Manuela V. Ferro, vice-présidente de la Banque mondiale (BM) pour l'Asie de l'Est et le Pacifique, a décrit le Vietnam comme un succès en matière de développement économique, car il a radicalement transformé le paysage économique, réalisant l'exploit extraordinaire de multiplier par six les revenus des familles tout en attirant d'importants investissements étrangers au cours des 40 dernières années.
Elle a fait cette déclaration lors d'une interview exclusive accordée à l'Agence vietnamienne d’Information le 21 novembre.
Journaliste : Le Vietnam a connu une croissance et une réduction de la pauvreté remarquables au cours des dernières décennies. Quels ont été les facteurs clés de cette transformation rapide ?
Manuela V. Ferro : Le parcours de développement du Vietnam est une réussite remarquable. Les revenus des familles ont été multipliés par six en 40 ans, réduisant presque totalement l'extrême pauvreté.
Le Vietnam est une économie dynamique et moderne qui a attiré d'importants investissements étrangers.
La résilience et la détermination de son peuple ont joué un rôle essentiel.
Le tournant décisif a été la décision audacieuse du gouvernement dans les années 1980 d’ouvrir l’économie et de donner la priorité aux exportations.
Aujourd’hui, les exportations représentent environ la moitié du PIB et un travailleur sur deux est employé dans le secteur de l’exportation.
L’un des facteurs clés de la croissance du Vietnam jusqu’à présent est la main-d’œuvre abondante et peu coûteuse, ainsi que les faibles coûts de l’énergie.
Ces facteurs se sont non seulement traduits par une croissance et des revenus plus élevés, mais ont également entraîné une part importante de la main-d’œuvre engagée dans des activités à faible valeur ajoutée comme l’assemblage final et une forte intensité carbone du PIB.
Journaliste : Le Vietnam s’est fixé l’objectif ambitieux de devenir un pays à revenu élevé d’ici 2045. Que faut-il pour atteindre cet objectif et comment la Banque mondiale peut-elle y contribuer ?
Manuela V. Ferro : Pour atteindre son objectif de devenir un pays à revenu élevé d’ici 2045, le Vietnam doit se concentrer sur la progression de la chaîne de valeur et intégrer les entreprises nationales aux entreprises étrangères productives.
Le secteur des services peut devenir un moteur de croissance supplémentaire, surtout s’il est ouvert à l’investissement et à une plus grande concurrence.
La décarbonation sera cruciale, en particulier dans le secteur de l’énergie, pour améliorer la compétitivité et réduire l’empreinte carbone du PIB.
Il sera essentiel d’investir dans une main-d’œuvre plus qualifiée, en particulier dans l’ingénierie et d’autres domaines STEM, pour protéger les emplois de l’automatisation et orienter la production vers des activités à plus forte valeur ajoutée.
Le rapport de la Banque mondiale « Vietnam 2045 : Trading Up in a Changing World – Pathways to a High-Income Future » (Vietnam 2045 :
Le développement du commerce dans un monde en mutation – Les voies vers un avenir à revenu élevé) décrit les choix et les voies stratégiques.
L’ouverture du gouvernement à la planification future est un signe positif, et nous sommes optimistes quant aux perspectives du Vietnam.
Nous collaborons avec le Vietnam depuis 1978, d’abord par le biais du fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres, l’Aide internationale au développement (IDA).
Nous sommes fiers d’avoir soutenu le Vietnam depuis la reprise d’après-guerre jusqu’au statut actuel de pays à revenu intermédiaire, avec des investissements dans l’éducation et les infrastructures essentielles, mais aussi avec des conseils politiques qui ont contribué à générer un plus grand dynamisme économique et des emplois.
Le Vietnam se trouve désormais à un stade de développement différent.
Le contexte extérieur et intérieur a changé.
Il nécessite une élaboration proactive et agile des politiques et des investissements dans la nouvelle économie du Vietnam.
Du côté de la Banque mondiale, nous sommes prêts à financer des investissements transformateurs dans les transports, la numérisation, la résilience climatique et la productivité agricole qui peuvent aider le Vietnam à atteindre son objectif d’atteindre le statut de pays à revenu élevé en 2045.
Journaliste : Lors de votre visite, vous vous êtes rendu dans le delta du Mékong pour parler aux agriculteurs et aux entreprises agroalimentaires qui ont bénéficié du projet de transformation de l’agriculture durable au Vietnam financé par la Banque mondiale. Qu’avez-vous vu là-bas ?
Manuela V. Ferro : Lors de ma visite, j’ai vu comment les agriculteurs du delta du Mékong ont adopté un ensemble innovant de technologies agricoles qui révolutionnent la riziculture. Cette méthode augmente les rendements, réduit l’utilisation de pesticides et d’engrais et augmente les revenus des agriculteurs jusqu’à 30 %.
Cette méthode réduit également les émissions de méthane, un facteur important du changement climatique.
Grâce aux investissements dans l’irrigation moderne, il est possible de diversifier les cultures, certaines destinées à l’exportation, et de générer des sources de revenus supplémentaires.
J’ai entendu des agriculteurs, des coopératives et des entreprises agroalimentaires me dire à quel point ils étaient enthousiastes à l’idée d’étendre leurs activités.
Nous souhaitons contribuer à étendre cette approche à 1 million d'hectares, comme l'a annoncé le Premier ministre.
Le leadership du Vietnam en matière d'innovation agricole est remarquable et est copié ailleurs.
Journaliste : Le gouvernement vietnamien a fait des efforts pour décarboner non seulement le secteur agricole, mais aussi l'ensemble de l'économie. Que pensez-vous de ces efforts ?
Manuela V. Ferro : Le secteur de l’énergie est une source majeure d’émissions de CO2 au Vietnam.
Il est essentiel de le décarboner tout en maintenant les coûts à un niveau bas.
Alors que les marchés mondiaux commencent à privilégier les biens produits à partir d’énergie propre par rapport à ceux issus d’énergies polluantes, le vaste secteur d’exportation du Vietnam doit s’adapter.
Le pays doit assainir les transports et l’agriculture, en particulier la riziculture et l’élevage.
Le changement climatique affecte déjà le Vietnam, avec la salinisation, des inondations plus fréquentes et la destruction des côtes.
La poursuite de la croissance doit s’aligner sur des technologies respectueuses du climat pour atteindre les objectifs ambitieux du Vietnam.
Journaliste : Le fonds de la Banque mondiale pour les plus pauvres, l’IDA, sera reconstitué en République de Corée dans deux semaines. Comment le Vietnam a-t-il bénéficié de l’IDA et que peuvent apprendre les autres pays en développement de la trajectoire du Vietnam ?
Manuela V. Ferro : Oui, la République de Corée accueille la 21e reconstitution des ressources de l’IDA début décembre.
L’expérience de développement du pays montre ce qui est possible, avec une politique de développement proactive et visionnaire, et le soutien de partenaires extérieurs comme l’IDA.
Il existe des parallèles entre la République de Corée et le Vietnam, les deux pays ayant connu une croissance rapide après la dévastation de l'après-guerre.
Tous les trois ans, nous renflouons l'IDA pour aider les pays les plus pauvres du monde en leur accordant des prêts à faible taux d'intérêt et à long terme.
La République de Corée, reconnaissante du rôle de l'IDA dans son développement, accueille ce cycle et a déjà annoncé une augmentation de 45 % de sa contribution à l'IDA.
Le Vietnam a lui aussi utilisé judicieusement 18 milliards de dollars de l'IDA sur plusieurs décennies.
De nombreux pays de cette région et du monde entier ont encore besoin du soutien de l'IDA.
Journaliste : Quel est le message que vous aimeriez transmettre au public vietnamien ?
Manuela V. Ferro : C'est une source d'inspiration de voir la détermination et la force du peuple vietnamien.
Contribuer au progrès de votre nation n'est pas seulement un plaisir, c'est un privilège, et nous sommes impatients de vous aider à atteindre le statut de pays à revenu élevé d'ici 2045.
Journaliste : Nous vous remercions !