Une visite historique pour bâtir l’avenir : la France et le Vietnam à un tournant stratégique

Dans le cadre de la visite d’État du président Emmanuel Macron au Vietnam en mai 2025, le correspondant du journal Nhân Dân en France a eu l’occasion d’interroger le professeur Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, spécialiste reconnu des relations franco-vietnamiennes, sur les enjeux et perspectives de ce partenariat stratégique. 
Le professeur Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, spécialiste reconnu des relations franco-vietnamiennes.
Le professeur Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, spécialiste reconnu des relations franco-vietnamiennes.

La visite d’État du président Emmanuel Macron au Vietnam en mai 2025 marque une étape majeure dans les relations franco-vietnamiennes. Il s'agit de la première visite du chef de l’État français depuis son arrivée au pouvoir en 2017 et de la cinquième visite d’un président de la République française en trente ans.

Cette visite intervient dans un contexte bilatéral et international particulièrement favorable, propice à une relance ambitieuse et durable du partenariat entre les deux pays.

Une visite à haute portée symbolique et stratégique

Sur le plan bilatéral, cette visite survient à peine huit mois après celle en France du Secrétaire général du Parti communiste vietnamien, To Lam, au cours de laquelle a été actée l’élévation du partenariat stratégique signé en 2013 en un partenariat stratégique global. Il s’agit du huitième du genre signé par le Vietnam depuis 2008, mais du tout premier avec un pays européen. Cette décision reflète la volonté des deux États de consolider une relation déjà ancienne et dynamique.

Le mois de décembre 2024 a vu la tenue du tout premier Dialogue maritime bilatéral entre les ministères des Affaires étrangères des deux pays, illustrant l’élargissement des domaines de coopération.

Cette dynamique traduit l’ampleur et la diversité des liens franco-vietnamiens : coopération politique, défense, diplomatie, développement durable, éducation, culture, économie, santé, et notamment coopération décentralisée entre collectivités locales. Ce socle relationnel repose sur une lecture assumée et constructive de l’histoire partagée, y compris de ses épisodes les plus douloureux.

Preuve de cette volonté commune de réconciliation, deux membres du gouvernement français – le ministre des Armées Sébastien Lecornu et la secrétaire d’État à la Mémoire Patricia Mirallès (devenue depuis ministre) – ont participé le 7 mai 2024 aux cérémonies commémoratives du 70e anniversaire de la bataille de Diên Biên Phu. Une première dans l’histoire bilatérale franco-vietnamienne.

Une convergence de principes dans un monde instable

Dans un contexte international marqué par la montée des tensions, où la loi du plus fort tend à supplanter le droit international, la France et le Vietnam apparaissent comme des partenaires naturels. La France, puissance de l’Union européenne aux ambitions indopacifiques affirmées, et le Vietnam, acteur diplomatique majeur de l’ASEAN grâce à sa "diplomatie du bambou", partagent une même volonté : préserver les équilibres multilatéraux, défendre la souveraineté des États, respecter le droit international maritime, et œuvrer pour la paix.

Le professeur Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3.
Le professeur Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3.

Cette convergence stratégique globale offre aujourd’hui des perspectives prometteuses à l’heure où les tensions géopolitiques mondiales appellent à la coopération entre États responsables.

Une relation riche, diversifiée et structurée

Le premier point fort de la relation franco-vietnamienne réside dans la diversité des acteurs impliqués, avec une pluralité d’échanges et d’initiatives dans tous les domaines : diplomatie, culture, économie, justice, environnement, recherche, etc.

Le deuxième pilier de cette relation est la coopération dans les secteurs clefs pour le développement humain, tels que la santé et l’enseignement supérieur.

Dans ce cadre, l’Université des Sciences et Technologies de Hanoï (USTH), fondée en 2012, a formé 200 chercheurs et accueille aujourd’hui 5 000 étudiants. Le Programme de Formation d’Ingénieurs d’Excellence du Vietnam (PFIEV) compte plus de 9 000 diplômés, tandis que le Centre franco-vietnamien de formation à la gestion (CFVG) a formé plus de 5 000 étudiants vietnamiens.

Le développement durable s’affirme également comme un domaine stratégique de coopération. La France, à travers l’Agence Française de Développement (AFD), soutient activement la transition verte du Vietnam, l’un des pays les plus exposés aux effets du changement climatique. Avec 16,7 milliards d’euros de prêts préférentiels accordés entre 1993 et 2022, la France est le premier bailleur bilatéral d’aide publique au développement au Vietnam.

Des relations économiques à renforcer

Malgré cette base solide, les relations économiques et commerciales entre les deux pays demeurent en deçà de leur potentiel. Les exportations françaises sont concentrées autour de quelques secteurs dominés par de grandes entreprises : aéronautique, pharmaceutique, agroalimentaire…

Une plus grande diversification des acteurs est souhaitable, notamment en soutenant les PME françaises présentes au Vietnam comme Openasia, Apple Tree, Archétype, Phénix Voyages ou encore Marou Faiseurs de Chocolat.

Culture et perspectives : vers un nouvel élan

Le professeur Pierre Journoud insiste aussi sur l’importance du facteur culturel dans l’atonie des relations économiques. Pour inverser cette tendance, il faut créer un cercle vertueux liant économie, culture et éducation. Cela passe par le développement de formations universitaires croisées, la promotion de l’installation de sièges sociaux d’entreprises vietnamiennes en France, et un soutien actif à la mobilité étudiante et entrepreneuriale.

La France a un rôle à jouer pour faciliter la ratification de l’accord de protection des investissements entre l’Union européenne et le Vietnam. Il est aussi essentiel de lever les obstacles à l’application de l’accord de libre-échange (EVFTA) signé en 2020 et d’œuvrer à la suppression du « carton jaune » imposé par l’UE sur les produits de la mer vietnamiens.

La visite du président Macron représente une occasion précieuse de faire évoluer la relation franco-vietnamienne vers une coopération moderne, équilibrée et orientée vers l’avenir.

Éducation, transition énergétique, recherche, innovation, infrastructures, aéronautique, spatial, nucléaire civil… autant de domaines dans lesquels les deux pays peuvent bâtir un partenariat stratégique sur le long terme.

Mais pour cela, il faudra repenser en profondeur les instruments de coopération, souvent hérités des années 1990, et les adapter aux enjeux du XXIe siècle.