguyen Dinh Tho, les instruments de tarification du carbone se déclinent principalement en deux approches : la taxe carbone, d’une part, et le marché du carbone, lequel comprend à la fois les marchés de conformité et les marchés volontaires, d’autre part.
La tendance mondiale est de relier les marchés volontaires aux marchés de conformité, nationaux et internationaux, par le biais de l'Article 6 de l'Accord de Paris.
On peut citer l’exemple du mécanisme CORSIA, appliqué au secteur de l’aviation, dont les crédits carbone sont valorisés autour de 20 USD la tonne, en raison des obligations de conformité imposées par l’OACI.
Pour pouvoir vendre des crédits CORSIA, le pays émetteur doit obtenir une lettre d’accord de son gouvernement autorisant le transfert de la part correspondante de sa contribution nationale (NDC).
Du point de vue de la gouvernance, Nguyen Tuan Quang a affirmé : « Nous travaillons en coordination avec les ministères et les secteurs concernés pour soumettre au gouvernement un décret définissant précisément l’organisation et le fonctionnement du marché du carbone.
Dans cette optique, un mécanisme de partage équitable des bénéfices sera mis en place, dans un esprit de transparence, en veillant à ce que les communautés locales soient placées au cœur du processus. »
Si nous vendons des crédits à bas prix sans pouvoir respecter nos engagements de réduction des émissions, le Vietnam pourrait devoir dépenser jusqu'à 300 USD par tonne pour compenser.
Des agriculteurs s’occupent des pépinières afin de préparer les plants destinés à la reforestation.
Des agriculteurs s’occupent des pépinières afin de préparer les plants destinés à la reforestation.
Les gardes forestiers patrouillent dans les forêts de mangroves côtières, un écosystème capable d’absorber et de stocker le carbone à un niveau quatre à cinq fois supérieur à celui des forêts terrestres. Ces mangroves constituent les « poumons verts » et la « banque naturelle de carbone » du Vietnam.
Les gardes forestiers patrouillent dans les forêts de mangroves côtières, un écosystème capable d’absorber et de stocker le carbone à un niveau quatre à cinq fois supérieur à celui des forêts terrestres. Ces mangroves constituent les « poumons verts » et la « banque naturelle de carbone » du Vietnam.
LES CRÉDITS CARBONE FORESTIERS, MOTEUR D’UNE ÉCONOMIE VERTE
Au-delà de leur valeur environnementale, les crédits carbone issus des forêts ouvrent un « canal de financement vert » prometteur.
Selon la Banque mondiale (BM), la taille du marché volontaire mondial du carbone a dépassé 2 milliards de dollars en 2023 et pourrait atteindre 4 milliards en 2030. Rien qu’en 2024, la valeur totale des échanges de crédits carbone dans le monde a avoisiné 70 milliards de dollars.
Avec près de 14,8 millions d’hectares de terres forestières, dont plus de 4 millions d’hectares de forêts naturelles, le Vietnam dispose d’un potentiel d’absorption de plusieurs dizaines de millions de tonnes de CO₂ chaque année.
Si seulement un million d’hectares de forêts étaient mesurés et certifiés selon les normes internationales, les crédits générés pourraient rapporter entre 50 et 100 millions de dollars par an — une ressource considérable pour le développement forestier durable et la mise en œuvre de la contribution déterminée au niveau national (CDN) du pays.
Le professeur associé, docteur Nguyen Dinh Tho, souligne que, selon la CDN actualisée en 2022, le Vietnam s’engage à réduire ses émissions de 15,8 % sans condition et jusqu’à 43,5 % avec le soutien international.
Pour atteindre le seuil de 15,8 % (par exemple, de 88 à 74 millions de tonnes de CO₂ dans certains secteurs), le gouvernement prévoit de mobiliser environ 1 milliard de dollars.
Si le Vietnam mobilisait 5 milliards de dollars supplémentaires auprès de la communauté internationale, le niveau de réduction pourrait atteindre 43,5 % (soit environ 45 millions de tonnes de CO₂ dans la composante illustrée).
Cela montre que, pour atteindre les objectifs de la NDC, des solutions financières concrètes sont indispensables, parmi lesquelles le marché du carbone joue un rôle essentiel.
M. Tho a également souligné les leçons internationales sur la connexion entre politique environnementale et moteur économique.
Par exemple, la Californie a mis en place un mécanisme de crédits pour les véhicules électriques ; Tesla a su en tirer parti, et en 2024, ses revenus issus de ces crédits ont atteint 2,76 milliards de dollars, représentant environ 33 % de son bénéfice total de 8,5 milliards de dollars – une preuve que des politiques environnementales appropriées peuvent générer de puissantes dynamiques économiques.
Au-delà d’une nouvelle source de revenus, les crédits carbone contribuent à valoriser les forêts, à protéger les ressources naturelles, à limiter la déforestation et les incendies, tout en constituant un instrument financier pour réinvestir dans les forêts communautaires, le reboisement à grande échelle, la diversification des moyens de subsistance et l’amélioration des conditions de vie des populations locales.


Mme Betty Palard a déclaré : « Le Vietnam dispose d’une opportunité en or pour atteindre simultanément ses objectifs de réduction des émissions et bâtir des chaînes de valeur durables grâce aux crédits carbone. L’essentiel est de garantir que les populations et les communautés bénéficient directement et clairement de ces initiatives. »
M. Nguyen Quang Huy a également affirmé : « Si le mécanisme des crédits carbone est bien mis en œuvre, les coopératives forestières pourront non seulement vendre du bois, mais aussi vendre de l’air pur. »
La forêt n’est pas seulement une ressource, mais un capital vivant – à condition qu’elle soit certifiée et gérée de manière rigoureuse.
Le développement du marché du carbone, en particulier des crédits carbone forestiers, constitue une tendance irréversible. Mais pour saisir cette opportunité, le Vietnam doit parachever son cadre juridique, renforcer ses capacités de gouvernance et former des ressources humaines vertes.
Chaque forêt n’est pas seulement le poumon de la planète, mais aussi une véritable banque de moyens de subsistance pour des millions de personnes.
Les signaux positifs provenant de Cao Quang – aujourd’hui la commune de Tuyen Hoa, province de Quang Tri – ainsi que le processus d’amélioration du cadre juridique, montrent qu’une nouvelle porte s’ouvre pour la foresterie vietnamienne, non seulement en tant que « secteur agricole particulier », mais aussi comme un pilier majeur de l’économie verte.
Toutefois, pour que les crédits carbone forestiers deviennent une valeur durable, il est nécessaire d’assurer une coordination étroite entre l’État, les entreprises, les organisations intermédiaires et les communautés locales.
Par-dessus tout, un cadre juridique solide, transparent et ouvert est indispensable afin d’instaurer la confiance et d’attirer les flux de financements verts, tant nationaux qu’internationaux.
Les crédits carbone forestiers ne relèvent plus d’un avenir lointain.
Avec des actions résolues et une volonté cohérente, le Vietnam peut pleinement devenir un pays pionnier dans le développement du marché du carbone forestier – un nouveau pilier de sa stratégie de croissance verte.
Publication : le 13 octobre 2025
Organisation : Truong Son
Contenu : Minh Phuong & Khanh Lan
Dessin : Thuy Linh