Agir pour une francophonie universitaire solidaire engagée dans le développement

Cela fait trois décennies que l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) tient son engagement continu en Asie-Pacifique. Elle lui offre de nombreuses opportunités éducatives et de coopération scientifique. Entretien exclusif avec le Prof. Laurent Sermet, directeur AUF - Asie-Pacifique.
Le Prof. Laurent Sermet, directeur régional de l’AUF Asie-Pacifique, lors d’un entretien exclusif accordé au Courrier du Vietnam. Photo : Hà Quynh/CVN.
Le Prof. Laurent Sermet, directeur régional de l’AUF Asie-Pacifique, lors d’un entretien exclusif accordé au Courrier du Vietnam. Photo : Hà Quynh/CVN.

L’AUF a fêté en 2023 ses 30 ans d’engagement continu en Asie-Pacifique par une série d’activités. Pourriez-vous nous faire part du bilan des événements organisés dans le cadre de cette célébration ?

L’année 2023 revêtait une importance particulière pour notre direction régionale en Asie-Pacifique.

En mars, le recteur de Paris et la vice-rectrice de Montréal sont venus pour la première fois après la longue période de COVID-19, qui a eu des impacts extrêmement préjudiciables sur le fonctionnement des universités. À cette occasion, le Centre numérique francophone (CNF) a été inauguré dans les magnifiques locaux où vous vous trouvez aujourd’hui.

En octobre, le recteur est retourné à Phnom Penh, au Cambodge, où nous avons assisté à la création de la nouvelle CONFRASIE - Conférence régionale des recteurs. Nous avons un nouveau président et un nouveau règlement intérieur. Également à Phnom Penh, nous avons organisé le premier Congrès régional de la jeunesse francophone, rassemblant des représentants de toute l’Asie, pour discuter de leurs enjeux et défis.

En décembre, nous avons également organisé à Hanoï une cérémonie pour fêter les 30 ans de l’AUF en Asie-Pacifique.

Inauguration du Centre numérique francophone (CNF), installé au sein de l’Université des sciences et technologies de Hanoï - HUST (École polytechnique de Hanoï), en mars 2023. Photo : AUF/CVN.
Inauguration du Centre numérique francophone (CNF), installé au sein de l’Université des sciences et technologies de Hanoï - HUST (École polytechnique de Hanoï), en mars 2023. Photo : AUF/CVN.

En bref, une série d’activités de célébration marquant ce jalon important s’est tenue à la fois à Phnom Penh et à Hanoï.

Quelle est l’évolution marquante de l’AUF après ses trois décennies d’implantation en Asie-Pacifique ?

Évidemment, je tiens à souligner que le Vietnam a été le premier à nous accueillir, et nous exprimons toute notre gratitude envers le pays pour avoir initié le premier geste d’accueil envers l’AUF.

En février 1993, le président français de l’époque, François Mitterrand, a été le premier chef d’État occidental à visiter le Vietnam (depuis la réunification du pays en 1975) et le Cambodge, ouvrant ainsi la voie à la coopération internationale, dont celle de l’AUF. En effet, nous avions signé un protocole d’accord ici au Vietnam en mars de la même année.

Aujourd’hui, l’AUF n’est plus du tout la même en termes de mission et d’approche envers la francophonie. À ses débuts, sous l’impulsion du recteur Michel Guillou, elle avait comme objectif la promotion des classes bilingues, le soutien aux étudiants avec des formations en français, des filières francophones, des bourses, des masters, ainsi que des stages en France pour les enseignants et enseignants-chercheurs. À l’époque, l’AUF était fortement axée sur la diffusion de la langue française.

En 2023, sous la direction du nouveau recteur, nous sommes devenus une agence de promotion des bonnes pratiques dans l’enseignement supérieur. C’est une transformation radicale, répondant à l’agenda fixé par l’UNESCO pour un enseignement supérieur moderne. Ce qui est crucial actuellement, ce n’est plus le soutien individuel aux étudiants, ni une simple bourse ou un master. C’est plutôt une vision globale de ce que doivent être les universités aujourd’hui. Je pense que c’est la transformation profonde de l’AUF.

De plus, il est à noter que nos partenaires financiers nous soutiennent, avec une hausse de 40% de notre budget ces dernières années. Cependant, il est également vrai que cette croissance du budget va de pair avec une augmentation significative de nos activités.

Dans les temps à venir, quels seront les volets prioritaires du plan d’action de votre direction régionale, en particulier les projets mis en place au Vietnam ?

Le premier que je souhaite mentionner est un nouveau projet pour la Francophonie : le Programme international de mobilité et d’employabilité francophone (PIMEF). Il s’agit de permettre aux étudiants, dans un premier temps, mais aussi à leurs enseignants, plus de mobilité. Cependant, le projet se heurte à divers problèmes importants, tels que ceux de visa, de financement et de reconnaissance des diplômes. Donc, ce que l’AUF souhaite mettre en place doit absolument avoir le soutien des ministres et, plus encore, des chefs d’État et de gouvernement.

En 2024, le Sommet de la Francophonie se tiendra en France en octobre prochain. Ce sera l’occasion pour l’AUF de présenter officiellement aux chefs d’État et de gouvernement cet Erasmus francophone, pour qu’il soit validé au profit des étudiants, avec l’opportunité d’avoir des lieux de mobilité en dehors de ce qui était classiquement une mobilité Vietnam - France ou Cambodge - France. Il s’agit maintenant d’exploiter toute la francophonie, tous les lieux de l’espace francophone dans le cadre de ce PIMEF. C’est un très grand projet qui est en cours et qui aboutira à moyen terme. Cela nécessite que tous les acteurs du monde éducatif convergent, du politique aux universités en passant par les étudiants qui s’engageront dans la francophonie académique.

Un autre projet que nous avons initié, et qui a débuté en 2022, consiste à voir les étudiants non pas simplement à travers le prisme de leurs études, mais à travers celui de leur vie sociale. C’est ce que nous appelons la “Jeunesse”. Aujourd’hui, être étudiant ne se résume pas seulement à ses résultats académiques et son cursus universitaire, mais englobe également sa vie associative, ses liens sociaux et les projets qu’il entreprend, montrant ainsi qu’il est un jeune adulte responsable, prêt à s’insérer professionnellement et socialement. Nous avons donc tout un programme Jeunesse qui est en cours.

Enfin, une autre orientation dans laquelle l’AUF s’investit depuis plusieurs années et continuera à la faire, en allouant une partie très conséquente du budget des activités que nous menons, est l’employabilité. Les études doivent servir aux étudiants pour avoir un métier qui leur convient, et non pas un métier subi. Il s’agit d’un métier rémunérateur qui contribue au développement du pays.

Comment l’AUF Asie-Pacifique renforcera-t-elle les coopérations scientifiques entre les établissements dans la région ?

Là, vous mettez également en avant un renouveau de la politique de l’AUF. D’abord, lors de la 14e Assemblée générale de la CONFRASIE (devenue désormais C2R), à Phnom Penh, nous avons lancé une commission dédiée à la recherche et l’éthique. Nous souhaitons en effet aborder la question de l’impact de l’intelligence artificielle : est-elle au service ou, au contraire, contre la recherche ? Depuis la décision de créer cette commission, nous avons un champ d’activités que nous voulons explorer : l’intelligence artificielle, facilitateur ou destructeur de la recherche ?

Ensuite, au niveau mondial, l’AUF a mis en place l’Académie internationale de la francophonie scientifique - AIFS. Inaugurée en mars 2023 à Rabat, capitale du Maroc, sa mission principale est notamment de permettre aux jeunes chercheurs de publier en français. Il est crucial que les publications des jeunes chercheurs d’Asie, d’Afrique et d’Europe soient reconnues et validées en cette langue.

Enfin, bien évidemment, en ce qui concerne les projets de recherche pour l’année 2024, nous prévoyons le lancement des États généraux de la recherche en Asie du Sud-Est. Nous voulons veiller à ce qu’ils rendent compte des activités des chercheurs francophones dans la région, afin qu’ils expliquent ce qu’ils font, dans quel contexte, quels sont leurs besoins et quelles sont leurs perspectives.

L’AUF a aussi mis en œuvre de nombreux projets portant sur la gouvernance universitaire. Que pensez-vous des établissements vietnamiens qui deviennent progressivement plus autonomes et dynamiques ?

L’autonomie permet à une équipe universitaire de disposer d’un budget et d’établir des objectifs, tout en rendant compte de manière régulière des aspects positifs et négatifs. Bien entendu, l’AUF ne peut que soutenir les universités dans leur quête d’autonomie à travers divers projets. Nous les accompagnons pour réfléchir et mettre en pratique les principes de bonne gouvernance. Et je souhaite vous partager deux exemples qui nous tiennent particulièrement à cœur et que je présenterai très prochainement à l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) à Hanoï.

Photo : AUF/CVN.
Photo : AUF/CVN.

Le premier projet consiste à inciter les universités vietnamiennes et de la région à s’engager dans la décarbonisation de leurs activités. Il s’agit de promouvoir une réflexion et des actions visant à les rendre plus respectueuses de l’environnement, à réduire leur impact carbone. Cela implique de repenser les déplacements aériens, d’organiser des conférences privilégiant les moyens de communication à distance plutôt que les transports aériens par exemple. L’objectif est de favoriser l’émergence d’universités à empreinte carbone neutre. C’est une question de gouvernance que l’AUF et les universités vietnamiennes souhaitent mettre en œuvre, avec si possible le soutien financier de l’UE. Nous sommes conscients de l’importance de cet enjeu climatique, auquel nous sommes tous, dont les universités, responsables.

Le deuxième volet de gouvernance que nous souhaitons promouvoir et soutenir concerne les Objectifs de développement durable (ODD). Nous avons actuellement un projet bien avancé visant à inciter les universités à intégrer les ODD dans leurs plans de gouvernance et de développement, leurs programmes d’enseignement, leurs politiques éducatives et leurs activités de recherche. L’idée est que les ODD deviennent une feuille de route pour les universités en matière de gouvernance, d’éducation, de recherche, de jeunesse, etc.