Lors d’une interview accordée à la presse à l'occasion du 30e anniversaire de l'adhésion du Vietnam à l'ASEAN (28/07/1995-28/07/2025), l'ambassadeur Pham Quang Vinh, ancien vice-ministre des Affaires étrangères et chef du SOM ASEAN Vietnam (de 2007 à 2014), a souligné les jalons et les contributions remarquables du Vietnam au cours de ses trois décennies d'engagement avec l'ASEAN.
La signification des trois décennies de participation du Vietnam à l'ASEAN
En regardant les trois décennies de participation du Vietnam à l'ASEAN et l'ensemble du processus historique qui l'a précédé, on peut relever plusieurs points :
Premièrement, la participation du Vietnam à l'ASEAN a été une décision stratégique, non seulement pour le Vietnam, mais aussi pour l'ASEAN à l'époque. Cette décision a clos une longue période de division, de scission et de confrontation en Asie du Sud-Est, pour ouvrir une nouvelle ère, initiant un processus d'intégration régionale, vers une « famille ASEAN ».
Deuxièmement, le processus de participation du Vietnam à l'ASEAN est également lié à la formation d'une vision commune de l'ASEAN : de l'ASEAN à 10 pays, à la construction de la Communauté de l'ASEAN et au développement commun.
Du point de vue du Vietnam, on peut distinguer plusieurs phases :
La première phase, familiarisation et promotion de l'intégration au sein de l'ASEAN. Immédiatement après son adhésion à l'ASEAN, le premier jalon a été l'organisation par le Vietnam du Sommet de l'ASEAN en 1998, avec la Déclaration de Hanoï, très appréciée par les pays de la région, soulignant notamment la vision de réduction de l'écart de développement entre les nouveaux et les anciens États membres.
Cette phase a également vu l'adhésion du Vietnam à l'ASEAN en 1995, suivie par le Laos, le Myanmar et le Cambodge qui ont achevé leur processus d'adhésion en 1999. Ainsi, pour la première fois, l'ASEAN a complété sa structure à 10 pays.
Parallèlement, le Vietnam a participé à la feuille de route d'intégration économique de l'ASEAN, réduisant les droits de douane à près de zéro, rattrapant les autres pays pour former un espace économique commun. C'est la phase où l'ASEAN s'est consolidée en un bloc, tandis que le Vietnam s'est familiarisé, s'est intégré et, de là, s'est progressivement ouvert au monde.
La participation à l'ASEAN en 1995 a également été la première étape du Vietnam dans son parcours d'intégration internationale, créant un précédent pour la signature de l'Accord commercial bilatéral avec les États-Unis en 2001 et l'adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2006-2007.
Dès cette première phase, le Vietnam a également apporté des contributions significatives : comme l'organisation du Sommet de 1998 ; la présidence du Comité Permanent de l'ASEAN en 2000-2001… Ces contributions ont été reconnues et appréciées par les pays de la région.
La deuxième phase, le Vietnam, avec les États membres, a créé et promu le développement de l'ASEAN face au développement interne et aux turbulences internationales.
Au cours de la période 2007-2020, le Vietnam, avec l'ASEAN, a élaboré la vision de la Communauté de l'ASEAN avec trois piliers : politique-sécurité, économie et socioculturel.
Nous avons également contribué à l'élaboration de la Charte de l'ASEAN (adoptée en 2007-2008 et entrée en vigueur en 2008). C'est le document juridique le plus important de l'association (auparavant, l'ASEAN ne se basait que sur la Déclaration de Bangkok de 1967).
L'année 2010 a été un jalon très important lorsque le Vietnam a assumé pour la première fois la présidence de l'ASEAN selon le nouveau modèle de la Charte. Le Vietnam a coordonné toutes les activités de l'ASEAN cette année-là, mettant en œuvre efficacement le nouvel appareil, tout en promouvant le thème « Vers une Communauté de l'ASEAN : de la vision à l'action ».
Un autre jalon créatif a été l'année 2020, lorsque le Vietnam a assumé pour la deuxième fois la présidence de l'ASEAN avec le thème « Cohésion et adaptation proactive ». C'était aussi le moment où la pandémie de Covid-19 a éclaté, affectant le monde entier. Le Vietnam a dirigé l'ASEAN à travers cette période difficile : en convoquant des réunions d'urgence pour coordonner la prévention de la pandémie ; en lançant des initiatives sur la réserve de fournitures médicales, le fonds de vaccins ; en maintenant les chaînes d'approvisionnement ; et en élaborant un plan de relance post-pandémie. Nous avons combiné des réunions en ligne et en personne, pour la première fois dans l'histoire de l'ASEAN, tout en garantissant des résultats importants : la promotion des priorités en matière de construction communautaire, la coopération avec les partenaires et la résolution des problèmes régionaux.
Un exemple typique est la révision à mi-parcours de la Vision de la Communauté de l'ASEAN 2025 par le Vietnam et les États membres, puis la pose des premières pierres pour la construction de la Vision de la Communauté de l'ASEAN après 2025, qui est maintenant la vision 2045.
La troisième phase – la phase actuelle, où le monde est en pleine mutation, l'ASEAN a fixé la Vision 2045 et exige que la région se développe à un nouveau niveau. Au cours de cette phase, le Vietnam continuera d'accompagner l'ASEAN pour s'adapter aux profondes transformations mondiales ; améliorer la qualité de l'intégration intra-bloc ; promouvoir la coopération dans les nouveaux domaines de développement (science et technologie, innovation, transformation numérique, transition verte…) ; affirmer son rôle central, indépendant et stratégiquement autonome afin de maintenir sa position tout en tirant parti des relations internationales pour la paix et le développement.
En résumé, la signification de ce jalon de 30 ans ne réside pas seulement dans la vision stratégique, mais aussi dans les contributions continues et de plus en plus profondes du Vietnam au processus de construction et de développement de l'ASEAN.
La particularité, l'identité vietnamienne, dans les 30 ans de participation à l'ASEAN
Parlant de l'identité vietnamienne tout au long de sa participation à l'ASEAN, je pense qu'il y a trois mots incontournables :
Solidarité : Le Vietnam a toujours accordé une grande importance à l'esprit de solidarité au sein de l'ASEAN.
Responsabilité : Le Vietnam a toujours fait preuve de responsabilité en participant et en promouvant le développement de l'ASEAN.
Créativité/Initiative : Le Vietnam, avec les pays de l'ASEAN, construit la communauté, joue un rôle central dans la gestion des problèmes régionaux et s'adapte de manière proactive pour continuer à coopérer efficacement avec les partenaires extérieurs.
En tant que personne ayant occupé pendant 7 ans le poste de Chef du SOM (Senior Officials Meeting – Réunion des hauts fonctionnaires) ASEAN Vietnam (de 2007 à 2014), l'Ambassadeur partage un souvenir ou la raison de son attachement à ce rôle
Le poste de Chef du SOM ASEAN m'est venu comme une opportunité, mais aussi comme une reconnaissance, une décision des dirigeants du ministère des Affaires étrangères dont je suis très reconnaissant. En 2007, j'avais 27 ans de service au ministère des Affaires étrangères, mon travail se concentrant principalement sur la diplomatie multilatérale – en particulier sur les Nations Unies. Cependant, les questions mondiales sont très liées à la région, de la paix, de la sécurité, du changement climatique, de l'environnement, aux interactions dans la stratégie multilatérale.
Cependant, ma nomination au poste de Chef du SOM ASEAN à l'époque a été une surprise pour moi, car auparavant, la plupart des personnes occupant ce poste étaient des dirigeants de haut niveau au sein du ministère. La promotion d'un sous-directeur de Département au rang de directeur de Département et chef du SOM ASEAN était une décision audacieuse. Je me suis senti très honoré, mais aussi profondément conscient de l'énorme responsabilité que cela représentait. Je suis vraiment reconnaissant au vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères Pham Gia Khiem et au vice-ministre Le Cong Phung d'alors, qui m'ont fait confiance pour cette mission.
La durée totale de mon mandat en tant que chef du SOM ASEAN a été d'environ sept ans et demi – une période à la fois longue et pleine de défis, mais aussi riche en événements marquants. Je me sens particulièrement chanceux car la période 2007-2014, pendant laquelle j'ai occupé ce poste, a également été celle où l'ASEAN a connu de très fortes évolutions en termes d'organisation, de vision et de relations extérieures. Durant cette période, le Vietnam n'a pas seulement « fait connaissance » mais s'est réellement intégré à l'ASEAN pour co-créer une nouvelle vision et élaborer de nouvelles démarches.
Comme je viens de le partager, la période 2007-2010 a été très importante pour l'élaboration de la Charte de l'ASEAN, à laquelle j'ai directement participé en tant que membre du Groupe de travail de haut niveau chargé de la rédaction de cette charte ; l'élaboration des trois plans directeurs pour les trois piliers : politique-sécurité, économie, et socio-culturel ; l'élaboration du Plan Directeur de Connectivité de l'ASEAN (ASEAN Connectivity) ; et surtout, en 2010, lorsque le Vietnam a assumé la présidence de l'ASEAN, nous avons mis en œuvre le nouvel appareil de l'ASEAN (conformément à la Charte).
Au cours de cette même période, des questions stratégiques, notamment celles liées aux relations avec les grandes puissances, ou des développements complexes nécessitant une gestion habile et solidaire de la part de l'ASEAN, ont émergé, tandis que la coopération avec les partenaires extérieurs s'est également fortement développée. En particulier en 2010, le Vietnam a présidé l'organisation du Sommet de l'Asie de l'Est (EAS), qui a réuni toutes les grandes puissances et les partenaires officiels de l'ASEAN.
On peut dire que j'ai eu la chance non seulement d'être nommé par la confiance des dirigeants du ministère, mais aussi de participer précisément au moment où l'ASEAN a connu de grandes transformations en termes d'institutions, de stratégie et de relations internationales. Ce furent des années très mémorables dans ma carrière.
La contribution et de la participation du Vietnam à l'ASEAN dans les temps à venir
Actuellement, le monde est en profonde mutation et la région évolue également rapidement. Bien que l'ASEAN ait affirmé son rôle et soit reconnue par la région et le monde, il reste encore beaucoup d'efforts à faire pour aller de l'avant. Dans un contexte mondial et régional en profonde mutation, l'ASEAN reste la seule organisation dans cette région qui non seulement connecte les 10 pays d'Asie du Sud-Est actuel et bientôt 11, mais joue également un rôle central dans la connexion avec des partenaires clés, tel que la Chine, les États-Unis, le Japon, la République de Corée, l'Union européenne (UE), l'Australie, l'Inde…
Au cours des 50 dernières années, l'ASEAN a fonctionné efficacement et a été très appréciée par les pays, devenant une voix qui façonne les normes de comportement et l'opinion publique régionale. Chaque fois que l'ASEAN s'exprime sur des questions régionales, non seulement les pays de l'ASEAN la soutiennent, mais les grands partenaires et les centres de pouvoir du monde entier expriment également leur soutien. Le fait qu'un nombre croissant de pays demandent à devenir observateurs ou partenaires, des partenaires partiels aux partenaires à part entière, témoigne de la position et de la voix de l'ASEAN.
Au-delà de la simple connexion, l'ASEAN dispose également de mécanismes de dialogue et de coopération avec des partenaires clés, tels que l'ASEAN+1, l'ASEAN+3, le Sommet de l'Asie de l'Est (ASEAN+8), la coopération élargie en matière de défense (ADMM+), ou des forums de sécurité régionaux, comme l'ARF…
Cependant, de nombreuses exigences et tâches attendent encore l'ASEAN. Sur le plan géopolitique, la concurrence entre les grandes puissances s'intensifie, et l'instabilité mondiale exige que l'ASEAN tire parti des grandes puissances tout en évitant de tomber dans la concurrence, afin de protéger la paix et la stabilité régionales.
Sur le plan économique, face à une économie mondiale volatile marquée par la montée du protectionnisme, l'érosion de la mondialisation et la rupture des chaînes d'approvisionnement due à des facteurs objectifs (pandémie) et subjectifs (concurrence stratégique, crises), l'ASEAN doit maintenir des chaînes d'approvisionnement durables et continuer à coopérer efficacement avec ses partenaires.
En matière de science et technologie, le monde entre dans une phase de développement sans précédent grâce aux avancées scientifiques et technologiques. Si elle ne saisit pas cette opportunité à temps, l'ASEAN risque de prendre du retard. Par conséquent, l'ASEAN doit tirer parti de l'innovation, de la transformation numérique et de la transition verte pour suivre le nouveau modèle de croissance.
Dans ce contexte, la tâche de l'ASEAN est de tirer parti des grandes puissances en promouvant la légitimité, en renforçant l'autonomie stratégique, et en soulignant l'importance de la coopération multilatérale et de la primauté du droit international ; d'améliorer la qualité de la coopération économique avec les partenaires, tout en renforçant la capacité interne de la Communauté économique de l'ASEAN ; et de tirer parti de la science et de la technologie, de l'innovation, de la transformation numérique et de la transition verte pour suivre le nouveau rythme de croissance et le nouveau modèle de croissance mondiale. En ce qui concerne les problèmes régionaux, tels que le Myanmar, le Cambodge-Thaïlande, la Mer Orientale (Mer de Chine méridionale), l'ASEAN doit continuer à insister sur le dialogue, à éviter l'escalade des tensions, et à résoudre pacifiquement et de manière satisfaisante les désaccords sur la base des principes fondamentaux du droit international.
On peut dire que l'ASEAN est aujourd'hui une organisation jouissant d'une très haute position, respectée dans la région et dans le monde, mais en même temps, l'ASEAN est confrontée à de grandes attentes de développement.
La Vision 2045 a défini de nouvelles orientations de développement pour l'ASEAN. Je suis convaincu que le Vietnam, avec son objectif de développement de meilleure qualité, plus durable, vers une nouvelle ère, continuera de contribuer à l'identité vietnamienne au sein de l'ASEAN. C'est-à-dire, continuer à promouvoir la solidarité et le rôle central de l'ASEAN ; contribuer de manière responsable à tous les domaines, de la politique, de l'économie, de la sécurité à la gestion des défis communs ; et, avec l'ASEAN, créer de nouvelles démarches et visions pour que l'organisation régionale se développe toujours plus.