L’essence de l’art culinaire de Bat Trang s’exprime dans les banquets du Tet traditionnel, des fêtes villageoises ou encore lors des commémorations des morts.
Des mets raffinés comme la cuisine impériale
Parmi les spécialités, les pousses de bambou séchées occupent une place de choix. À Bat Trang, aucun véritable banquet ne saurait être complet sans un bol de pousses de bambou finement effilées.
On prépare cette soupe avec des calamars séchés. Les plus prisés viennent de Thanh Hoa, et seules les femelles, plus savoureuses, sont retenues. Du moment de la pêche au séchage puis à l’utilisation, il ne doit pas s’écouler plus d’un mois. Une fois grillée, les calamars sont pilés jusqu'à ce qu'ils soient tendres, puis ils sont effilochés.
Les calamars effilochés et le bambou effilé sont d’abord sautés séparément, puis réunis pour marier leurs saveurs. Ce plat exige un bouillon, obtenu de préférence à partir d’un poulet bouilli.
Ces trois ingrédients se combinent pour créer une soupe de pousses de bambou et de calamars unique, que l’on ne trouve qu’à Bat Trang.
Autre mets en apparence ordinaire : les nems de pigeon.
Si le pigeon reste un mets délicat, les villageois ont développé une préparation originale. La viande est désossée, finement hachée, puis sautée avec de l’oignon et de la graisse de porc jusqu’à obtenir une texture ferme.
Ensuite, on mélange la viande de pigeon avec la farce traditionnelle des nems et les assaisonnements, puis on l’enveloppe dans une galette de riz avant de la frire.
Un nem préparé dans les règles est déjà une spécialité de Hanoi ; farci de pigeon, il devient une véritable gourmandise.

À Bat Trang, les femmes se distinguent autant par leur sens des affaires que par leur talent culinaire.
Un exemple typique est celui de Mme Ha Thi Vinh, l'une des femmes d'affaires les plus célèbres de Bat Trang, mais aussi une excellente cuisinière.
« Les recettes uniques de Bat Trang se transmettent de génération en génération. Toute petite déjà, j’ai été inspirée par mes grands-parents et mes parents en les aidant aux fourneaux, surtout lors des banquets familiaux et villageois », confie-t-elle.
Dans la famille de Mme Vinh, sa sœur aînée, Ha Thi Linh, aujourd’hui âgée de 85 ans, incarne une véritable mémoire vivante de la gastronomie de Bat Trang.
À Bat Trang, non seulement quelques personnes sont douées en cuisine, mais presque toutes les familles comptent des personnes expertes en cuisine et capables de juger la finesse des plats.
Tous ont appris auprès de leurs proches, lors des banquets organisés dans le village. Beaucoup se demandent peut-être pourquoi un village peut proposer des plats aussi sophistiqués et élaborés. L'histoire des anciens du village aide à décoder le caractère unique de Bat Trang.
Bat Trang est un village de potiers. Les échanges commerciaux l’ont ouvert aux saveurs venues d’ailleurs. Mais c’est aussi un village de lettrés, où la qualité littéraire ne crée pas seulement la profondeur de la poterie.
Nombre de ses habitants ont servi à la cour impériale, puis ont ramené la quintessence de la cuisine royale dans leur village. D’autres villages érudits existent, mais rares sont ceux où s’est enracinée une tradition culinaire aussi riche.
Nguyen Thi Lam, maîtresse culinaire renommée du village de Bat Trang, raconte : « Les villageois, qui cuisaient la poterie et commerçaient depuis des siècles, jouissaient d’une certaine prospérité. C'est ce qui a permis au village de potiers de préserver la sophistication et l'élégance de sa gastronomie. Quand on peut se régaler souvent, on acquiert une plus grande élégance et devient gourmet. »

Les trois identités - village de potiers, village des lettrés, village de la cuisine -se complètent et confèrent à Bat Trang son caractère singulier.
Un socle pour un pôle commercial et culturel
Là où d’autres villages ne comptent qu’une ou deux spécialités, Bat Trang dispose d’un véritable répertoire culinaire désormais reconnu comme patrimoine.
Le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme vient d’inscrire le « savoir-faire culinaire des banquets de Bat Trang » au patrimoine culturel immatériel national.
Bui Thi Huong Thuy, cheffe adjointe du Bureau de gestion du patrimoine (relevant du Service municipal de la Culture et des Sports de Hanoi), qui a participé à l’élaboration du dossier de classement, a souligné : « La valeur de la cuisine de Bat Trang ne réside pas seulement dans les plats, mais aussi dans le sens communautaire de leur transmission. Lors des fêtes, un véritable « atelier culinaire » se met en place. Tous cuisinent avec une ferveur particulière : offrir les mets les plus exquis au génie protecteur du village, honorer les ancêtres qui ont fondé le village. Cuisiner devient une fête partagée, empreinte de fierté et de gratitude. Que ces pratiques perdurent aujourd’hui est une richesse inestimable. »
Actuellement, les autorités locales et la ville de Hanoi entendent désormais capitaliser sur cette richesse pour viser plus loin : ériger Bat Trang en pôle commercial et culturel pionnier de la capitale.

Selon le projet élaboré par le Comité populaire de la commune, la zone de développement s’étendra sur quelque 300 hectares. Le centre, d’environ 50 hectares, correspondra au vieux village de Bat Trang, avec ses maisons anciennes, ses temples lignagers et ses édifices remarquables.
Il abrite déjà trois patrimoines immatériels : la poterie, les fêtes villageoises et la gastronomie. La zone s’élargira aux villages voisins de Giang Cao et Kim Lan, également réputés pour leur poterie.
Le patrimoine culturel sera intégré au commerce, aux services et au tourisme, créant un espace communautaire dédié aux festivals, expositions et expériences immersives autour de la céramique et de la cuisine.
L’investissement total est évalué à plus de 455 milliards de dôngs, financés par le budget public, le secteur privé et la réinjection des bénéfices.
Se rendre à Bat Trang, flâner dans ses ruelles étroites aux briques rouges patinées, écouter les récits d’autrefois sur chaque plat, apprendre l’art de déguster dans l’ordre les mets d’un banquet, puis savourer une gastronomie pluriséculaire : autant d’expériences qui révèlent que ce patrimoine culinaire dépasse le simple goût.
C'est l'alliance des saveurs et de la mémoire, un voyage au cœur de l’espace culturel et patrimonial d’un village millénaire.