La pierre a été fouillée sur le site archéologique d'Oc Eo, dans le delta du Mékong. Même après 2 000 ans, elle sent encore la noix de muscade.
Un ustensile de cuisine - à peu près de la taille et de la forme d'une enclume - se servait probablement à moudre des épices avec d'autres ingrédients familiers qu’on trouve dans les currys d'aujourd'hui.
La découverte, rapportée dans la revue Sciences, représente les premières épices en Asie du Sud-Est. Cela suggère également que les Indiens ont peut-être introduit leurs traditions culinaires dans cette région il y a des millénaires.
« Depuis des décennies, nous connaissons la forte influence de l'Inde sur les communautés d'Asie du Sud-Est. Cette nouvelle étude a prouvé que cette influence s'étend également sur le secteur culinaire. »
Charles Higham, archéologue à l'Université d'Otago (Nouvelle-Zélande)
Nguyen Khanh Trung Kien, archéologue venu de l'Institut des sciences sociales du Sud relevant de l’Académie vietnamienne des sciences sociales, s'intéresse particulièrement à un ensemble d'outils en pierre qui avaient été utilisés peut-être pour le traitement des épices.
Son équipe a découvert que des traces microscopiques de matières végétales étaient encore attachées aux outils, y compris un grand nombre de particules d'amidon.
Après avoir soigneusement examiné les grains au microscope et les avoir comparés avec des échantillons de plus de 200 espèces, lui et ses collègues ont identifié huit épices différentes, dont le curcuma, le gingembre et la racine de doigt, le gingembre des sables, le galanga, le clou de girofle, la muscade et la cannelle.
Même après 2000 ans, avec juste une graine, nous sentons toujours la saveur caractéristique de la noix de muscade. Ces épices sont aujourd'hui des ingrédients indispensables à la préparation des currys indiens. Parmi celles-ci, certaines n'étaient pas cultivées au Vietnam pendant cette époque-là, mais uniquement dans le sud de l'Inde.
Hsiao-chun Hung, archéologue à l'Université nationale australienne (ANU) qui a collaboré avec Kien pour mettre en œuvre ce projet, a déclaré que la préservation des vestiges botaniques à Oc Eo était très spéciale.
Elle pense que le climat humide au Sud du Vietnam a contribué à protéger les reliques.
« Lorsque nous avons découvert pour la première fois les granules d'amidon dans la boue, elles avaient l'air si frais qu'il était difficile de croire qu'ils avaient près de 2 000 ans. »
Hsiao-chun Hung, archéologue à l'Université nationale australienne
Les scientifiques ont trouvé de nombreuses épices à Oc Eo, telles que les clous de girofle et la noix de muscade, qui sont originaires d'Asie du Sud et de l'est de l'Indonésie.
Leur présence dans une ancienne ville vietnamienne montre que les habitants de ces régions ont introduit leurs recettes traditionnelles en Asie du Sud-Est au cours des premiers siècles de notre ère. Pour certains, ce trajet était long de plusieurs milliers de kilomètres.
« Il s'agit de la première étude de ce genre. »
Peter Bellwood, archéologue à l'ANU
Les historiens ont soupçonné depuis longtemps l'existence de premiers contacts commerciaux entre l'Asie du Sud et le Founan, a-t-il expliqué.
« La recette du curry utilisée aujourd'hui n'est pas très différente de celle trouvée à l'ancien Oc Eo. Du curcuma, de la girofle et de la cannelle sont toujours utilisés au fil des siècles. Cette continuité met en évidence la nature durable des saveurs de curry dans la cuisine vietnamienne. Près de 2 000 ans après le début des échanges culturels entre l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-Est, nous pouvons encore goûter et sentir son héritage. »
Nguyen Khanh Trung Kien, archéologue venu de l'Institut des sciences sociales du Sud relevant de l’Académie vietnamienne des sciences sociales