Un art poétique transmis de génération en génération
Les Ariya sont des poèmes de longueur variable, allant de quelques dizaines à plusieurs centaines de vers. Selon les chercheurs, ils existent depuis des siècles. Ils ne sont pas seulement transmis oralement, comme d’autres formes de littérature ou d’art populaire, mais ont aussi été consignés dans des manuscrits en écriture cham (Akhar Thrah).
Pour Thong Dinh Phung, fin connaisseur de cet art vivant à Lam Thuan (province de Lam Dong, dans les Hauts Plateaux du Centre du Vietnam), les thèmes abordés sont d’une grande diversité : événements historiques, amour, coutumes, calendrier, mais aussi des textes à vocation éducative et morale.

« L’Ariya des Cham est une vérité de vie, qui enseigne les relations entre époux, entre parents et enfants, ou encore les valeurs spirituelles. Il existe de nombreux genres d’Ariya. Nous devons les préserver afin que nos enfants puissent les transmettre. Malheureusement, comme l’écriture cham, l’Ariya est de plus en plus oublié », confie-t-il.
Parmi les œuvres les plus célèbres figure Bini-Cam (ou Anai mai Meng Makah), une longue poésie en vers lục bát (versification alternée entre des hexasyllabes et des octosyllabes) relatant l’histoire tragique d’un amour impossible entre un jeune homme Bàni et une jeune fille Bàlamôn, séparés par la religion. Le récit se termine par la mort des amants dans les flammes, source d’inspiration pour de nombreux chorégraphes et musiciens contemporains.
D’autres compositions revêtent une valeur éducative, incitant les femmes cham à affirmer leur personnalité dans le cadre du système matrilinéaire, telles que Ariya Amuk thruh palei ou Ariya Pataow adat.
Un patrimoine musical en péril
Les Ariya se chantent à toute heure, souvent de manière improvisée, selon l’humeur du chanteur, particulièrement lors des veillées au clair de lune, au bord des rivières ou près des anciennes tours cham.

Comme d’autres formes de patrimoine immatériel, cet art fait face aux menaces de l’oubli. Conscientes du danger, les provinces de Ninh Thuan et Binh Thuan, aujourd’hui Khanh Hoa et Lam Dong, ont commencé à inventorier et enregistrer les Ariya, et à organiser des classes de transmission auprès des communautés cham.
À Binh Tien, l’artiste reconnu Lam Tan Binh a consacré sa vie à cet art :
« L’Ariya est riche par ses thèmes et ses tonalités. Il illustre aussi le dialogue entre les religions Bàlamôn et Bàni. C’est pourquoi il faut absolument préserver et transmettre ce patrimoine », souligne-t-il.

Le 27 juin 2025, le ministère vietnamien de la Culture a officiellement inscrit l’art du chant Ariya au patrimoine culturel immatériel national. Une reconnaissance qui ouvre la voie à des projets de sauvegarde et de valorisation à plus grande échelle.
Préserver et transmettre aux jeunes générations
Selon Phan Quoc Anh, ancien directeur du département de la culture de Ninh Thuan, « les autorités doivent définir une stratégie claire et des programmes d’action concrets. Mais la véritable transmission repose sur les communautés locales elles-mêmes ».

Dans les années à venir, les provinces où résident de fortes communautés cham devront poursuivre la formation des jeunes, numériser les textes et enregistrer davantage de chants. L’intégration de l’Ariya dans les festivals, événements culturels et programmes touristiques, ainsi que sa promotion sur les réseaux sociaux, contribueront à faire résonner encore longtemps ce patrimoine unique au cœur des villages cham.