En sillonnant le quartier chinois de Cho Lon – Grand marché, on trouve de temps en temps des ruelles et impasses avec, au-dessus de l’entrée, des caractères chinois sculptés et peints en rouge que l’on peut traduire en vietnamien : Dich An ly, Tô Châu ly, Thai Hô hang, Phuong Thê Cac hang, Tùng Quê phuong... Il s’agit de ruelles et impasses des Chinois d’autrefois
Dès leur immigration au Sud du Vietnam vers la fin du XVII siècle, les Chinois ont apporté avec eux leurs coutumes qu’ils ont transmises de génération en génération. Les ruelles et impasses où ils ont vécu et travaillé sont typiques de leur conception de l’aménagement et de l’architecture de l’environnement de vie.
Ces noms ne sont pas abstraits ou arbitraires, il s’agit de celui d’une personne ou d’une région, alors que les autres ruelles de Hô Chi Minh-Ville portent habituellement un numéro. Par exemple la ruelle Hào Sy phuong, au N° 206, rue Trân Hung Dao dans le 5e arrondissement, abritait autrefois les ouvriers originaires de Chaozhou travaillant pour un patron, Hào Sy, selon une vieille dame elle aussi originaire de cette localité, qui vend aujourd’hui du thé à l’entrée de la ruelle. Conformément aux usages d’alors, lorsqu’un patron chinois développait l’envergure de sa production, il construisait des maisons pour ses ouvriers et leurs familles, regroupées dans des ruelles portant le nom du pays natal du personnel, tels que Thai Hô, Tô Châu, Dich An, Công Hoà... Cela permettait à tous de savoir immédiatement dans quelles communautés il se trouvait, ou de trouver une corporation de métiers...
Pour comprendre les mots «ly», «hang» ou «phuong» qui terminent le nom de ces ruelles et impasses (Dich An ly, Tô Châu ly, Thai Hô hang, Phuong Thê Cac hang, Tùng Quê phuong...), il faut recourir à un spécialiste. Selon le Docteur Phan An de l’Institut des sciences sociales du Sud, ces mots ne sont pas du vietnamien mais du chinois phonétisé en vietnamien. Ainsi, «ly» signifie «village», «hameau». Il désigne en fait une petite agglomération rurale de quelques dizaines de foyers. «Hang» est une agglomération rurale aussi mais plus petite que la précédente, avec moins de dix familles. Quant à «phuong», il signifie «corporation», c’est-à-dire une profession organisée, structurée, possédant ses propres règles.
Autrefois, aujourd’hui...
Aujourd’hui, le flâneur peut découvrir de telles ruelles et impasses dont les noms à la syntaxe chinoise se terminent par «ly», «hang», «phuong»..., débouchant sur les rues Trân Hung Dao, Nguyên Trai, Hoc Lac... du 5e arrondissement. Peu d’entre elles comptent encore des gens d’origine chinoise, beaucoup ayant déménagé ou quitté le pays après avoir vendu leur domicile. Aujourd’hui, celles qui abritent 80% à 90% de leurs habitants d’origine chinoise ne se comptent plus que sur les doigts.
Mais ces familles aux racines chinoises ont conservé leurs traditions. Ainsi, la ruelle Triêu Thuong dont l’entrée est au 257, rue Cao Van Lâu dans le 6e arrondissement, abrite 15 familles, elles aussi originaires de Chaozhou. Elles ont conservé leurs usages, y compris dans le commerce puisque la plupart travaillent au marché de Binh Tây. Tous leurs membres, même les enfants, parlent encore le dialecte local de Chaozhou. Une communauté qui n’est cependant pas repliée sur elle-même, les mariages avec un Vietnamien n’étant pas rares, mais les enfants de ces couples conservent leur langue maternelle...
De même, la ruelle Tuê Hoa dont l’entrée est au 741, rue Nguyên Trai dans le 5e arrondissement, possède toujours sept anciennes maisons typiquement chinoises, avec portail en bois surmonté d’un étage en bois aussi, donnant sur une petite cour intérieure avant d’accéder à l’habitation principale. Des papiers votifs de couleurs rouges portant des caractères chinois écrits en noir sont toujours collés sur les piliers ou au-dessus du portail, lesquels souhaitent santé et prospérité ou détournent le mauvais sort des propriétaires. Là, trois ou quatre générations vivent sous un même toit, des plus jeunes aux octogénaires, et chaque soir, après le dîner, on va s’asseoir sur les sièges en pierre devant la maison pour discuter avant d’aller se coucher, comme c’est l’usage depuis toujours...
Le quartier chinois de Cho Lon est l’objet depuis peu d’un projet de restauration et de préservation qui a été déposé au Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville par le Service municipal d’aménagement urbain et d’architecture. Apprenant cela, de nombreux habitants du quartier ont indiqué qu’ils veulent demeurer chez eux, souhaitant donc que ce projet ne fasse pas de ce quartier un site touristique comme cela a été le cas pour d’autres quartiers similaires dans plusieurs pays de la région.
Photo: Nhân Dân.