Préserver la « langue maternelle bien-aimée » des enfants vietnamiens au Japon

Le maintien du vietnamien au Japon devient une mission essentielle et sacrée, car la langue est l’âme, l’héritage culturel et l’identité d’une nation, ainsi qu’un lien indispensable entre les générations dans un monde globalisé.

Une classe de vietnamien à l’École de langue vietnamienne Cay Tre (Osaka, Japon). Photo: TĐ
Une classe de vietnamien à l’École de langue vietnamienne Cay Tre (Osaka, Japon). Photo: TĐ

La communauté vietnamienne au Japon compte aujourd’hui près de 600 000 personnes et ne cesse de se développer. Le maintien de la langue vietnamienne au pays du soleil-levant devient une mission essentielle et sacrée, car la langue est l’âme, l’héritage culturel, l’identité nationale, le moyen de communication indispensable et le lien reliant les générations, permettant à une nation de subsister et de se développer, en particulier dans un contexte de mondialisation.

Lors d’un colloque scientifique international sur les langues, les chercheurs et enseignants de vietnamien ont estimé qu’il était nécessaire d’adopter une approche plus méthodique, avec des supports pédagogiques adaptés et une assistance bilingue dans les classes.

Des supports d’enseignement conçus selon une approche ouverte

Selon les statistiques de l’ambassade du Vietnam au Japon, près de 600 000 Vietnamiens vivent, étudient et travaillent actuellement dans les 47 préfectures du pays, constituant ainsi le deuxième plus grand groupe de résidents étrangers. Cette présence s’accompagne d’un nombre croissant d’enfants d’origine vietnamienne, nés ou ayant grandi dans un environnement majoritairement japonophone.

Les données du ministère japonais de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie indiquent qu’au cours de l’année fiscale 2023, près de 3 800 élèves dont la langue maternelle est le vietnamien avaient besoin d’un soutien en japonais en tant que langue seconde. Il s’agit d’un indicateur important de l’ampleur du groupe d’enfants liés au Vietnam, tout en soulignant l’urgence de préserver la langue vietnamienne chez ces jeunes.

De nombreuses études ont montré que le maintien de la langue maternelle renforce la cohésion familiale, consolide l’identité culturelle, favorise le développement cognitif bilingue et élargit les perspectives. Au sein de la communauté vietnamienne au Japon, cette réalité est d’autant plus perceptible que de nombreux enfants rencontrent des difficultés à parler, comprendre ou s’exprimer en vietnamien. Vocabulaire limité, incompréhension des paroles des grands-parents, impossibilité de communiquer avec la famille élargie… sont des situations fréquentes.

Les cours de vietnamien du week-end ou les activités communautaires ne suffisent pas à répondre aux besoins actuels des enfants d’origine vietnamienne. Il est nécessaire de disposer d’un programme, de supports pédagogiques et de méthodes d’enseignement adaptés aux conditions spécifiques du Japon.

La professeure associée Trinh Cam Lan, ancienne cheffe du Département de vietnamien, de la Faculté de linguistique, Université des Sciences sociales et humaines (Université nationale du Vietnam à Hanoï), membre du comité de rédaction de la collection « Relier les connaissances à la vie », souligne qu’il n’existe pas de supports officiels spécifiquement destinés à l’enseignement du vietnamien en tant que langue d’héritage, tandis que les manuels conçus pour les enfants au Vietnam, ne conviennent pas au contexte d’apprentissage à l’étranger.

À l’inverse, les manuels de vietnamien langue étrangère ne répondent pas non plus aux besoins, car les enfants d’héritage acquièrent le vietnamien dès leur plus jeune âge au sein de la famille, et non comme un apprenant débutant d’une langue étrangère.

Selon Trinh Cam Lan, les supports d’enseignement de la langue d’héritage doivent être conçus selon une approche ouverte, combinant méthodes d’enseignement de la langue maternelle et de la langue seconde. Les élèves d’origine vietnamienne vivant à l’étranger ne sont ni totalement similaires aux enfants apprenant leur langue maternelle dans leur pays d’origine, ni aux apprenants de vietnamien langue étrangère ; les supports et méthodes doivent donc refléter les caractéristiques d’apprentissage de ce groupe spécifique.

Elle cite également les principes proposés par Peyton, J.K., Ranard, D.A., & McGinnis, S. (Eds) pour l’élaboration de supports destinés à l’enseignement des langues d’héritage : adéquation au niveau, à l’âge, aux caractéristiques linguistiques et culturelles des apprenants, aux objectifs et contenus pédagogiques, ainsi qu’aux conditions et ressources disponibles ; attractivité et dynamisme ; dimension pratique centrée sur les compétences de communication ; et flexibilité permettant aux enseignants d’ajuster contenus et méthodes selon les besoins des élèves, tout en diversifiant les formes d’évaluation. Ce sont des orientations importantes pour la construction de supports de vietnamien d’héritage dans un contexte où la communauté vietnamienne au Japon ne cesse de croître.

Le japonais, un levier pour mieux apprendre le vietnamien

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Cours de vietnamien assuré par la maîtresse Pham Phi Hai Yen. Photo: TĐ

Selon la chercheuse Pham Phi Hai Yen, doctorante à l’Université d’Osaka, le japonais peut devenir une ressource pédagogique clé dans l’enseignement du vietnamien comme langue d’héritage au Japon. Utilisé de façon souple à travers la stratégie de translanguaging (alternance des deux langues en classe), le japonais aide les élèves à comprendre leurs cours, à prendre confiance et à développer une identité bilingue durable.

Mme Pham Phi Hai Yen estime que les apprenants de langues d’héritage possèdent souvent un lien affectif avec le vietnamien, mais manquent de bases linguistiques académiques pour l’utiliser de manière complète. L’utilisation du japonais pour expliquer le vocabulaire, guider les exercices ou comparer les deux langues est donc nécessaire et n’entrave en rien l’acquisition du vietnamien. Au contraire, elle permet aux enfants de se sentir en sécurité, de réduire la pression et d’accroître leur motivation.

Dans la classe en ligne « Líu Lo tiếng Việt » qu’elle enseigne, l’élève Nakayama Miyu (CM2) partage : « Lorsque la professeure parle japonais, je comprends mieux les leçons et je retiens plus facilement… Quand elle parle trop en vietnamien et que je ne comprends pas, j’ai envie d’arrêter parce que je ne saisis pas la leçon. »

L’élève Ono Maika (6e) indique également : « Avant, j’étudiais avec une professeure qui ne parlait que vietnamien, donc je n’arrivais pas à suivre… Maintenant, avec une professeure qui utilise aussi le japonais, je comprends mieux. Une fois habituée, je voudrais parler complètement en vietnamien avec elle. »

Forte de son expérience, Mme Pham Phi Hai Yen propose six principes pour appliquer le translanguaging dans les classes de vietnamien d’héritage au Japon : utiliser le japonais pour expliquer les notions abstraites ou les points grammaticaux complexes ; comparer et opposer vietnamien et japonais pour aider les apprenants à percevoir les différences et éviter les interférences ; encourager l’usage alterné des deux langues dans les activités créatives ; utiliser le japonais dans la gestion de classe pour faciliter la compréhension des consignes ; développer des supports bilingues afin d’aider élèves et parents dans la révision ; renforcer le lien famille–communauté grâce au bilinguisme, afin que les parents japonais puissent eux aussi accompagner leurs enfants.

Mme Pham Phi Hai Yen souligne que l’usage du japonais ne signifie pas une diminution de l’objectif d’apprentissage du vietnamien. Le translanguaging est simplement un pont à double sens permettant aux élèves de comprendre plus rapidement et de gagner en confiance, tout en nécessitant une explication claire aux parents afin d’éviter toute inquiétude concernant une éventuelle « réduction du bain linguistique vietnamien ».

Préserver la langue vietnamienne chez les enfants d’origine vietnamienne au Japon ne dépend pas seulement des efforts de chaque famille, mais d’une approche globale : programmes adaptés, enseignants comprenant les spécificités des langues d’héritage et soutien communautaire. Lorsque ces éléments sont reliés, le vietnamien pourra s’inscrire dans la vie quotidienne des enfants de manière naturelle et durable.

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