Investir à l’étranger : le nouvel horizon des entreprises vietnamiennes

Si la Révolution d’Août 1945 a permis au Vietnam de recouvrer sa souveraineté nationale, l’investissement étranger, au cours de la période de rénovation et d’intégration, a confirmé la souveraineté économique du pays dans le contexte de la mondialisation.

Le Dr. Phan Huu Thang, ancien directeur du Département de l’investissement étranger.
Le Dr. Phan Huu Thang, ancien directeur du Département de l’investissement étranger.

À cette occasion, Nhân Dân a rencontré Phan Huu Thang, ancien directeur du Département de l’investissement étranger, pour analyser cette dynamique.

Une croissance sélective des capitaux

Journaliste : En tant que chercheur, comment évaluez-vous la tendance des entreprises vietnamiennes à investir à l’étranger, notamment dans le cadre de la Résolution 68-NQ/TW du Bureau politique sur le développement du secteur privé ?

Phan Huu Thang : Jusqu’à présent, on évoque souvent l’IDE comme le capital investi directement par un pays (souvent développé) dans un autre (souvent en développement comme le Vietnam). Mais l’investissement à l’étranger, ou outward FDI (OFDI), désigne aussi les capitaux qu’un pays engage dans d’autres pays ou territoires.

Ces deux flux sont de même nature : ils proviennent principalement du secteur privé. Dans le contexte d’intégration profonde de l’économie vietnamienne, l’OFDI, conjugué à la vitalité de l’économie nationale, offre aux entreprises privées la possibilité de s’ouvrir aux marchés extérieurs.

Si les obstacles institutionnels et les faiblesses structurelles de l’économie sont levés, l’OFDI pourrait connaître un véritable essor dans les prochaines années. Le Vietnam pourra alors renforcer à la fois l’IDE entrant et sortant, afin de consolider son statut de pays en développement avancé.

À la fin de 2024, le Vietnam comptait environ 1 825 projets d’investissement à l’étranger, pour un capital enregistré de près de 23 milliards de dollars. Rien qu’en 2024, l’OFDI vietnamien a atteint près de 665 millions de dollars (+57,7 % par rapport à 2023), répartis sur 164 projets.

Atouts et limites d’une présence internationale

Journaliste : Quels avantages les entreprises vietnamiennes ont-elles aujourd’hui lorsqu’elles investissent à l’étranger ?

Phan Huu Thang : En 2024, l’OFDI s’est concentré dans 16 secteurs, notamment la science et la technologie, l’industrie manufacturière et l’énergie. Les flux restent modestes comparés aux IDE entrants (25,35 milliards de dollars décaissés en 2024), mais progressent régulièrement. Cela illustre une volonté croissante des entreprises vietnamiennes de chercher des opportunités au-delà des frontières.

Les destinations se sont diversifiées : forte présence au Laos et au Cambodge, ce qui permet de tirer parti de la proximité géographique et de coûts logistiques réduits. Des projets rentables commencent à apparaître, avec des opérations de fusion-acquisition (M&A) et des investissements dans les technologies de l’information et de la communication. C’est le signe que l’OFDI évolue vers des activités à plus forte valeur ajoutée.

Cependant, la taille des projets reste modeste. L’OFDI manque encore de stratégies structurantes, de projets de haute technologie à effet d’entraînement. Il est largement concentré sur l’exploitation minière et l’agriculture, secteurs vulnérables aux variations de prix, aux contraintes environnementales et aux politiques locales. De plus, les capacités financières, juridiques et de gouvernance transfrontalière des entreprises vietnamiennes sont limitées, ce qui accroît les risques de pertes, de litiges ou de rentabilité faible.

Vers des champions nationaux à l’international

Journaliste : Quelles solutions proposez-vous pour que les entreprises vietnamiennes saisissent les opportunités à l’international ?

Phan Huu Thang : L’État doit définir une vision de long terme et mobiliser des instruments financiers et humains adaptés. Il faut bâtir quelques grands groupes capables de devenir investisseurs mondiaux dans des secteurs clés : énergies propres, télécommunications, technologies de l’information, chaînes de valeur industrielles et logistiques.

L’OFDI doit progressivement se détourner des ressources naturelles pour se concentrer sur la haute technologie, la R&D, les services financiers, les paiements transfrontaliers, les énergies renouvelables et la production à valeur ajoutée.

Il est nécessaire de construire un écosystème complet de soutien, allant du cadre juridique aux fonds d’investissement, en passant par le réseau diplomatique, les ressources humaines et l’accompagnement des start-up.

En parallèle, il convient de fixer des objectifs qualitatifs : d’ici 2045, plusieurs conglomérats vietnamiens devraient générer plus d’un milliard de dollars de revenus à l’international. L’État pourrait garantir des crédits pour les projets viables et s’inspirer des pays qui soutiennent leurs entreprises via des fonds d’exportation ou d’investissement.

La formation est aussi essentielle : management transnational, normes comptables internationales (IFRS), droit de l’investissement, M&A, logistique. Il faut encourager les jeunes pousses technologiques à s’internationaliser par des incitations fiscales et un appui en R&D.

Stratégie à moyen terme

Journaliste : Quelles sont les étapes concrètes à court et moyen terme ?

Phan Huu Thang : L’objectif, d’ici 2030, est de transformer l’OFDI vietnamien : passer de projets « intensifs en capital et en ressources » à des investissements « à haute valeur ajoutée », centrés sur la technologie, la R&D, les chaînes d’approvisionnement mondiales et les services de pointe.

Il faut accroître le nombre et la taille des entreprises investissant à l’étranger, via alliances, coentreprises et M&A, afin de préparer les projets stratégiques de demain. Un fonds public ou public-privé pourrait couvrir les risques politiques et financiers liés à l’OFDI. Administrativement, il est urgent de simplifier les procédures, d’instaurer un guichet unique et de clarifier les régulations sur les M&A transfrontalières.

Enfin, un programme de formation ciblé doit doter les entreprises de compétences en gestion internationale, en fiscalité, en droit et en stratégie d’investissement. La transparence des données sur l’OFDI doit également être renforcée, afin d’éclairer la décision publique.

Nous sommes convaincus qu’avec les réformes institutionnelles en cours et la mise en place de nouveaux modèles de gouvernance locale, le Vietnam pourra déployer efficacement son OFDI. Cela lui permettra de devenir un acteur économique indépendant et compétitif, capable de « prendre la mer » et de rattraper les économies développées.

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