Chaque année, cette montée des eaux évoque non seulement l’image des canards lâchés dans les rizières, mais aussi celle de la transhumance des buffles, spectacle typique des plaines du Sud-Ouest. En khmer, le mot « len » signifie liberté ; « len trâu », désigne ainsi la liberté donnée aux buffles de parcourir les champs inondés.

La transhumance des buffles s’étend généralement de juillet à novembre du calendrier lunaire. À cette période, les rizières sont submergées, la végétation se fait rare, et les éleveurs doivent conduire leurs animaux vers des terrains plus élevés. Ce mouvement crée un décor saisissant, intimement lié aux souvenirs d’enfance de nombreux habitants de la région.

Originaire de la commune de My Hanh, province de Tay Ninh (anciennement Long An), Ngo Thanh Binh a nourri le projet de réaliser une série photographique sur cette tradition locale. « Pour obtenir ces clichés, j’ai dû braver pluie et soleil, suivre les buffles dans les champs, guetter la montée des eaux et attendre le moment où le troupeau traversait pour déclencher. Il m’est même arrivé de devoir courir pour échapper aux buffles, une expérience à la fois effrayante et amusante, mais inoubliable », raconte-t-il.

Il a consacré près de deux ans à « chasser » ces images. Plus d’une fois, ses sorties se sont soldées sans photo satisfaisante. « De chez moi au lieu où paissent les buffles, il y a environ 7 à 8 km. Certains passages étant impraticables, je devais parfois abandonner la moto et continuer à pied », confie-t-il.

« J’ai choisi le thème len trâu car le buffle est profondément lié aux paysans de ma région. Il fut longtemps la principale force de traction pour les travaux agricoles, de la rizière aux champs d’arachides. Mon enfance a également été rythmée par les buffles : après l’école, j’aidais mes parents à couper l’herbe et à mener les bêtes aux champs. Dans mon village, le buffle fait partie intégrante de la vie quotidienne », explique Ngo Thanh Binh.

Vers 5 h 30 du matin, les buffles quittent l’étable, se faufilent entre champs et forêts de melaleucas pour se nourrir. L’après-midi, entre 16 h et 17 h 30, ils regagnent tranquillement leur enclos. Les bouviers, en barque ou à pied dans l’eau, guident les animaux vers l’endroit prévu, offrant une scène vivante, harmonieuse entre l’eau et la terre.

« Je photographie toutes les scènes qui me touchent, mais ce que je préfère reste le retour du troupeau au crépuscule. Quand le soleil couchant dore leur dos et fait briller leurs ventres rebondis, le paysage prend une beauté très particulière. »

À travers ses clichés simples et authentiques, Ngo Thanh Binh dépeint la sérénité des campagnes du Sud.

Son travail vise à préserver la beauté d’une tradition séculaire et à rappeler l’attachement indéfectible du buffle au peuple vietnamien.

Ces animaux dociles et laborieux ont accompagné la vie des paysans vietnamiens depuis des générations.

« J’espère que ceux qui se sont éloignés de leur campagne, en regardant ces images, se souviendront de leur enfance tendre et insouciante. C’est cette simplicité, cette authenticité qui subsiste encore, malgré le rythme effréné de l’urbanisation », a confié Ngo Thanh Binh.