Réduire la double inégalité n’est pas seulement une exigence en matière de droits, mais constitue également un fondement essentiel pour le développement durable dans les régions peuplées de minorités ethniques.
Selon une enquête menée par l'organisation CARE International au Vietnam durant la période 2023-2024, les femmes issues des minorités ethniques dans les provinces de Ha Giang et Lai Chau (au nord du Vietnam) travaillent en moyenne plus de 13 heures par jour.

Plus de 5 heures sont consacrées à des activités non rémunérées telles que les soins aux membres de la famille, la cuisine, le ménage ou les travaux agricoles. Ce travail invisible n’est ni comptabilisé dans les revenus, ni reconnu dans l’économie domestique, et encore moins pris en compte dans la répartition des politiques publiques.
En dehors du cadre familial, le rôle des femmes reste encore plus limité. Seules environ 20 % des femmes issues des minorités ethniques ont une voix dans les réunions au niveau des villages. Par ailleurs, seulement 17 % d’entre elles exercent un emploi rémunéré.
Les filles des régions montagneuses sont exposées à un risque d’abandon scolaire nettement plus élevé que les garçons. Elles ont rarement accès à la formation professionnelle et poursuivent rarement leurs études au niveau secondaire inférieur et supérieur.
L’accumulation de barrières visibles et invisibles rend l’accès à l’information difficile pour les femmes et les filles issues des minorités ethniques, limite leur participation à la prise de décision et les empêche de sortir du cercle vicieux de la pauvreté, de la dépendance et de la double inégalité.
Mme Nguyen Thu Giang, présidente du Conseil fondateur de l’Institut pour le développement de la santé communautaire LIGHT, a affirmé avec franchise : « On ne peut pas résoudre les inégalités par des interventions de courte durée. Il faut un processus continu, centré sur le renforcement des capacités individuelles, afin que les femmes puissent en tirer une réelle valeur pour elles-mêmes.
Lorsqu’elles prennent véritablement conscience que leur position peut évoluer de multiples façons — en valorisant activement leurs compétences, en osant s’exprimer face aux injustices, en cherchant à créer des moyens de subsistance pour elles-mêmes et pour leur entourage —, c’est à ce moment-là qu’elles peuvent tracer leur propre chemin pour briser les barrières de genre et les stéréotypes. »
Des femmes inspirantes, des modèles à suivre
La réalité montre que lorsque les femmes sont autonomisées, que leur potentiel est éveillé et qu’elles disposent des conditions nécessaires pour développer leurs capacités, elles peuvent engendrer des transformations profondes, contribuant à la promotion du développement socio-économique et à la réduction progressive des inégalités de genre, y compris dans les régions les plus reculées et particulièrement défavorisées.

Photo : Vietnamnet.
À la commune de Sa Phin, district de Dong Van, province de Ha Giang – à l’extrême nord du pays, un groupe de femmes H’Mông a réussi à accomplir ce qui semblait impossible.
Avec le soutien des autorités locales et de l’Union des femmes du district, la coopérative de services agricoles et sylvicoles intégrés du hameau Sa Phin A — également appelée coopérative Lanh Trang — a été fondée en 2017 avec 15 membres, toutes des femmes. À partir de leurs mains expertes du métier à tisser traditionnel, elles ont progressivement mis en place une chaîne de production intégrée : de la culture du lin au tissage, à la broderie de motifs ethniques, jusqu’à la commercialisation des produits.
La coopérative Lanh Trang offre un emploi stable à ses membres – pour la plupart des femmes seules, des personnes handicapées ou d’anciennes victimes de traite. Elle constitue aussi un véritable tremplin pour leur redonner confiance et les aider à s’émanciper. En 2024, la coopérative a écoulé près de 19 000 mètres de tissu et plus de 3 600 articles artisanaux, générant un chiffre d’affaires de plus de 3,4 milliards de dongs. Ses produits sont présents non seulement sur le marché national, mais aussi à l’export, notamment vers le Laos, la Thaïlande, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Japon.
En moyenne, chaque membre perçoit un revenu stable de 4 à 5 millions de dongs par mois, ce qui représente une somme non négligeable en zone montagneuse.
Ancienne victime de violences domestiques, Mme Sung Thi Si, directrice de la coopérative Lanh Trang lors de ses premiers mandats, partage avec émotion : « Nous partions de très loin : aucune de nous ne savait lire ni écrire, aucune n’avait jamais signé un contrat. Aujourd’hui, ces femmes sont devenues autonomes financièrement, elles ont une voix dans la communauté et bâtissent leur avenir grâce au métier traditionnel de leur ethnie. »
Dans la province de Bac Kan, Mme Loc Thi Chanh, une femme de l’ethnie Tay, s’est elle aussi lancée dans l’entrepreneuriat en valorisant le gâteau traditionnel de sa région, le banh tro. Parti d’un petit atelier de production en 2021, elle a su, en trois ans, développer une coopérative capable de produire plus de 10 000 gâteaux par jour, assurant ainsi un emploi stable à 14 femmes du village.
« Autrefois, la plupart des femmes n’avaient aucun revenu, elles se contentaient des tâches ménagères. Aujourd’hui, elles ont un métier, un revenu, et surtout, une fierté retrouvée pour l’identité culturelle de leur ethnie », confie Mme Chanh.
Ces récits montrent que lorsque les femmes ont accès aux ressources, bénéficient d’opportunités et peuvent valoriser leur identité culturelle, elles ne se contentent pas de surmonter les épreuves : elles deviennent les actrices à part entière du développement. Du métier à tisser aux étoffes de lin, en passant par les gâteaux traditionnels — ces éléments en apparence simples ont ouvert la voie à une génération de femmes autonomes et responsables, affirmant leur rôle dans l’économie, la société et au sein de la famille.
Des coopératives aux groupes de subsistance, en passant par les forums de femmes en zone montagneuse, de plus en plus de femmes ne se contentent plus de suivre : elles prennent l’initiative, proposent, coordonnent et créent des liens. Lorsqu’elles ont un emploi, un revenu et une place reconnue dans la communauté, les femmes peuvent s’exprimer avec confiance, contribuant ainsi à transformer les stéréotypes et à faire progresser une véritable égalité.
De l’aide à l’autonomisation : un vrai changement s’impose
Réduire les inégalités croisées ne requiert pas seulement des politiques justes et suffisantes, mais aussi une compréhension fine des individus, dans leur contexte, au cœur de chaque village.

Le programme global de développement socio-économique des régions peuplées de minorités ethniques et de zones montagneuses pour la période 2021-2030 — en particulier le Projet n°8 (Promouvoir l’égalité des sexes et répondre aux besoins urgents des femmes et des enfants), porté par l’Union des femmes du Vietnam — adopte une approche ciblée : il ne s’agit pas seulement d’apporter un soutien, mais bien de donner du pouvoir d’agir.
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de s’appuyer sur quatre piliers : l’autonomisation économique des femmes à travers les coopératives et les entreprises féminines ancrées dans la culture locale ; le renforcement de leur voix au sein de la communauté via des groupes d’auto-gestion ; le partage des responsabilités de soins par l’amélioration des infrastructures de base et l’évolution des rôles de genre au sein de la famille ; enfin, le développement des capacités endogènes grâce à la formation, au conseil et à la mise en réseau.
Aucun changement durable n’est possible dans les régions montagneuses si les femmes des minorités ethniques continuent de vivre dans le manque et l’injustice. Lorsqu’elles ont le pouvoir de choisir et de prendre en main leur avenir, le changement devient profond et durable. Autonomiser ces femmes, ce n’est pas seulement une question de justice humaine, c’est aussi un indicateur clé de l’efficacité des stratégies de développement durable et inclusif dans les zones en difficulté.