Diên Biên Phu : les mémoires perdurent et ne s'éteignent jamais

Soixante-dix ans se sont écoulés depuis la bataille de Diên Biên Phu qui s’est déroulée du 13 mars au 7 mai 1954 et a sonné le glas de la présence coloniale française en Indochine, les souvenirs restent vifs dans les esprits et les mémoires.
Au cours de la première offensive le 13 mars 1954, les soldats Viêt Minh progressent dans des tranchées pour attaquer et anéantir le centre de résistance Him Lam (Béatrice). Photo : VNA.
Au cours de la première offensive le 13 mars 1954, les soldats Viêt Minh progressent dans des tranchées pour attaquer et anéantir le centre de résistance Him Lam (Béatrice). Photo : VNA.

"J’ai rêvé de paix pendant la bataille et quand cela s’est réalisé, je vois dans mes songes mes frères d’armes chaque nuit", a partagé Luong Van Huong, un vétéran de Diên Biên Phu, aujourd’hui âgé de 96 ans, visiblement ému en se souvenant de ses frères d’armes.

Huong, originaire de la commune de Lê Loi, district de Gia Lôc, province de Hai Duong (Nord), fait partie des quelques survivants de son peloton dans la campagne historique de 56 jours et nuits qui a abouti à la victoire historique.

Bataille de tranchées

Jusqu’à présent, Diên Biên Phu reste un souvenir doux-amer pour de nombreux vétérans comme Huong qui vivent la victoire comme un insigne d’honneur, mais déplorent le lourd bilan humain.

"Mes camarades sont tombés juste à côté de moi, leurs corps ont été emportés et enterrés quelque part", s’est souvenu le vétéran, soigneusement vêtu de son uniforme militaire vert foncé orné de médailles.

Huong a fait savoir qu’après la mort de quatre de ses 12 hommes et deux autres blessés lors de la première attaque, quatre ont été renforcés pour combler les postes vacants, mais certains d’entre eux se sont sacrifiés lors des attaques suivantes, leurs corps étant même complètement brisés par les bombardements.

Certains pelotons et escouades ont été entièrement anéantis en une seule journée.

La bataille de Diên Biên Phu, du 13 mars au 7 mai 1954, a fait côté du Viêt Minh 4.020 morts, 10.130 blessés et 792 disparus, dont 3.976 soldats tombés au combat qui reposent en paix dans trois cimetières près de Dôc Lâp (Gabrielle), de Him Lam (Béatrice) et de la colline A1 (Éliane 2), seuls quatre d’entre eux – les héros Bê Van Dàn, Tô Vinh Diên, Phan Dinh Giot et Trân Can - ont été identifiés jusqu’à présent.

"J’avais pleuré en regardant les soldats morts partout sur le champ de bataille... Je n’avais pas pu m’empêcher de pleurer la nuit, je n’avais alors que 16 ans", a confié Nguyên Duc Nôi, natif de la commune de Gia Tân, district de Gia Lôc, province de Hai Duong.

Le vétéran Nguyên Duc Nôi, à Hanoi, le 23 avril 2024. Photo : VNA

Le vétéran Nguyên Duc Nôi, à Hanoi, le 23 avril 2024. Photo : VNA

"J’avais dû faire face à deux choses, l’une était l’ennemi et l’autre la mort", a indiqué le vétéran âgé de 88 ans, se souvenant de la dernière attaque de la nuit du 6 mai, où lui et ses camarades ont passé une nuit blanche pour transporter de nombreux soldats blessés, dont beaucoup sont morts avant d’être secourus.

Pour Huong, la bataille était encore plus féroce car il avait reçu une lettre de sa famille l’informant que son fils de moins de trois mois avait été tué dans un raid des colonialistes français dans son pays natal.

Aspiration ardente à l’indépendance

Animés par le patriotisme et l’aspiration ardente à l’indépendance, Huong et Nôi, comme des dizaines de milliers de jeunes de leur génération, se sont dirigés vers le front, fortifiés par les souvenirs amers des invasions étrangères tout au long de l’histoire de la nation.

Ils ont également été portés par l’appel de la nation : "Tous pour le front, tous pour la victoire".

"J’étais le plus jeune parmi les garçons de mon pays natal à se porter volontaire pour aller au combat avec le soutien de ma mère", a déclaré Nôi, ajoutant qu’il ne réfléchissait pas beaucoup à cette époque et qu’il voulait juste suivre ses compatriotes.

Le vétéran Luong Van Huong. Photo: VNA

Le vétéran Luong Van Huong. Photo: VNA

Huong a été arrêté lors d’un raid des forces françaises dans son village en 1950 et a été emprisonné pendant un mois et demi car il était membre du comité de l’Union de la jeunesse pour le salut national dans sa localité.

Pour se rendre au front de bataille de Diên Biên Phu, Huong et Nôi ont traversé les forêts pendant un demi-mois depuis la province de Thanh Hoa (Centre).

"Nous dormions dans la jungle pendant la journée et marchions environ quatre heures chaque nuit, avec un fusil et un sac à dos de 10 kg sur les épaules. Les habitants nous ont donné du riz, des légumes et d’autres aliments pour survivre", s’est-il souvenu.

Pour lui, la mission la plus dangereuse était la reconnaissance individuelle, parfois menée par un petit groupe de trois, sans eau ni nourriture. "Nous avons dû repérer rapidement les zones ennemies et dresser des cartes", a expliqué Nôi, qui n’avait jamais reçu de formation militaire auparavant.

Nôi, Huong et tous leurs camarades ont creusé jour et nuit des tranchées pour encercler l’ennemi, se préparant à la bataille historique de Diên Biên Phu, qui était alors le camp retranché le plus puissant d’Indochine dans le cadre du plan Navarre, du nom du commandant en chef des forces françaises en Indochine à partir du mois de mai 1953.

Peter Macdonald a déclaré dans son livre intitulé "The Victor in Vietnam: Giap", publié pour la première fois en 1993, que "peut-être que l’exemple le plus étonnant de leur capacité à creuser était que lorsqu’ils ont pris Dominique, ils n’ont pas établi de positions au sommet de la colline, ils l’ont creusée de part en part par derrière ; extérieurement, il semble comme il l’a toujours été, grêlé et robuste ; à l’intérieur, il y avait une véritable fourmilière remplie de fosses à armes.

Mission lourde mais glorieuse

Nôi s’est dit fier d’avoir participé à toutes les attaques majeures de 1952 à 1954, notamment celle contre le camp fortifié français de Na San, dans la province nord-ouest de Son La, en 1952, lorsqu’il fut blessé, et une autre contre l’immense camp retranché de Diên Biên Phu.

Les deux vétérans ont déclaré qu’ils n’avaient aucune idée de la puissance beaucoup plus forte des forces françaises ni des tactiques employées par le président Hô Chi Minh et le général Vo Nguyên Giap à Diên Biên Phu, mais ils ont toujours fait confiance et suivi la direction du président Hô Chi Minh et le commandement du général Vo Nguyên Giap.

Les deux vétérans partageaient la ferme conviction que sans le Parti et sa solide direction, la victoire mondiale ne serait pas obtenue.

Parlant de l’énorme sacrifice des soldats à Diên Biên Phu, les vétérans ont exprimé l’espoir que les jeunes actuels perpétueront la tradition du patriotisme, consolideront leur volonté et enrichiront leurs connaissances afin de contribuer à la construction et au développement national.

Le professeur Carl Thayer de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud a indiqué que "les écoles, les universités et les organisations de masse du Vietnam devraient organiser des programmes éducatifs et organiser des visites sur le champ de bataille de Diên Biên Phu pour rappeler aux jeunes d’aujourd’hui que l’autonomie et l’indépendance du Vietnam sont dues au sacrifice de ceux qui sont tombés pour vaincre les Français".

"Jamais tant de gens n’ont dû autant à si peu", a-t-il déclaré en citant l’homme d’État britannique Winston Churchill.

VNA/NDEL