Le marché de cendre de Tra Thon - Une empreinte culturelle typique du delta fluvial d’An Giang

Au fil du canal Tra Thon, dans le district de Cho Moi (province d’An Giang), un marché atypique a jadis prospéré grâce à un produit inattendu : la cendre de paille. Aujourd’hui presque disparu, il reste pourtant vivant dans la mémoire collective comme un témoignage du génie populaire et de la culture fluviale du Sud vietnamien.

Le marché aux cendres de Tra Thon aide de nombreux travailleurs ruraux à avoir des emplois stables. Photo : NDEL.
Le marché aux cendres de Tra Thon aide de nombreux travailleurs ruraux à avoir des emplois stables. Photo : NDEL.

Né après 1975 dans le hameau de Long Quoi 1 (commune de Long Dien B), le marché de cendre s’est développé au fil des décennies pour devenir le plus grand du genre dans le delta du Mékong, au Sud du Vietnam. À son apogée, il était à la base de toute une économie artisanale, reliant des dizaines de foyers à un réseau dense de bateaux venus de diverses provinces méridionales.

Selon les autorités locales, tout a commencé avec quelques familles qui brûlaient paille et chaume pour en extraire la cendre, vendue ensuite aux horticulteurs ou aux producteurs d’œufs salés. Face à une demande croissante, l’activité a connu un essor rapide : jusqu’à 60 exploitations ont été recensées, générant des centaines d’emplois. Sur plus de deux kilomètres le long du canal, les sacs de cendre s’empilaient, les embarcations se suivaient, et les villageois, le visage noirci, mais le sourire aux lèvres, formaient une véritable ruche humaine.

Mais en juin 2025, Tra Thon offre un tout autre visage. Le silence s’est installé. Les hangars précaires ont cédé la place à des maisons en dur, et les bateaux ne viennent plus troubler la surface tranquille du canal.

« Le marché est arrêté depuis près de deux ans. On ne trouve plus de cendre de paille », confie Nguyen Van Hieu, un habitant. Troisième génération dans le métier, il se souvient des jours où il arpentait les champs, récoltait la cendre, et dirigeait son dépôt.

Parmi les rares vestiges de cette époque, le dépôt de Huynh Thi Tuyen poursuit une activité résiduelle. Depuis plus de vingt ans, elle sillonne les rizières d’An Giang après les récoltes, brûle la paille, récolte la cendre et la conditionne en sacs de 15 kilos. Le marché était rythmé par les saisons : abondance et bas prix pendant la saison sèche, rareté et hausse des prix en période de pluie.

Mais les techniques agricoles ont évolué. L’introduction des moissonneuses-batteuses, qui ramassent et conditionnent la paille pour la vendre à la culture de champignons, a entraîné une raréfaction de la matière première. Parallèlement, les acheteurs se sont tournés vers la cendre de balle de riz, plus facilement disponible. Incapables de rivaliser, la plupart des exploitants ont quitté la profession. Certains sont retournés à l’agriculture, d’autres au petit commerce. Huynh Thi Tuyen continue à produire occasionnellement, en fonction des commandes, tout en se tournant vers l’achat-revente de déchets recyclables.

Le canal Tra Thon, discret trait d’union entre le fleuve Tien et le fleuve Hau, demeure un témoin silencieux de ces bouleversements. Si le marché de la cendre n’est plus qu’un souvenir, il incarne toujours, dans le cœur des habitants, un pan précieux de leur histoire : celui d’une communauté laborieuse, où même la cendre a su nourrir des rêves d’avenir.

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