Un rituel sacré au cœur de la vie communautaire
Appelée aussi fête du repas de riz nouveau, cette cérémonie traditionnelle a lieu chaque année entre octobre et décembre, à la fin des récoltes. Pour l’ethnie Gia Rai, dans la province de Gia Lai, à Tay Nguyen (Hauts Plateaux du Centre du Vietnam), il s’agit avant tout d’un acte de gratitude : remercier la terre et les esprits (Yàng) pour une saison abondante, tout en célébrant l’union et la solidarité entre les familles du village.
La fête se déroule sur l’esplanade devant la maison commune (nhà rông), lieu sacré et symbole de l’âme collective. Dès l’aube, les habitants se rassemblent, dressent le mât rituel, préparent les offrandes, riz gluant cuit dans le bambou, viande grillée, jarres d’alcool de riz, épis dorés. Les familles aisées sacrifient parfois un cochon ou un poulet en signe de dévotion.
Au moment solennel de la prière, le chef du village invoque les esprits :
« Ô Yàng, nous vous offrons aujourd’hui nos présents, protégez le village, éloignez les malheurs, accordez-nous paix et prospérité. »
Ces paroles, empreintes de ferveur, relient l’homme à la nature et traduisent la foi profonde d’un peuple qui vit en harmonie avec son environnement.
Transmettre la flamme des ancêtres
Au-delà du rite religieux, la fête du riz nouveau est une grande fête communautaire. Après les offrandes, les réjouissances s’enchaînent : danses xoang, sons de gongs, chants traditionnels et rires éclatants animent tout le village.
Pour Rah Lan H’Tiết, jeune femme Gia Rai du village Ia Dơk, cette expérience est inoubliable :
« Je ressens une immense fierté de pouvoir redécouvrir la culture de mes ancêtres. Cette fête nous rapproche, nous rappelle nos racines. »
Les plus jeunes, comme Siu Điệp, y voient une école vivante de traditions :
« Nous voulons perpétuer ces danses et coutumes, afin que l’esprit de nos grands-parents ne s’éteigne jamais. »
Mais face à la modernité, les rituels se raréfient. L’exode des jeunes vers les villes, la généralisation du riz irrigué en plusieurs récoltes par an, au lieu du riz de montagne cultivé une seule fois, ont modifié le rythme des saisons et, avec lui, le calendrier des fêtes.
« Autrefois, chaque famille organisait la fête après la récolte du riz sur brûlis. Aujourd’hui, seuls quelques foyers perpétuent la cérémonie complète », confie Ksor Thất, habitant de Ia commune de La Tul.
Préserver une identité vivante
Même si la célébration tend à se faire plus discrète, son sens demeure intact : gratitude envers la terre, respect du travail et de la solidarité humaine. Pour le chef de village Siu Yon, du village Ó, « la fête du riz nouveau est une leçon de partage et de transmission. C’est là que les jeunes apprennent les savoir-faire agricoles, les coutumes et l’esprit communautaire. »
Conscientes de la valeur patrimoniale de ces traditions, les autorités de Gia Lai multiplient les initiatives pour préserver et revitaliser les cultures autochtones. Grâce à l’appui des institutions locales et à l’engagement des habitants, des cérémonies comme celle du riz nouveau continuent de faire vivre la mémoire collective du Tay Nguyen, une mémoire où battent à l’unisson la terre, les dieux et le cœur des hommes.