Après la campagne des Frontières en 1950 (Cao Bang), l’Armée populaire du Vietnam a enregistré de nouvelles victoires sur différentes batailles et consolidé sa position d’offensive au Nord. Pour sortir les troupes françaises de la situation de défensive et de passivité, le gouvernement français a nommé en mai 1953, avec l’accord de Washington, le général Henri Navarre au poste de commandant en chef du corps expéditionnaire français en Indochine. Immédiatement, en juillet de la même année, un plan militaire, dit « Plan Navarre » a été mis en place dans l’objectif d’étendre et prolonger la guerre.
Ce plan de l’armée française comporte deux phases : dans la première, qui dure de l’automne-hiver 1953 au printemps 1954, il convient de rester sur la défensive stratégique au-delà du 18° de latitude Nord, d'attaquer pour pacifier le Sud, le Centre de l’Indochine, et récupérer les régions libres dans l’interzone V. Pour la deuxième phase, appuyées par des succès obtenus, les troupes françaises passeront à une offensive stratégique contre le Nord et sur cet élan, la France obligerait le Vietnam à négocier selon les conditions en leur faveur.
Pour réaliser ce plan, Henri Navarre et son commandement général ont rassemblé 44 bataillons des forces mobiles dans la plaine du Nord, lancé de grandes opérations de ratissage dans les zones placées sous leur occupation, dirigé les attaques vers Ninh Binh, menacé Thanh Hoa, Phu Tho. Dans le même temps, ils envoyaient des bandits locaux lancer des opérations de sabotage dans la région du Nord-Ouest, largué des parachutistes sur Diên Biên Phu dans le but de reprendre Na San, de consolider leur position à Lai Châu et d’étendre leur occupation dans la région du Nord-Ouest.
Fin septembre 1953, le Bureau politique du PCV et la Commission militaire centrale se sont réunis sous la présidence de l’Oncle Hô pour définir les orientations militaires durant la période hiver - printemps 1953-1954. Sur proposition du général Vo Nguyên Giap, le Bureau politique a fixé les directives stratégiques comme suit : mobiliser des forces régulières pour ouvrir des attaques dans des directions stratégiques importantes, là où l’ennemi est en position de faiblesse relative, l’obligeant à disperser ses troupes pour faire face à nos attaques dans les régions névralgiques. Nos principes stratégiques s’appuient sur dynamisme, initiative, mobilité et souplesse. Suivant ces directives, nos forces régulières se sont dirigées vers la région du Nord-Ouest et une partie de nos forces s’est avancée vers le Moyen Laos pour conjuguer les efforts de combats avec les forces armées révolutionnaires du Laos.
Les troupes françaises ont ouvert le 20 novembre 1953 l’opération aéroportée « Castor » pour s’emparer de Diên Biên Phu et transformer progressivement la cuvette en un véritable camp retranché avec de nouveaux armements et des forces d’élite du corps expéditionnaire français en Indochine. Ils y ont réuni 17 bataillons d’infanterie, 3 groupes d’artillerie, un bataillon du génie, une compagnie de blindés, une escadrille aérienne, une compagnie de transport motorisé.
L’effectif total au camp était de 16.000 personnes des forces d’élite en Indochine, réparties dans 49 points d’appui articulés entre eux. Les Français ont également construit les aérodromes de Muong Thanh et Hông Cum à Diên Biên Phu pour répondre à leurs besoins de ravitaillement et de munitions par voie aérienne. Diên Biên Phu, fort de ses forces aussi puissantes et de son système des fortifications aussi solides, deviendrait ainsi « le camp retranché le plus puissamment fortifié qu’on ait jamais vu en Indochine » et « une bastion imprenable ». L’ennemi considère qu’une attaque de nos troupes contre le camp ne ferait que nous conduire au suicide, et inévitablement à un échec.
Basé sur la stratégie « attaquer uniquement en cas de victoire certaine, sinon, s’abstenir » et sur le principe « attaque sûre, victoire sûre », la Commission militaire centrale, chef d’état-major général de l’Armée populaire du Vietnam ont établi le plan opérationnel de la campagne Diên Biên Phu. Ils ont dirigé les attaques contre le camp retranché, mettant en échec les plus gros investissements militaires des colonialistes français dans la guerre d’Indochine et remporté la victoire totale au bout d’une guerre de résistance longue de 9 ans. C’est la première victoire de portée stratégique illustrant l’esprit « détermination à combattre » à l’époque Hô Chi Minh.
La victoire de Diên Biên Phu résulte de la vision stratégique du Bureau politique du Parti communiste du Vietnam, du Président Hô Chi Minh et du Général Vo Nguyên Giap. Elle illustre l’ingéniosité de la Commission militaire centrale et du Commandement militaire. Elle incarne l’héroïsme et l’esprit créatif des forces armées et de la population vietnamiennes. Il s’agit aussi une véritable confrontation de conceptions stratégiques au moment décisif de la guerre pour trois raisons suivantes.
Primo, nous avons profité des conditions favorables et des effets de surprise pour lancer la bataille décisive, multiplier des attaques, qui ont obligé l’ennemi à disperser ses forces sur les secteurs clefs. Nous avons combiné les opérations de nos forces régulières sur tous les fronts dans le pays comme dans toute l’Indochine. Nous avons ouvert en même temps cinq vagues d’assauts au Nord-Ouest, au Haut, Moyen et Bas Laos, et sur les Hauts plateaux du Centre. Nos forces locales et la population se sont mobilisées à l’arrière même de l’ennemi, dans les zones du Nam Bô (Sud), du Nam Trung Bô (Centre méridional), du Binh Tri Thiên, tout comme dans le delta du Nord, détruisant du potentiel ennemi, élargissant des secteurs libres. Ces attaques ont forcé l’ennemi à éparpiller ses forces mobiles, au lieu de les concentrer sur le front du Nord.
Secundo, pour reprendre la position d’offensive et parer au manque d’expériences de nos forces dans les attaques contre les camps retranchés, nous avons décidé de changer de stratégie, passant du principe « attaque rapide, victoire rapide » à celui de « attaque sûre, progression sûre». A la stratégie « guerre rapide, victoire rapide » de l’ennemi, qui s’appuie sur la supériorité des forces, nous avons opposé celle de « résistance de longue haleine». Tout était soigneusement préparé, des forces de combat au dispositif opérationnel.
Pendant ce temps, les troupes ennemies se trouvaient dans une situation désavantageuse et passive. Nos forces resserraient l’encerclement et disposaient des artilleries sur les hauteurs des collines pour pilonner les positions ennemies. D’autre part, les troupes françaises souffraient d’un ravitaillement logistique insuffisant à cause de l’isolement du camp Diên Biên Phu et d’une saison climatique rigoureuse.
Tertio, nous avons déployé d’une manière harmonieuse et efficace une interopérabilité sur le champ de bataille avec la mobilisation de quatre divisions d’infanterie, une division d’artillerie/génie et un régiment de génie, de plus de 40.000 soldats des forces régulières, de plus de 4.000 volontaires civiles, des centaines de vélos-transports.
La première phase de la campagne a débuté le 13 mars 1954. Nos forces régulières ont encerclé l’ennemi et lancé des attaques frontales contre le camp retranché. Nous avons anéanti successivement des points d’appui et des secteurs ennemis, tout en intensifiant le dispositif des tranchées et les assauts contre les points névralgiques de l’ennemi.
Avec trois vagues d’attaques durant 56 jours et nuits, nos forces armées ont totalement anéanti le camp retranché de Diên Biên Phu, couronnant de victoire finale la résistance contre les colonialistes français et les interventionnistes américains, obligeant la France à signer l’accord de Genève (en juillet1954) et à mettre fin à la guerre au Vietnam.
Dô Ba Ty, Général de corps d’armée, Membre du Comité Central du PCV, membre permanent de la Commission militaire centrale, chef d’État-major général de l’Armée populaire du Vietnam et vice-Ministre de la Défense.