C'est pourquoi de jeunes Vietnamiens au Royaume-Uni ont créé la maison d'édition Major Books et ont encouragé la traduction, la publication et la distribution de nombreux ouvrages littéraires vietnamiens au Royaume-Uni.
Nous vous présentons ci-dessous l’entretien accordé au Journal Nhân Dân par Tran Thuy Thien Kim, directrice général et cofondatrice de Major Books, basée à Londres.
Journaliste : Major Books est encore peu connue au Vietnam. Pouvez-vous nous présenter brièvement ses objectifs, son orientation et ses premières activités ?
Tran Thuy Thien Kim : Major Books est une maison d’édition indépendante basée à Londres, dont la mission est de présenter et promouvoir la littérature vietnamienne au public littéraire international.
Le nom « Major Books », que l’on peut comprendre comme « Grands Livres » ou « Livres essentiels », a été choisi comme une réponse directe aux hiérarchies implicites entre les littératures, encore très présentes dans l’industrie de l’édition occidentale.

Fondée fin 2022, Major Books a connu quelques succès notables, comme le prix de traduction PEN pour la version anglaise de Biên sử nước (Water - A Chronicle) de Nguyen Ngoc Tu, ou encore une série de trois ouvrages mettant en lumière les figures féminines vietnamiennes à travers trois périodes littéraires (pré-moderne, coloniale et contemporaine), avec l'aide du Arts Council England.
Jounaliste : Comment les membres de Majorbooks se sont-ils formés ? Votre domaine d'études est-il lié à l'édition ? Et pourquoi avoir choisi un secteur comme celui-ci, peu lucratif, alors que nombre de jeunes Vietnamiens à l’étranger s’orientent vers des carrières mieux rémunérées ?
Tran Thuy Thien Kim : Nous sommes trois membres principaux âgés de 21 à 35 ans. Pour ma part, je viens du domaine littéraire, donc ce n’est pas un saut trop audacieux. Major Books a la chance d’avoir un partenaire au Vietnam : la société d’édition et de communication San Ho Books.
Ayant eu l'opportunité de travail et de gestion chez San Ho Books pendant près de quatre ans, j'ai beaucoup appris et reçu un soutien généreux de la part de mes collègues et prédécesseurs.
Votre question touche à une réalité que personne ne veut aborder : la dureté du secteur de l'édition.
Au Royaume-Uni comme aux États-Unis, les plateformes de discussion des professionnels de l’édition sont remplies de témoignages d’épuisement, de découragement, voire de départs.
Les salaires moyens dans l’édition y sont parmi les plus bas, ce qui rend la vie difficile pour les jeunes, et quasiment impossible d’économiser. C’est pour cela que beaucoup quittent le secteur après quelques années. Ce constat dépasse les frontières britanniques : c’est un phénomène global.
En fin de compte, je pense que tous ceux qui se lancent dans l'industrie du livre ont l'amour des livres, le désir d'apporter de la joie aux autres comme les livres leur ont apporté à eux-mêmes. Mais l’édition reste une industrie. Oublions le fait qu'il existe des types de livres plus « commercialisables » ou plus « faciles à vendre » que d'autres, mais, en général, les livres sont un bien essentiel, mais pas indispensable dans la vie quotidienne.
En tant qu'éditeur, personne ne souhaite fixer un prix d'accès au savoir trop élevé. Ainsi, la plupart du temps, le prix de vente d'un livre ne reflète pas le véritable investissement qu'il représente. Derrière un livre complet et bien conçu se cache un processus collaboratif, avec d'innombrables coûts et des étapes invisibles.

À moins de vendre des milliers d'exemplaires, le bénéfice d'une maison d'édition ou d'un éditeur indépendant est généralement très faible, voire inexistant.
Il leur faut continuer à produire les prochains livres, avec une qualité toujours plus grande. En retour, faire ce que l'on aime, penser que ce petit livre peut toucher quelqu'un, lui apporter la joie que l'on a éprouvée, est peut-être suffisant pour fidéliser, ou pour inciter davantage de gens à s'engager dans cette voie, du moins à mon avis.
Journaliste : Major Books publie aussi bien des classiques vietnamiens (Truyện Kiều, Contes populaires vietnamiens) que des œuvres modernes (Biên sử nước, Làm đĩ de Vu Trong Phung). Quelle est votre vision à travers ces choix ?
Tran Thuy Thien Kim : Certes, nous avons un grand rêve, mais nous osons seulement dire que nous poserons chaque petite pierre comme fondation de ce rêve, à travers chaque livre.
Ce rêve est sans doute né d’un sentiment d’injustice silencieuse accumulé pendant mes dix années d’études à l’étranger. Ce sentiment est né dans un amphithéâtre d’une université de renom, en réalisant que la littérature vietnamienne, comme tant d’autres hors du cercle restreint des grandes langues (anglais, français, allemand, italien, russe, espagnol), est reléguée dans la catégorie des littératures « minoritaires », alors que les peuples dits « minoritaires » constituent en réalité la majorité globale de la population mondiale.
Ce sentiment s’est aussi nourri des interactions quotidiennes avec des amis étrangers, pour qui le Vietnam évoque uniquement le pho, le banh mi, le café ou la guerre.
Nous possédons une littérature et une culture remarquables qui, nous en sommes convaincus, intéresseront et enthousiasmeront la communauté internationale. Il suffit de leur donner l'occasion d'y accéder, comme nous l'avons fait pour la littérature étrangère.
Journaliste : Tout en s’efforçant de faire découvrir la littérature vietnamienne aux lecteurs anglophones, Major Books s’efforce également de présenter des œuvres littéraires anglaises de qualité aux lecteurs vietnamiens. Il s’agit d’une tendance intéressante et unique, mais qui nécessite des précisions. Comment Major Books résout-elle ce problème ?
Tran Thuy Thien Kim : À travers San Ho Books, nous souhaitons proposer au public vietnamien des œuvres de qualité, choisies pour leur valeur littéraire, humaniste et intellectuelle, plutôt que leur potentiel commercial. Nous savons que ce choix est risqué, mais s’il peut apporter du sens et de la beauté au lecteur, alors cela suffit.

De plus, grâce à la collaboration entre San Ho et le concours de Nouvelles Écritures, Major Books est une unité capable de recevoir et de publier des livres non seulement au Vietnam, mais aussi à l’international.
Nous espérons que les plumes vietnamiennes seront davantage motivées à continuer d’écrire, à croire en la littérature, à insuffler des perspectives nouvelles à la littérature vietnamienne.
Journaliste : Pour décider de publier un livre, Major Books accorde-t-elle une grande importance à l’original et à la qualité de la traduction ? Comment abordez-vous la question de la fidélité au contexte culturel et historique ?
Tran Thuy Thien Kim : La littérature vietnamienne est encore peu connue du grand public étranger. Nous faisons donc tout pour permettre une lecture la plus complète possible. Pour nous, cela signifie que la traduction doit transmettre l’esprit du texte original vietnamien, tant sur les plans culturel et historique que linguistique. C’est pourquoi nous privilégions les traducteurs vietnamiens de langue maternelle.
Dans l’édition occidentale, on met souvent en avant la langue cible (généralement l’anglais) au détriment de la langue d’origine, ce qui marginalise les traducteurs issus de cette dernière. Je ne partage pas cette approche, car elle minimise la richesse de la langue d’origine.
Avec l’intégration culturelle mondiale, l’histoire des migrations et le développement rapide de la langue anglaise, l’approche de la traduction doit également être repensée.
Je choisis nos traducteurs en toute confiance, car ils possèdent non seulement la sensibilité linguistique nécessaire, mais aussi un respect et une profonde compréhension pour les textes vietnamiens.
Journaliste : Les ouvrages publiés par Major Books sont désormais disponibles dans plusieurs librairies occidentales, ainsi que sur des plateformes comme Amazon ou Asterism Books. Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Tran Thuy Thien Kim : Après quatre livres pour adultes, nous souhaitons nous adresser aux jeunes lecteurs.

Nous préparons une édition illustrée de onze contes issus du Trésor des contes populaires vietnamiens de l’auteur Nguyen Dong Chi, traduits en anglais et magnifiquement illustrés par Jeet Zdung, le premier artiste vietnamien à recevoir la prestigieuse médaille Carnegie.
Nous publierons également un livre illustré documentaire sur les coutumes du Tet traditionnel à travers le pays, « Muon mien Tet ».
Ce projet vise non seulement à faire rayonner la littérature et les traditions vietnamiennes, mais aussi à offrir aux enfants de la diaspora un moyen de préserver leur culture malgré la barrière linguistique.
Nous avons planifié une série d’événements à Londres et Hanoi avec Jeet Zdung, Tuyet Van Huynh (productrice multidisciplinaire anglo-vietnamienne), le Museum of the Home, et l’incubateur de start-up de l’University College London.
Ce sera notre grand projet pour 2025. Nous espérons obtenir le soutien du Arts Council England et du British Council, mais restons aussi ouverts à tout autre appui. Parfois, un simple mot d’encouragement suffit à nous faire avancer.
Journaliste : Merci pour cet échange riche et inspirant.
Tran Thuy Thien Kim, née en 1997 à Hanoi ; titulaire d'une licence en littérature comparée de l'University College London, d'un master en cinéma documentaire et en ethnographie/anthropologie descriptive de l'University College London. Elle est actuellement directrice générale responsable de l'édition et cofondatrice de Major Books.