M. Michel Strachinescu feuillète les pages de l'album et revoit les photos d’antan, les larmes aux yeux. Il se souvient de 4 ans de travail à la délégation vietnamienne en tant que chauffeur de la délégation du Gouvernement révolutionnaire provisoire du Sud-Vietnam, conduite par sa ministre des Affaires étrangères Nguyên Thi Binh, qui est devenue plus tard vice-présidente de la République socialiste du Vietnam.
Pour ce septuagénaire, ce fut la période la plus belle, la plus fière et la plus honorable de sa vie. "Nous avons été envoyé par le Parti communiste français (PCF) qui, à cette époque-là, était très fort. Moi, j'étais secrétaire d'une cellule à Aulnay-sous-Bois, où j'habitais. Parce que je connais bien les rues de Paris, ils m'ont demandé de travailler comme chauffeur pour la délégation et notamment pour Mme Nguyen Thi Binh", se souvient-t-il.
Pendant ces 4 années, son travail n'a toujours pas été facile, parfois il a dû partir dans la nuit ou dans le froid, pour des missions officielles ou non. En racontant ses histoires, il a avoué d’avoir commis beaucoup d’infractions du Code de la route pour éviter les journalistes qui leur poursuivent toujours.
Pour M. Michel Strachinescu, le jour de la signature des Accords de Paris était "formidable et fantastique", car il a marqué la victoire de la délégation vietnamienne après près de 5 ans de négociations acharnées et tendues, à la fois ouvertement et secrètement. "Pour fêter l'événement, le lendemain, j'ai fait une pièce montée et ouvert le champagne pour honorer cet évènement, pour Mme Binh et la délégation", se souvient-il.
"Cependant, Mme Binh nous a dit que ce n'est pas encore fini, il faut continuer. Ce jour-là, je n'ai pas très bien compris, pensant que la signature signifierait que la paix viendrait au Vietnam. Mais plus tard, j'ai trouvé qu'elle avait raison. Parce qu'après le retour de Mme Binh chez elle, il a fallu encore deux ans au Vietnam pour renverser le gouvernement fantoche et parvenir à la paix et à la réunification."
M. Michel n'a pas non plus oublié de parler de ses visites au Vietnam après le rétablissement de la paix et le 40e anniversaire de la signature des Accords de Paris. Pour lui, revoir ses amis vietnamiens, notamment revoir Mme Nguyen Thi Binh était une surprise merveilleuse que lui faisait l'État vietnamien. Il était également la seule personne invitée à assister à la célébration du 40e anniversaire au Vietnam, car la plupart des personnes qui servaient la délégation vietnamienne au moment des négociations étaient décédées, ou ne pouvaient pas venir au Vietnam pour assister aux événements.
Parlant du 50e anniversaire des Accords de paix de Paris cette année, M. Michel a déclaré avec émotion : "Pour moi, le Vietnam est un très beau pays, c’est la lumière du monde et j'en suis heureux !"
Les témoins de l'histoire
M. Pascal Le Phat Tan est le descendant de deuxième génération de Vietnamiens de France qui ont servi les délégations vietnamiennes participant aux négociations des Accords de Paris. Son père filmait toute la communauté vietnamienne en France dans leurs activités et manifestations contre la guerre au Vietnam, tandis que sa mère s’occupait de la cuisine pour la délégation du gouvernement de la République démocratique du Vietnam, dirigée par M. Xuan Thuy. Tous les matins, elle se rendait chez la délégation à Choisy-le-Roi pour préparer les repas avec ses amis aux Associations des ouvriers et des commerçants vietnamiens. C'est elle qui était chargée de gouter les plats avant que la délégation les mangeaient.
À cette époque-là, M. Pascal n'était qu'un garçon de plus de 10 ans, mais il ressentait quand même l'amour de ses parents pour leur Patrie, conscient de leur douleur lorsqu'il voyait le Vietnam souffrir de la guerre. Par conséquent, ses parents et de nombreux autres Viet kieu étaient prêts à se porter volontaires pour aider la délégation. “À cette époque, j'étais encore un enfant, alors les week-ends ou en vacances, je passais à Choisy-le-Roi, aidant les gens à éplucher les oignons, découper de la viande... Les gens de la délégation étaient très gentils et nous les enfants, on était très bien accueilli. C’est très émouvant!"
Pour M. Pascal, le jour de signature des Accords de paix est une journée inoubliable. Il a montré des images précieuses et inédites enregistrées par son père, Le Phat Tan et conservées, à l’heure actuelle, au Centre de documentation du PCF.
Il se souvient, étouffé par l'émotion : “Le jour de la signature des Accords nous apportait un très grand soulagement. Tout le monde a éclaté de joie et d'excitation. On se préparait à prendre le métro très tôt le matin jusqu'à l'avenue Kleber pour assister à l'événement et féliciter la délégation vietnamienne. Comme les enfants n'étaient pas contrôlés par la sécurité, nous avions caché les drapeaux dans nos poches. Et quand on était là-bas, on a éparpillé les drapeaux aux participants. C’était un grand moment de joie!"
Faisant partie de la première générations d'étudiants et de stagiaires de la République Démocratique du Vietnam heureusement présents à Paris lors de la cérémonie de signature des Accords de Paris, l'ambassadeur Van Nghia Dung n'a pas pu oublier l'atmosphère passionnante du 27 janvier 1973, ainsi que l'image de l’aflux des Vietnamiens de France et des amis français sur le long de l’avenue devant le Palais des Congrès Klébert, couverte de la forêt des drapeaux rouges à l’étoile d’or du Vietnam et du drapeau demi rouge, demi bleu à l’étoile d’or du Front de libération nationale. "Le moment le plus impressionnant a été lorsque nous avons reçu le convoi conduisant deux délégations du gouvernement de la République Démocratique du Vietnam dirigées par le conseiller Le Duc Tho et le chef de la délégation Xuan Thuy et la délégation du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire du Sud-Vietnam dirigée par Mme Nguyen Thi Binh avec un ao dai gracieux et un visage radieux.
Lorsque les deux délégations étaient descendues du bus pour entrer dans le Palais des Congrès, les applaudissements n'ont pas cessé, obligeant les délégués à s'arrêter longuement pour saluer les amis vietnamiens et français. Au contraire, lorsque la délégation américaine conduite par le secrétaire d'État Kissinger et la délégation du gouvernement fantoche de Saïgon conduite par son ministre des Affaires étrangères Tran Van Lam sont descendues de la voiture, elles ont été immédiatement huées par des sifflets et des sifflets... alors les deux groupes sont entrés précipitamment dans la salle de conférence", a-t-il rappelé.
Il n’oublie non plus la réception solennelle avec la présence d’environ deux mille Viet kieu, étudiants vietnamiens et amis français. Ce banquet a été donné par les deux délégations vietnamiennes à l'hôtel Lutecia pour célébrer la signature des Accords et présenter leur gratitude aux amis vietnamiens et français qui leur ont aidé au cours du processus de négociation.
Selon l'ambassadeur Van Nghia Dung, les Accords de Paris a marqué d'un jalon important car elle a apporté une contribution décisive à la fin de la guerre et au rétablissement de la paix au Vietnam. C'est le plus long processus de négociation de l'histoire avec plus de 4 ans et 8 mois, à la fois des négociations ouvertes et des rencontre secrètes. En outre, l'événement a de nombreuses autres significations importantes. "C’était une occasion de rassembler largement le mouvement patriotique des Vietnamiens de France. C’était aussi le fruit de l'appui sincère du PCF dans l'organisation de l'hébergement et de la sécurité des deux délégations", a souligné l'ambassadeur.
Mme Nicole Trampoglieri est présidente de l'Association d'amitié France-Vietnam (AAFV) de la ville de Choisy-le-Roi et de la province du Val-de-Marne. Bien qu'elle n'ait pas été directement impliquée dans les activités liées aux négociations des Accords de paix de Paris, elle représentait une génération de jeunes français qui aiment la paix, s'opposent au colonialisme et au racisme. C'est pourquoi elle soutient toujours la lutte du peuple vietnamien pour son indépendance et sa liberté. Sa première manifestation pour la paix au Vietnam c’est quand elle était lycéene. À l’université, ces luttes se poursuivaient. Pendant la période des négociations entre 1968 et 1973, pour Mme Nicole c’était à la fois la fin de ses études, le début de sa vie professionnelle et la naissance de son premier enfant. "Le souvenir que je garde c’est l’activité à Vitry sur Seine où nous habitions à l’époque. Tous les dimanches matins, nous étions sur le marché, nous avions un stand organisé par le PCF pour faire des tombolas et recueillir ainsi de l’argent qui étaient destinés à aider les combattants vietnamiens", a-t-elle raconté.
Le jour de la signature, pour elle, était un "grand soulagement", mais elle savait que ce n’était pas encore la fin de la guerre et qu’il allait encore falloir beaucoup aider le Vietnam parce qu’il n’était pas au bout de ces épreuves et le jumelage entre la ville de Choisy le Roi avec l’arrondissement de Dong Da, victimes des bombardement américaines en 1972, a commencé sur l’aide à la reconstruction notamment des écoles, sur l’aide à la nourriture ou des aides matérielles concrètes et nécessaire.
Un demi-siècle s'est écoulé, les récits des Accords de paix de Paris de 1973 par les quelques témoins restants permettront aux jeunes, qu'ils soient Français ou Vietnamiens, de connaître une page héroïque de l'histoire relative au rétablissement de la paix au peuple vietnamien, et en même temps à l’établissement de l'amitié franco-vietnamienne, qui s'est toujours consolidée et construite au cours du dernier demi-siècle.