L’ambassadeur Frew a souligné que la biotechnologie, le numérique et les technologies propres constituent depuis plusieurs années des piliers essentiels de la coopération bilatérale. Par ailleurs, le Royaume-Uni reste ouvert aux nouvelles propositions de collaboration du Vietnam, en particulier depuis l’adoption de la Résolution 57. Toutefois, il estime qu’un environnement d’investissement plus transparent et une adaptation continue aux tendances mondiales seront des attentes majeures pour les investisseurs étrangers au Vietnam dans un avenir proche.
Monsieur l’ambassadeur, en tant que berceau de la première révolution industrielle, quels atouts le Royaume-Uni possède-t-il aujourd’hui pour relever les défis de la quatrième révolution industrielle ?
Le Royaume-Uni bénéficie d’un double avantage, à la fois historique et stratégique, dans cette transformation technologique.
D’abord, notre pays s’appuie sur une recherche académique de très haut niveau. Quatre des dix meilleures universités mondiales sont britanniques. Elles ont toutes un engagement fort dans la recherche et le développement des disciplines STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), qui nourrissent l’innovation et les percées scientifiques.
Il est indéniable que des domaines-clés comme la fabrication avancée, l’intelligence artificielle (IA) ou l’informatique quantique sont déjà identifiés comme moteurs du changement. Pourtant, la nature exacte des opportunités qu’offrira cette quatrième révolution industrielle reste imprévisible.
C’est pourquoi nous devons investir davantage dans l’éducation, la formation et la recherche pour anticiper ces bouleversements. Ce principe est d’ailleurs au cœur du système éducatif britannique.
Ensuite, le Royaume-Uni est une place financière de premier plan. Au-delà de l’excellence de ses ressources humaines, le pays offre aux entreprises technologiques un accès privilégié à des financements, des dispositifs de levée de fonds et des politiques de soutien aux start-ups. En témoignent les nombreuses entreprises britanniques en pointe dans l’IA, la fabrication avancée et les biotechnologies.
Enfin, le Royaume-Uni se distingue par son ouverture à la coopération internationale dans le domaine scientifique et technologique. Nous sommes un pays résolument tourné vers le monde, prêt à partager ses idées et à attirer les talents du monde entier. Cette capacité à interconnecter les compétences est un facteur clé du succès de toute nation dans cette révolution industrielle.
En 2024, le Vietnam a défini des orientations claires pour le développement scientifique et technologique à l’horizon des 10 à 15 prochaines années à travers la Résolution 57. Quel regard portez-vous, en tant que diplomate, sur l’état actuel du secteur au Vietnam ?
Je considère que la Résolution 57 constitue une stratégie pragmatique et bien définie pour orienter le développement scientifique, technologique et l’innovation au Vietnam. Ce cadre est un levier essentiel pour permettre au pays d’atteindre les objectifs fixés par le secrétaire général Tô Lâm dans une « ère de l’essor ».
Le Vietnam possède aujourd’hui plusieurs atouts pour accélérer son développement scientifique et technologique.
Premièrement, le pays bénéficie d’une population jeune avec une forte compétence en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM). Ce résultat est le fruit de nombreuses années d’investissement dans la formation des talents, tant au niveau national qu’international.
Toutefois, la demande en main-d’œuvre évolue rapidement et pose de nouveaux défis. Non seulement le Vietnam, mais aussi de nombreux pays sont confrontés à une pénurie de talents dans des secteurs technologiques clés comme l’intelligence artificielle (IA), le développement de logiciels ou encore la fintech. Il est donc essentiel de continuer à investir dans l’éducation et la formation pour préparer les générations futures.
Je suis convaincu que le Vietnam regorge de jeunes talents. Cependant, des programmes spécifiques sont nécessaires pour leur fournir les compétences spécialisées correspondant aux besoins d’un écosystème scientifique et technologique en pleine mutation.
Deuxièmement, le Vietnam et son gouvernement ont toujours démontré une volonté de bâtir et de renforcer les partenariats internationaux. Aujourd’hui, la majorité des innovations technologiques et des nouveaux modèles économiques reposent sur des collaborations transnationales. Dans ce contexte, je me réjouis des nombreuses coopérations entre le Royaume-Uni et le Vietnam dans le domaine de la recherche et de l’application scientifique. J’espère que ces collaborations s’intensifieront à l’avenir, notamment dans les secteurs de la formation et du commerce.
Alors que le Vietnam ambitionne de devenir un acteur majeur des sciences et technologies, l’attraction des investissements et la promotion du commerce international deviennent cruciales. L’investissement étranger ne se limite pas à un apport en capitaux, il s’accompagne également d’un transfert de savoir-faire, de technologies et de processus.
Cependant, à mesure que de plus en plus de pays cherchent à renforcer leurs capacités nationales, les exigences en matière de coopération internationale deviennent plus strictes et la concurrence s’intensifie. Pour rester compétitif, le Vietnam devra s’appuyer sur des bases solides afin non seulement de suivre le rythme, mais aussi d’accélérer son intégration dans l’économie technologique mondiale.
Troisièmement, je pense que le Vietnam dispose d’un avantage structurel dans le domaine des sciences et technologies. Cet atout, façonné au fil des années, a permis au pays d’attirer des investissements et de nouer des collaborations internationales fructueuses. Dans plusieurs secteurs, le Vietnam a déjà dépassé les standards internationaux. Le numérique en est un parfait exemple. À mon sens, l’industrie numérique vietnamienne est aujourd’hui comparable, voire supérieure, à celle de certains pays développés, notamment dans des domaines comme les technologies numériques destinées aux consommateurs ou la fintech.
Le Vietnam a su franchir rapidement des étapes décisives dans son développement numérique. Ce succès est le fruit d’une ouverture proactive aux investissements étrangers et aux collaborations dès les premiers stades de cette transformation.
Toutefois, je pense que l’un des défis majeurs pour tous les pays est la nécessité de s’adapter suffisamment vite aux évolutions constantes des sciences et technologies. De plus, les investisseurs étrangers attendent un environnement à la fois transparent et capable de suivre les tendances mondiales.
En 2026, le Vietnam tiendra son XIVe Congrès du Parti, un moment clé pour définir ses nouvelles orientations stratégiques. Jusqu’à présent, le pays s’est fixé des ambitions claires. Mais au-delà des objectifs, la flexibilité sera essentielle dans les cinq prochaines années. Car le progrès technologique évolue à une vitesse que personne ne peut anticiper avec certitude.
Monsieur l’ambassadeur, quelles sont les opportunités de coopération entre le Royaume-Uni et le Vietnam dans le domaine des sciences et technologies ? Quels secteurs spécifiques seront prioritaires à l’avenir ?
Le Royaume-Uni identifie plusieurs opportunités de collaboration avec le Vietnam, notamment dans trois domaines majeurs : la biotechnologie, l’intelligence artificielle et la transformation numérique, ainsi que les technologies propres pour une croissance verte et la neutralité carbone. Ces secteurs ont été définis dans la déclaration conjointe entre nos deux pays, mais nous restons ouverts à de nouvelles propositions venant du Vietnam.
Depuis plusieurs années, la coopération scientifique et technologique entre nos deux nations repose sur des projets conjoints fondés sur des préoccupations communes et des complémentarités. Nous avons déjà établi des partenariats solides et nous allons continuer à travailler ensemble dans les domaines suivants : Biotechnologie, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’agriculture ; Technologies numériques, avec un accent sur l’intelligence artificielle et une attention particulière portée à l’industrie des semi-conducteurs ; Technologies propres : pour soutenir une croissance durable et atteindre l’objectif de zéro émission nette.
Nous accordons une grande importance au soutien de nos partenaires vietnamiens en matière de formation et de renforcement des capacités, tant au niveau institutionnel qu’individuel. Le Royaume-Uni poursuivra sa collaboration étroite avec les ministères et les universités vietnamiennes afin de promouvoir les meilleures pratiques en matière d’innovation, de gouvernance et de commercialisation des technologies, tout en formant des chercheurs talentueux.
En parallèle du développement technologique, nous souhaitons également accompagner le Vietnam dans l’élaboration de cadres réglementaires adaptés aux nouvelles technologies, notamment en matière d’intelligence artificielle. Cette coopération s’exprimera tant dans les relations bilatérales qu’à travers des enceintes multilatérales telles que l’ASEAN ou les Nations unies.
Par ailleurs, je tiens à souligner un événement scientifique majeur cette année : la Semaine de la technologie Royaume-Uni - Asie du Sud-Est, qui se tiendra à Hô Chi Minh-Ville du 27 au 28 mars 2025. Cet événement, organisé chaque année, réunira les principales entreprises britanniques spécialisées dans les données et l’intelligence artificielle.
Avec l’essor des plateformes d’IA dans la quatrième révolution industrielle, la gestion et la protection des données deviennent des enjeux cruciaux pour la cybersécurité nationale. Comment le Royaume-Uni et le Vietnam peuvent-ils collaborer sur cette question essentielle ?
La cybersécurité est un sujet fondamental. D’un côté, l’ère numérique nous apporte des bénéfices considérables grâce à l’accès aux données et aux connexions en ligne. De l’autre, elle expose les individus et les organisations à des risques croissants. Lorsque ma génération était plus jeune, la technologie était relativement simple. Mais au fil des années, elle a explosé et nous avons dû apprendre à nous protéger dans un environnement numérique de plus en plus complexe.
Aujourd’hui, il est crucial que les utilisateurs comprennent le fonctionnement des plateformes technologiques, leurs capacités et les implications en matière de sécurité.
Le gouvernement britannique met un point d’honneur à sensibiliser et à former les citoyens aux bonnes pratiques numériques. Nous investissons dans des campagnes d’éducation pour aider les utilisateurs à naviguer sur Internet en toute sécurité, à comprendre l’usage de leurs données et à se protéger contre les menaces. Parallèlement, nous appliquons des cadres réglementaires stricts pour garantir la protection des données des utilisateurs.
La cybersécurité est une responsabilité partagée entre le secteur public et le secteur privé. Le secteur public doit définir des lois et des réglementations précises sur la collecte, le stockage et l’exploitation des données personnelles, tandis que le secteur privé doit respecter ces réglementations avec rigueur et responsabilité, tout en veillant à la durabilité de leurs activités. Il en va de leur réputation et de leur viabilité économique.
Nous avons tous constaté l’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle en 2023 et au début de 2024. Certaines innovations ont été particulièrement impressionnantes. Mais il ne faut pas oublier que la réglementation et la sécurité suivent souvent un temps de retard sur la technologie elle-même. De nombreux gouvernements s’efforcent de faire face à ces défis, mais une coopération internationale est essentielle. En 2024, le Royaume-Uni a organisé un sommet mondial sur l’intelligence artificielle pour discuter des opportunités et des risques liés à cette technologie. À l’image d’autres pays, le Vietnam devra également anticiper les bouleversements liés à l’IA, y compris les risques inattendus qu’elle peut engendrer.
Cela dit, il est important de trouver un équilibre entre sécurité et innovation. Les cadres réglementaires ne doivent pas freiner les avantages offerts par l’exploitation des données. Par exemple, les investisseurs étrangers qui souhaitent s’implanter au Royaume-Uni ou au Vietnam ont besoin d’un accès transparent aux données du marché pour prendre des décisions éclairées. Les données doivent donc être utilisées de manière responsable au bénéfice des citoyens et de la société.
L’éducation a toujours été un domaine clé de coopération entre le Royaume-Uni et le Vietnam. Dans cette phase cruciale, quelles initiatives votre pays prévoit-il pour soutenir la formation des talents scientifiques et technologiques au Vietnam ?
Nous sommes ravis que le Royaume-Uni soit une destination privilégiée pour de nombreux étudiants vietnamiens, notamment dans les disciplines STEM. Chaque année, notre gouvernement attribue plus de 20 bourses de master Chevening aux étudiants vietnamiens. J’encourage vivement les talents en STEM à explorer cette opportunité et à candidater. Les inscriptions pour l’année universitaire 2026/2027 ouvriront en août de cette année sur chevening.org/vietnam.
Au niveau universitaire, plusieurs établissements britanniques et vietnamiens ont mis en place des programmes de formation conjointe, permettant aux étudiants vietnamiens d’obtenir des diplômes britanniques via des parcours flexibles.
En matière de coopération scientifique et technologique, le Fonds de Partenariat Scientifique International (ISPF) joue un rôle central dans le développement des échanges entre nos deux pays. L’initiative "Tài năng tương lai" (Talents du futur) constitue l’un des quatre piliers de ce programme.
Dans le cadre de l’ISPF, le Royaume-Uni a déployé plusieurs initiatives pour soutenir le développement des ressources humaines au Vietnam. Il fournit des formations sur les compétences en recherche, la commercialisation des technologies et le développement de carrière pour les chercheurs ; des bourses postdoctorales au Royaume-Uni pour renforcer l’expertise scientifique ; des voyages d’étude et des visites institutionnelles pour les responsables du secteur entre nos deux pays.
Depuis son lancement il y a un an et demi, l’ISPF a déjà engagé environ 3 millions de livres sterling pour financer 52 subventions, dont 16 projets de recherche conjoints dans des domaines clés tels que la santé, l’agriculture, l’environnement et la transformation numérique.
L’apprentissage sur le terrain, à travers ces projets collaboratifs, permet non seulement aux scientifiques de partager des connaissances et des compétences techniques, mais aussi d’adopter des standards de travail professionnels et éthiques à l’échelle internationale.
Cependant, deux défis majeurs subsistent : garantir un financement durable pour ces initiatives et créer un environnement favorable aux talents afin de faciliter les échanges et la coopération entre experts vietnamiens et britanniques.
Journaliste : Merci, Monsieur l’Ambassadeur, et bonne année !