C’est la recommandation formulée par Nguyen Ba Hung, économiste en chef de la Banque asiatique de développement (BAD) au Vietnam, lors d’un entretien accordé au Journal Nhân Dân, à l’occasion de la présentation, le 11 juin, par le gouvernement, d’un projet de Résolution de l’Assemblée nationale (AN) sur la création d’un Centre financier international au Vietnam.
Journaliste : Le gouvernement vietnamien vient de soumettre à l’Assemblée nationale un projet de Résolution sur le développement d’un Centre financier international au Vietnam. Selon le projet, les villes de Ho Chi Minh-Ville et de Da Nang sont pressenties pour accueillir ce Centre. Quels sont, selon vous, les atouts stratégiques de chacune de ces villes pour porter un tel projet ?
Nguyen Ba Hung :
Le développement d’un centre financier dépend à la fois de facteurs subjectifs, tels qu’un environnement politique favorable, et de facteurs objectifs liés au contexte historique. Il faut donc faire preuve de flexibilité dans l’évaluation des conditions et des potentiels.
Ho Chi Minh-Ville et Da Nang disposent toutes deux de solides atouts fondés sur le processus de développement du Vietnam. Ces deux métropoles offrent des perspectives de croissance significative, jouant un rôle moteur pour l’économie nationale, voire pour les économies des pays voisins dans la région.
Dans ce contexte, la demande en capitaux dépasse largement les ressources locales disponibles, ce qui implique la nécessité de mobiliser des capitaux internationaux pour financer le développement. Cela crée un socle propice à l’émergence d’un marché financier international.
Ces villes disposent par ailleurs de bonnes infrastructures technologiques et de transport, de ressources humaines qualifiées ainsi que d’établissements de formation capables de soutenir les secteurs liés à la finance.
Au-delà de ces points communs, chaque ville présente des spécificités qui peuvent orienter des axes de développement différenciés.

Ho Chi Minh-Ville dispose d’un tissu industriel et de services relativement développé, et reste le moteur économique du pays. Sa fusion territoriale avec les provinces de Binh Duong et Ba Ria-Vung Tau lui donne un accès renforcé à la mer, tandis que sa proximité avec Tay Ninh facilite l’ouverture vers le Cambodge.
C’est un avantage stratégique fondamental qui positionne Ho Chi Minh-Ville parmi les villes les plus prometteuses pour accueillir un Centre financier international.
De son côté, les premières études menées par la BAD indiquent que si Da Nang bénéficie d’un fort potentiel dans le tourisme, les services et les infrastructures portuaires, son économie reste encore de taille modeste. Toutefois, elle est bien positionnée pour jouer un rôle de connectivité régionale, notamment avec le Laos et la Thaïlande via le Couloir économique Est-Ouest.

Cela montre que l’avenir de Da Nang est étroitement lié à l’intégration régionale et sous-régionale, en plus de son rôle de locomotive économique du Centre du Vietnam.
La ville a d’ailleurs choisi de se concentrer initialement sur le développement des technologies financières (fintech), une orientation judicieuse compte tenu de sa situation actuelle, qui peut lui permettre de s’étendre à des pays voisins.
Dans le contexte d’une conjoncture internationale instable et d’une compétition mondiale intense, les deux villes devront réunir de nombreuses conditions pour devenir des Centres financiers internationaux à part entière.
Le développement d’un Centre financier international est un processus qui s’étale sur des décennies. Pour obtenir des résultats concrets, il est crucial de maintenir une ligne directrice claire et constante, afin de transformer les opportunités en réalités.
Nguyen Ba Hung, économiste en chef de la BAD au Vietnam
Journaliste : De nombreux pays ont réussi, mais d'autres ont échoué dans la construction de centres financiers internationaux. Dans un contexte où chaque pays possède ses propres particularités, quelles leçons le Vietnam peut-il tirer pour bâtir un Centre financier international solide, tant au niveau régional que mondial ?
Nguyen Ba Hung :
L’expérience mondiale en matière de développement de centres financiers internationaux est très variée. Certains se sont développés de manière spontanée, sans stratégie spécifique, tandis que d’autres ont mis en place des politiques ciblées avec des objectifs clairs. Cependant, le niveau de réussite atteint reste inégal, et il n’existe pas de modèle universellement reproductible.

Quelques enseignements clés peuvent néanmoins être utiles au Vietnam :
Il n’existe pas de modèle unique applicable à tous les pays. Le succès d’un centre financier dépend essentiellement de sa capacité à se développer en adéquation avec les conditions spécifiques du pays concerné.
Les politiques d’accompagnement peuvent jouer un rôle positif, mais elles ne garantissent pas à elles seules le succès. L’essentiel réside dans la capacité à interagir efficacement avec les marchés et à générer une réelle valeur ajoutée compétitive.
Un engagement de long terme fondé sur une stratégie de positionnement cohérente est indispensable. Comme mentionné précédemment, le développement d’un centre financier international est un processus de longue durée. Il est donc crucial de maintenir une orientation stratégique stable, appuyée par une feuille de route claire et des réformes bien mises en œuvre.
L’engagement politique doit parfois se traduire par des mesures de soutien budgétaire, utiles pour stimuler la phase initiale de développement. Toutefois, une croissance durable ne peut être assurée qu’à travers des réformes profondes visant à améliorer l’efficacité des marchés. Cela suppose un engagement stratégique sur le long terme.
Journaliste : Compte tenu du dynamisme économique du Vietnam et de ses importants besoins en capitaux, quel modèle de Centre financier international conviendrait le mieux à son développement durable et efficace, selon vous ?
Nguyen Ba Hung :
Le développement d’un marché financier international ne repose pas simplement sur le respect de critères ou de conditions techniques. L’expérience mondiale montre que chaque marché suit sa propre trajectoire. Le Vietnam peut donc aborder ce processus selon deux perspectives complémentaires :
D’une part, définir un parcours spécifique adapté aux besoins de développement à long terme du pays, avec des objectifs réalistes et bien ancrés dans le contexte national ;
D’autre part, prendre en compte les critères d’évaluation internationaux afin de positionner son centre sur l’échiquier de la concurrence mondiale.
En ce qui concerne les modèles, les centres financiers internationaux peuvent généralement être classés selon deux approches, en fonction de leur relation avec le marché financier domestique :
À un extrême, certains centres adoptent un cadre juridique distinct de celui du marché national, dits « ring-fenced ». Ces centres tendent à se spécialiser dans l’offre de financements vers l’extérieur (logique d’exportation de capitaux), en misant sur un coût d’accès aux capitaux compétitif. Ils mobilisent d’importants fonds pour les redistribuer vers divers marchés mondiaux.
À l’autre extrême, certains centres optent pour un cadre réglementaire unifié, applicable aussi bien au centre financier international qu’au marché intérieur (broad-based). Ces modèles s’inscrivent généralement dans une logique de demande locale, répondant aux besoins de financement du pays lui-même, tout en s’intégrant progressivement aux marchés globaux.

Dans les centres financiers internationaux ayant un cadre juridique relativement homogène avec le marché national, l’accent est souvent mis sur le financement du développement domestique (logique de demande), avec un avantage compétitif en matière de rendement. Ces centres attirent les investisseurs internationaux en proposant un cadre réglementaire stable, combinant gestion des risques et rendements attractifs.
En réalité, tout centre financier international présente à la fois des éléments d’offre et de demande, avec un équilibre relatif qui évolue dans le temps.
Dans le cas du Vietnam, ces approches peuvent orienter la trajectoire de développement des marchés financiers internationaux.
« L’économie vietnamienne est encore en phase de forte croissance, avec une grande demande en capitaux. À long terme, elle aura donc tendance à privilégier la mobilisation efficace des ressources pour son propre développement ».
Nguyen Ba Hung, économiste en chef de la BAD au Vietnam
Journaliste : En évoquant la création d’un Centre financier international, le Vice-Premier ministre Nguyen Hòa Binh a souligné : « Le niveau de développement et la compétitivité d’un centre financier sont évalués selon l’Indice des Centres Financiers Internationaux (GFCI), reposant sur cinq piliers : environnement des affaires, écosystème financier, infrastructures, capital humain, réputation et image de marque de la ville ». Comment ces critères peuvent-ils être appliqués concrètement au Vietnam ?
Nguyen Ba Hung :
Une fois l’orientation choisie, ces cinq piliers d’évaluation peuvent servir de base à l’élaboration d’une feuille de route adaptée pour le Vietnam :
L’environnement des affaires : Bien qu’en apparence simple, ce domaine exige de profondes réformes conformes aux normes et pratiques internationales. Le Vietnam doit mettre en place un cadre juridique global pour les marchés financiers, incluant les politiques monétaires, de change, ainsi que des mécanismes efficaces de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le pays est déjà signataire de nombreux engagements internationaux dans le domaine, qu’il peut valoriser davantage.

Le capital humain : Il est essentiel de mettre en œuvre une politique globale pour à la fois former les ressources nationales et attirer des experts étrangers. Outre les politiques de l’emploi, l’amélioration de la qualité de vie (services de santé, éducation de qualité, cadre de vie familial) contribuera à accroître l’attractivité du Vietnam.
Les infrastructures : Elles sont fondamentales pour réduire les coûts de transaction et améliorer l'efficacité opérationnelle, notamment dans un contexte où les centres financiers interagissent avec des marchés situés dans différents fuseaux horaires. En plus des infrastructures technologiques et financières, les infrastructures de transport et urbaines jouent un rôle important dans la performance globale du centre.

L’écosystème financier : Il convient de développer un écosystème complet de services financiers et auxiliaires, notation de crédit, conseils juridiques, comptabilité, audit…, afin d’offrir un environnement concurrentiel.
La réputation et l’image de marque de la ville hôte : Ce facteur reflète la confiance et l’attrait du centre. Il dépend de la qualité de la gouvernance, de la capacité d’innovation, du positionnement stratégique à l’échelle régionale et mondiale, ainsi que du contexte socio-culturel local.
Le développement d’un centre financier international ne se résume pas à l’application d’un ensemble de critères, mais constitue un processus organique fondé sur l’interaction de multiples facteurs ».
Nguyen Ba Hung, économiste en chef de la BAD au Vietnam
Journaliste : Merci infiniment pour votre partage très précieux, Monsieur !