Le contexte actuel montre une pression croissante sur l’approvisionnement électrique : la demande pourrait doubler d’ici 2030 et être multipliée par cinq en 2050.
La récente vague de chaleur a révélé la vulnérabilité de plusieurs provinces, confrontées à des risques de pénurie d’électricité localisée.
Dans cette situation, outre la diversification des sources d’énergie, les économies et l’efficacité énergétique sont perçues comme une “centrale électrique invisible” : elles ne nécessitent pas de nouvelles constructions, n’émettent pas de CO₂ supplémentaire, mais peuvent offrir une électricité moins chère, plus rapide à mobiliser et plus durable.
C’est dans ce contexte que le modèle des entreprises de services énergétiques, ou Energy Service Company (ESCO), s’impose comme un outil de politique publique essentiel. Pourtant, après près de vingt ans de présence au Vietnam, ce modèle reste encore peu répandu. Pourquoi ?
L’ESCO est un type d’entreprise fournissant des solutions complètes d’économie d’énergie via un contrat de performance énergétique (Energy Performance Contract – EPC).
Concrètement, l’ESCO conçoit, investit et exploite des solutions d’efficacité (éclairage LED, systèmes à vapeur, compresseurs, panneaux solaires en toiture, etc.) et se fait rémunérer à partir des économies d’énergie réalisées.
Au Vietnam, le modèle ESCO a été introduit au début des années 2000 par des projets du PNUD/GEF et de la Banque mondiale. Mais jusqu’à aujourd’hui, le marché reste atone pour de multiples raisons.
Bien que plus de 200 organisations opèrent dans le domaine de l’efficacité énergétique, seules quelques entreprises fonctionnent réellement selon le modèle EPC.
La plupart se limitent au conseil ou à l’installation d’équipements, ce qui entretient un manque de confiance sur le marché.
Pendant de nombreuses années, les ESCO ne disposaient d’aucune reconnaissance juridique. Ce n’est qu’avec la révision de la Loi sur l’utilisation économique et efficace de l’énergie, adoptée en juin 2025, qu’une définition claire de l’ESCO et de l’EPC a été introduite. Cependant, de nombreuses zones grises persistent, freinant encore les investisseurs.

Un autre obstacle majeur réside dans la mesure et vérification (M&V) — le cœur du contrat EPC. C’est ce mécanisme qui permet de calculer les économies d’énergie et, par conséquent, les flux financiers. Or, au Vietnam, le cadre juridique n’en est encore qu’à l’étape de la reconnaissance des ESCO, sans modèle standard d’EPC ni protocole national de M&V. Cela entraîne des risques élevés et favorise les litiges lors de l’exécution des contrats.
Plus déterminant encore : la question du financement. Un projet ESCO s’apparente à la plantation d’un arbre à long terme. Ces projets requièrent un investissement initial conséquent, tandis que les revenus issus des économies d’énergie ne se matérialisent que progressivement.
De plus, les actifs se trouvent sur le site du client, ce qui complique leur utilisation comme garantie bancaire. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que le financement des ESCO demeure bloqué.
Récemment, la Résolution n°70 du Bureau politique a affirmé que la sécurité énergétique devait aller de pair avec un système électrique sûr, stable, à faibles émissions et à coûts transparents.
Dans cette optique, la mise en place d’un cadre juridique complet pour les ESCO n’est plus une question technique, mais un élément clé pour concrétiser l’engagement Net Zéro 2050.
D’un point de vue économique, le lent développement des ESCO illustre une “défaillance du marché” : lorsque les mécanismes de marché ne suffisent pas à libérer un potentiel, l’intervention de l’État devient nécessaire.
À court terme, le Vietnam doit rapidement publier un modèle type d’EPC et des normes nationales de M&V. Une idée à explorer serait la création d’une “Super ESCO” — une entreprise pilote soutenue par l’État, servant de moteur pour le marché.
L’entreprise publique EVN pourrait tout à fait assumer ce rôle, à l’image des expériences réussies en Thaïlande, en Inde ou aux États-Unis, où le secteur public a ouvert la voie au privé.
Parallèlement, il est nécessaire de mettre en place des fonds et des instruments financiers dédiés aux projets ESCO, intégrant des mécanismes de partage des risques, de garantie des flux financiers basés sur le M&V, ainsi que des politiques fiscales, comptables et d’audit adaptées. Dès que les banques percevront la stabilité de ces flux, le financement des ESCO cessera d’être un casse-tête.
À long terme, le Vietnam pourrait s’inspirer du modèle thaïlandais, où trois acteurs que sont l’État, les ESCO et les clients partagent les responsabilités. L’État définit la politique et le cadre juridique, les ESCO se concentrent sur les solutions techniques, et les clients assurent le financement tout en bénéficiant directement des économies réalisées.
Cette répartition transparente des risques a permis au marché thaïlandais de développer de nombreux projets phares, renforçant la crédibilité et la solidité de l’ensemble de l’écosystème.
Dans le contexte où le Vietnam s’est engagé à atteindre le Net Zéro d’ici 2050, l’ESCO n’est pas seulement un modèle d’entreprise, mais aussi un levier institutionnel essentiel pour accélérer la transition énergétique.
Finaliser le cadre juridique des ESCO revient à libérer une “centrale électrique invisible” — une source d’énergie sans fumée, mais capable d’éclairer durablement la voie vers un système énergétique plus sûr, plus résilient et plus autonome.