À l’heure où les jouets modernes envahissent le marché, l’art du masque en papier mâché à Hanoi a presque disparu.
Pourtant, au fond d’une petite ruelle de la capitale, une famille s’efforce de préserver ce métier ancestral, dans l’espoir de transmettre aux générations d’aujourd’hui la mémoire de la Fête de la mi-automne telle qu’on la vivait autrefois.
On dit d’ailleurs qu’il s’agit de la dernière famille de la ville à poursuivre encore cette tradition.
Plus de quarante ans à « donner vie » aux masques en papier mâché
Dans une petite mansarde située au 73, rue Hang Than, au cœur du vieux quartier de Hanoi, vit le couple Dang Huong Lan et Nguyen Van Hoa.
Le chemin qui mène à leur petit atelier est si étroit qu’une seule personne peut s’y glisser.
Aucun rayon de lumière n’y pénètre. Les visiteurs doivent avancer à tâtons, éclairés par la lueur fragile de leur téléphone.

Après ce couloir obscur, un escalier raide, aux marches écaillées, conduit à une pièce minuscule encombrée de moules en ciment, de feuilles de papier, de colle d’amidon et de masques aux couleurs passées.
C’est là que se trouve l’« atelier » de ce couple d’artisans.
Madame Lan a raconté que le métier de masque en papier mâché s’est transmis de génération en génération dans sa famille. Sa famille compte sept frères et sœurs, mais elle est finalement la seule à perpétuer ce métier.
« Autrefois, au marché de Hang Ma, quatre familles fabriquaient des masques. Aujourd’hui, toutes ont cessé leur activité, il ne reste que mon mari et moi, poussés à la fois par la passion et par le lien indéfectible que nous avons avec ce métier », a-t-elle confié.
Depuis l’âge de vingt ans, elle s’attelle jour après jour au papier, à la colle et aux pinceaux. Aujourd’hui, à l’âge de 70 ans, elle continue avec la même ardeur.

Ses enfants, devenus adultes, lui ont conseillé plus d’une fois de se reposer, tant ce travail est dur.
Mais chaque matin, elle et son mari reprennent place devant leurs moules comme à un « rituel familier ».
« Ce métier ne nous nourrit pas seulement, il fait partie de notre vie, de nos souvenirs », a-t-elle dit.
Avec ses motifs variés, chaque masque est porteur d’une histoire, d’un symbole, d’un fragment de l’âme de la Fête de la mi-automne. Formes, proportions, traits et couleurs doivent être exécutés avec une précision méticuleuse.
Selon elle, tous les moules en ciment sont fabriqués par son mari Hoa.
Après avoir coulé le moule en ciment, il sculpte minutieusement des marques concaves et convexes, des rides et des bords fins imitant la peau, les sourcils et les moustaches.

Cela permet de coller le papier et de créer une impression de réalisme, et non une texture plate comme un morceau de carton.
Un bon moule est la base qui déterminera l'aspect final du masque.
Après avoir obtenu le moule, l'étape suivante consiste à coller le papier. Cette étape, considérée comme la plus délicate, exige de la main sûre et de la patience.
Le papier est froissé, déchiré en bandes, trempé dans une colle spéciale.
Cette colle, à base de fécule de tapioca, doit présenter une consistance exacte : ni trop liquide, au risque de froisser le papier, ni trop épaisse, ce qui gênerait le lissage.
Les couches de papier sont superposées en alternance, pressées fermement à la main afin d'éliminer les bulles d'air et d'assurer une bonne adhérence du papier au moule.

Un masque requiert entre quatre et sept couches, chacune devant sécher avant d’appliquer la suivante.
Après démoulage, les masques sont ajustés puis mis à sécher au soleil. Le séchage est plus rapide par temps ensoleillé et s’allonge par temps humide.
La réalisation de la base d’un masque peut prendre plusieurs jours pour obtenir la dureté et la finesse souhaitées.
L'étape finale est la peinture. Une fois la peinture sèche, le masque est verni d’une couche incolore pour le protéger de l’humidité et fixer les couleurs.
Enfin, la sangle de suspension est fixée et la solidité des bords est vérifiée. Avant de quitter l'atelier, chaque masque est examiné avec un regard rigoureux par Mme Lan et M. Hoa.
« Il doit avoir une allure, une âme ; sinon il ne sort pas de l’atelier. » a-t-elle expliqué.
S’accrocher au métier pour le préserver
Après plus de 40 ans de hauts et de bas, nombreux sont ceux qui ont abandonné la fabrication de masques en papier mâché. Mais le couple Hoa - Lan persévère chaque jour, animé d'une aspiration simple : ne pas laisser disparaître un jouet traditionnel de l’enfance vietnamienne.

Autrefois, à chaque Fête de la mi-automne, les enfants attendaient avec impatience leur masque en papier.
Mais avec l’arrivée massive des jouets en plastique et électroniques, l’art du papier mâché a progressivement été oublié.
La plupart des familles d’artisans ont fermé leurs ateliers, seuls M. Hoa et Mme Lan ont tenu bon.
Mme Lan a confié : « C'est un travail très dur et le profit est faible, mais c'est le métier que nos ancêtres ont légué. Si nous ne le préservons pas, personne ne saura ce que sont les masques en papier mâché. »
Monsieur Hoa avoue qu’il a songé plusieurs fois à arrêter, surtout quand les douleurs du dos et des articulations deviennent insupportables.
Mais chaque matin, il reprend, comme si la fatigue de la veille s’était effacée.
« Quand je vois, dans les rues, les enfants sourire en portant nos masques, j’oublie tout. C’est cela qui nous donne la force de continuer, » a dit-il.

Dans leur petit atelier, chaque masque est non seulement un objet, mais aussi un souvenir, une part de l'âme de l'ancienne Fête de la mi-automne que le couple souhaite transmettre.
Une relève et une transmission
Leurs masques sont aujourd'hui largement répandus.
Beaucoup de curieux viennent apprendre, mais la plupart cherchent la production de masse plutôt que la qualité. Cela détruirait la réputation du métier, bâtie au fil des ans.
« Je n’enseignerai qu’à ceux qui ont une véritable passion, seul l’amour du métier fidélise l’artisan. Heureusement, nous avons trouvé un jeune homme passionné et enthousiaste pour transmettre le métier », a partagé Mme Lan.
Son héritier est Ngo Quy Duc, un jeune homme qui consacre depuis une dizaine d’années sa vie à raviver l’artisanat vietnamien. Par sa sincérité et sa profonde passion, il est devenu le seul élève de la famille.
Ses projets et initiatives ont permis de faire connaître ces masques à de nombreuses générations et à toutes les couches sociales.

Les petits et les grands, mais aussi les touristes étrangers viennent visiter l’atelier du couple pour acheter et découvrir leurs produits.
Les commandes augmentent, les masques apparaissent dans les festivals culturels et touristiques, les programmes scolaires, les activités périscolaires.
Cette vitalité, cette reconnaissance sont pour les artisans une source de bonheur simple mais immense.
C’est cette conviction qui continue de préserver l’âme de la Fête de la mi-automne, permettant aux générations futures de retrouver, dans ces masques fragiles, une part précieuse de la mémoire culturelle de Hanoi.