« Il y a quinze ans, nous avons développé le jeu 7554 sur la victoire de Diên Biên Phu, et il nous a fallu environ cinq ans (de 2008 à 2011) pour le réaliser. À cette époque, on peut dire que l'industrie du jeu vidéo au Vietnam était inexistante », se souvient Nguyen Tuan Huy, directeur adjoint du Centre de production et de développement de jeux de VTC Studio.
Quand le jeu devient vecteur de mémoire
À ce moment-là, l’équipe de développement faisait face à d’innombrables défis : manque de ressources humaines, de connaissances, et de financement. L’appel à créer des jeux vidéo historiques n’a suscité aucune réponse.
Mais ces difficultés n’étaient rien comparées aux lourds préjugés de la société. À l’époque, les jeux vidéo venaient tout juste d’arriver au Vietnam : ils se développaient rapidement, mais suscitaient de nombreuses perceptions négatives. Les canaux de distribution et les médias refusaient catégoriquement de s’y associer ; il n’existait même pas de catégorie officielle pour demander une licence de publication.
Malgré les obstacles, lors de sa sortie, 7554 a su toucher le cœur de certains jeunes. Certaines histoires sont restées gravées dans la mémoire de l’équipe de production — comme celle d’un ancien combattant de Diên Biên Phu venu acheter le jeu pour l’installer à son petit-fils, ou encore celles de personnes nées et ayant grandi à Dien Bien qui ont écrit des lettres de remerciement.

Cela montre également que les Vietnamiens — y compris les jeunes — s’intéressent profondément à l’histoire et à la culture de leur pays, mais qu’une nouvelle manière de transmission est nécessaire pour toucher leur cœur.
Aujourd’hui, la situation a considérablement évolué. Cao Minh Thang, directeur adjoint par intérim de l’Institut des technologies de l’information et de la communication CDIT, indique qu’à l’échelle mondiale, des chefs-d’œuvre vidéoludiques comme Black Myth : Wukong, lancé en 2024 en Chine, sont salués tant pour leur prouesse technologique que pour la richesse culturelle qu’ils mettent en valeur. Cela démontre l’immense potentiel qu’offre la combinaison entre technologie et culture.
Au Vietnam, le boardgame Tien ve Sai Gon, récemment conçu en collaboration entre le Fonds de soutien à la préservation du patrimoine culturel vietnamien et l’Institut des technologies de l’information et de la communication CDIT, propose une approche vivante et accessible de l’histoire à destination du grand public.
Sans recourir aux technologies de pointe, Tien ve Sai Gon s’inspire des jeux traditionnels, comme o an quan (jeu traditionnel vietnamien de stratégie pour enfants) ou les petits chevaux, en faisant revivre des valeurs originelles. Il séduit les joueurs par sa simplicité, son interactivité et sa dimension stratégique, permettant aux enfants d’acquérir des connaissances historiques de manière fluide et naturelle, tout en intégrant des éléments de compétition et de hasard pour stimuler leur curiosité et leur envie d’apprendre.

Un projet de jeu utilisant la réalité virtuelle moderne, qui reconstitue le contexte du 2 septembre 1945 — jour où le Président Hô Chi Minh proclama l’indépendance du Vietnam — est en cours de réalisation par le CDIT en collaboration avec plusieurs partenaires. Les joueurs, munis de casques VR, seront immergés dans l’atmosphère historique de la place Ba Dinh. Ils ne se contenteront pas d’entendre cet instant solennel, mais le vivront pleinement grâce à une immersion totale dans ce moment historique.
L’objectif commun de ces deux approches reste de divertir tout en intégrant habilement des connaissances historiques et culturelles. Toutefois, Cao Minh Thang souligne que la technologie seule ne suffit pas à produire de tels contenus. Pour transmettre fidèlement les valeurs culturelles et historiques aux générations futures, une collaboration entre experts de divers domaines s’avère indispensable.
Le jeu vidéo vietnamien prêt à prendre son envol
À l’ère du numérique en pleine expansion, la notion de patrimoine culturel se redéfinit.
Nguyen Thị Thu Huong, directrice adjointe du Fonds de soutien à la préservation du patrimoine culturel du Vietnam, estime que le contexte actuel ouvre de nombreuses perspectives créatives pour la jeune génération, grâce à l’appui des technologies et des politiques de développement des industries culturelles du pays.
Ces dernières années, le Fonds a mené de nombreuses initiatives visant à valoriser le patrimoine culturel vietnamien, contribuant ainsi à promouvoir les industries culturelles. À partir de 2025, en partenariat avec diverses entités, il lancera des produits, tels que des jeux de société ou des jeux flash destinés à présenter le patrimoine culturel et les destinations touristiques du Vietnam.

Le général de brigade, Dr Nguyen Xuan Nang, ancien directeur du Musée d’Histoire militaire du Vietnam, affirme que, dans l’ère de la numérisation et de la mondialisation, l’histoire nationale n’est nullement effacée dans la conscience des jeunes générations. Au contraire, ces évolutions constituent une opportunité et un levier pour renforcer le lien avec le patrimoine et le rendre plus accessible au grand public.
Avec un simple smartphone, les jeunes peuvent explorer la culture, l’histoire, les dynasties, les résistances ou encore les grandes batailles du pays. La technologie, notamment les jeux créatifs porteurs de valeurs culturelles et historiques vietnamiennes, facilite cette connexion avec l’histoire et nourrit la fierté des jeunes Vietnamiens envers leurs traditions.
L’industrie vietnamienne du jeu vidéo évolue selon trois grandes tendances : l’importation et la distribution de jeux étrangers, la production de jeux destinés à l’exportation, et le développement de jeux « made in Vietnam » porteurs de fortes valeurs culturelles.
Selon Cao Minh Thang, les jeux mettant en valeur le patrimoine gagnent en popularité. Par rapport à la décennie précédente, le contexte actuel a considérablement évolué : les infrastructures technologiques se sont nettement renforcées, facilitant la production de jeux de haute qualité, et les Vietnamiens sont désormais prêts à payer pour des logiciels sous licence.
Cependant, le développement de jeux vietnamiens demeure un véritable défi. Les récits historiques et culturels du Vietnam doivent être exploités et racontés de manière plus créative et attrayante. L’intégration d’éléments culturels et historiques dans les jeux exige de la finesse, afin d’éviter toute impression d’artificialité.
Par ailleurs, la question du marché reste cruciale : les revenus générés sur le marché intérieur suffisent difficilement à couvrir les coûts de production, tandis que l’exportation vers l’international requiert une approche subtile pour toucher un public aux références culturelles différentes.
Les jeux enracinés dans la culture vietnamienne semblent prêts à prendre leur envol, selon les experts. Avec une jeune génération formée de manière professionnelle et ouverte sur le monde, on peut espérer qu’elle contribuera activement à l’essor de l’industrie vidéoludique nationale et à la diffusion des valeurs culturelles vietnamiennes à l’international.