Huu Ngoc, l’une des figures les plus marquantes de la culture vietnamienne, s’est éteint le 2 mai 2025 à l’âge de 107 ans.
Étant un érudit exceptionnel, un véritable passeur de culture, il a consacré toute sa vie à faire rayonner la culture vietnamienne et à promouvoir la compréhension entre l’Orient et l’Occident.
Mais au-delà de cette immense œuvre culturelle, peu savent qu’il a été aussi une figure majeure du journalisme vietnamien, un vétéran de la presse, resté fidèle à la plume depuis les années de guerre jusqu’à la construction du pays en temps de paix.
De la plume résistante au journal clandestin…
Pour lui, devenir journaliste fut une « coïncidence prédestinée ». Diplômé du lycée Bưởi (aujourd’hui lycée Chu Van An), il n’a pas pu réaliser son rêve d’enseigner faute de remplir les critères physiques requis.
« J’ai une plume, alors je m’en sers pour combattre l’ennemi. »
Ce contretemps l’a poussé à poursuivre ses études, jusqu’à ce que, à l’éclatement de la résistance nationale, il soit devenu journaliste par pur hasard : « J’ai une plume, alors je m’en sers pour combattre l’ennemi. »
En 1948, il a fondé et dirigé « L’Étincelle », le tout premier journal en langue française du mouvement révolutionnaire après Août 1945.
À la Une, le tout premier éditorial, « Notre Nam Bo, on ne nous le prendra jamais ! », accompagné du portrait du Président Ho Chi Minh, résonnait comme une déclaration et une affirmation forte d'une nation qui se lève pour lutter pour l'indépendance.

Le journal, modeste, n’était produit que par quatre personnes : Huu Ngoc, rédacteur en chef et reporter, le poète Tran Le Van et son épouse comme collaborateurs, et un imprimeur.
Diffusé clandestinement dans les garnisons, restaurants et bars fréquentés par les soldats français, « L’Étincelle » visait à leur faire comprendre et soutenir la juste cause de la révolution vietnamienne.
Dans les conditions précaires de la guerre, ce fut un véritable exploit journalistique.
Premier journal de propagande auprès de l’ennemi pendant la guerre, « L’Étincelle » était également unique en son genre : fruit de l’engagement d’un intellectuel qui, de sa propre initiative, s’était lancé dans cette mission politico-culturelle.
« À 30 ans, me voilà rédacteur en chef. Grâce aux langues étrangères, j’ai plongé dans le journalisme, un pur hasard ! », racontait l’érudit avec humour.
Le journal a cessé de paraître en 1950, lorsque les troupes françaises ont repris la plaine. En 1950, Huu Ngoc a été affecté en haute région du nord comme officier de l’Armée populaire et a pris la direction de la section du Cục địch vận, sous-département pour la propagande auprès de l’ennemi, en charge de la rééducation des prisonniers de guerre européens et africains.
Dès lors, la presse n’était plus un métier pour lui, mais un idéal et une mission de sa vie.
… à la plume infatigable engagée pour le dialogue international
Après la victoire de Dien Bien Phu, Huu Ngoc a joué un rôle clé dans de nombreuses publications pour l’étranger.
Durant la fin des années cinquante et jusqu'au début des années soixante, il dirigeait la revue « Le Vietnam en marche ».

Ensuite, il a rejoint l'équipe de rédaction des « Études vietnamiennes », une publication à vocation scientifique à l'attention des sympathisants et chercheurs anglophones et francophones, dépendant des Éditions en Langues étrangères ; petit à petit, il est devenu un élément indispensable de la rédaction et a participé à l'expansion de ses activités.
Des années 1990 jusqu’à un âge très avancé, il a collaboré étroitement avec des journaux d’information pour l’étranger, tels que Le Courrier du Vietnam (en français) et Vietnam News (en anglais).
Des centaines d’articles en français et en anglais ont été publiés, riches d’une perspective académique et humaniste, contribuant à faire connaître l'image du Vietnam au monde d'une manière précise, authentique et émotionnelle.
Il considérait chaque article comme une promenade, une invitation adressée aux lecteurs à le suivre, afin de découvrir, comprendre et aimer plus profondément encore le peuple et le pays vietnamiens. Ces articles ont été réunis dans l’ouvrage « Lang du trong van hoa Vietnam » (en français : À la découverte de la culture vietnamienne), publié en trois langues : vietnamien, français et anglais.
Pendant plus de dix ans, il a été également l’âme de la rubrique « Cao thom lan gio » (Se replonger dans les textes prestigieux) publiée dans le journal Suc khoe & doi song (Santé & vie), à raison de 4 à 5 articles par mois.

À l’âge de 102 ans, il a publié l’œuvre en vietnamien « Cao thom lan gio », composée de deux volumes totalisant près de 1.000 pages. Cet ouvrage rassemble des centaines d’articles publiés dans la rubrique éponyme du journal Suc khoe & doi song.
Une vie dédiée à l’écriture
Jusqu’à la fin de sa vie, Huu Ngoc a publié plus de 35 livres et des milliers d’articles en vietnamien, anglais et français – un héritage journalistique et culturel d'une rare richesse.
En 2015, à près de 100 ans, il a reçu le premier prix du Prix national de l’Information pour l’étranger pour son article « Août-Septembre 1945, un tournant pour le Vietnam », publié dans Le Courrier du Vietnam. Plus qu’une récompense, ce prix était la preuve éclatante d’une plume toujours vivante.
Le journaliste thaïlandais Don Pathan disait : « Le Vietnam a traversé tant de bouleversements dus à la guerre, grâce à Huu Ngoc, le monde se rend compte que ce pays possède une culture unique qui ne sera jamais perdue ».
Quant au défunt professeur en histoire Phan Huy Le, il a affirmé : « Huu Ngoc est un écrivain et journaliste de renom, qui a su faire rayonner la culture vietnamienne à l’international. »
L’ambassadeur belge Bruno a confié avec émotions : « En seulement une demi-heure de conversation avec lui, j’ai compris plus de choses sur le Vietnam qu’en dizaines d’années de lecture de livres. »
Le journaliste Nguyen Nhu Mai a salué en Huu Ngoc « un grand homme de culture du pays, à la fois auteur et témoin de l’histoire ».

Dans son livre « Une petite histoire du Vietnam contemporain » publié en 2019, Ysengrin, un jeune auteur français, a exprimé son admiration et son profond respect envers Huu Ngoc : « Huu Ngoc est un intellectuel transculturel, fin connaisseur des traditions et de l'histoire de son pays. Tour à tour professeur, interprète, révolutionnaire, journaliste, rédacteur en chef de la revue scientifique Études vietnamiennes et directeur des Éditions en Langues étrangères (1980 - 1989), contributeur régulier au Courrier du Vietnam pendant plus de 20 ans, puis finalement auteur de nombreuses monographies sur les cultures japonaise, française, américaine, laotienne et bien sûr vietnamienne, Huu Ngoc a vécu de l'intérieur la colonisation (1918 - 1945), les guerres de résistance contre la France et les États-Unis (1945-1975) et la reconstruction, puis l'ouverture à l'international (1975) du “pays en forme de dragon”. Une histoire mouvementée dont Huu Ngoc s'est fait le barde pendant de si longues années. »
Lors d’une conversation avec la journaliste du Journal Nhân Dân, c’est toujours lui qui a appelé Huu Ngoc avec un nom affectueux « Mon papy vietnamien, un intellectuel hors pair ».
Ces témoignages ne sont qu’une reconnaissance de savoir, mais aussi d’un hommage à un passeur de cultures, à un journaliste qui a utilisé sa plume pour construire des ponts durables entre les cultures.
Avec plus de 35 ouvrages et des milliers d’articles en trois langues (vietnamien, anglais, français), Huu Ngoc a laissé un héritage à la fois académique et profondément humaniste.
Son héritage journalistique, des premiers journaux de la résistance aux chroniques chéries par ses lecteurs, reste vivant et conserve toujours sa valeur comme une lumière inextinguible.