Les innovations dans la production permettent non seulement de réduire la consommation de ressources naturelles et d’énergie, mais aussi de limiter considérablement les émissions polluantes.
Transformer les déchets en ressources
La production de clinker, le composant principal du ciment, est responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre du secteur des matériaux de construction. Chaque tonne de clinker produit engendre environ 900 à 960 kg de CO₂, dont près de 60 % proviennent des matières premières et 35 % des combustibles utilisés pour la cuisson.
Pour faire face à ce défi, de nombreuses entreprises vietnamiennes adoptent depuis plusieurs années la technologie de co-traitement des déchets dans les fours à ciment. Ce procédé consiste à utiliser les déchets industriels ou ménagers comme combustibles ou matières premières de substitution. Les fours à plus de 1 400 °C permettent de détruire totalement les déchets sans produire de résidus secondaires tels que cendres, gaz toxiques ou eaux usées, tout en intégrant les cendres restantes dans le clinker.
Selon Nguyen Quang Cung, président de l’Association vietnamienne du ciment, cette technologie s’inscrit parfaitement dans la stratégie nationale d’économie circulaire et dans l’objectif Net Zéro fixé par le gouvernement. Elle représente un double avantage : environnemental et économique.
Des résultats concrets dans les entreprises
Dès 2012, la Société par actions de ciment et de construction de Quang Ninh (Lam Thach) a commencé à utiliser des déchets issus des industries du cuir et du textile pour remplacer une partie du charbon. Selon Nguyen Truong Giang, son directeur adjoint, cette solution permet de substituer environ 15 % du charbon, soit l’équivalent de 270 000 tonnes par an, réduisant à la fois les coûts et les émissions de CO₂, tout en soulageant la pression sur les décharges locales.
De son côté, la société Vicem But Son a investi dans un système de récupération de chaleur résiduelle pour produire de l’électricité, couvrant jusqu’à 30 % des besoins énergétiques de l’usine. Cette initiative permet d’économiser plusieurs dizaines de milliards de dongs chaque année.
À Vicem Lam Thao, les ingénieurs appliquent depuis 2021 des solutions intégrées : co-traitement des déchets, valorisation des sous-produits et utilisation de la chaleur perdue. D’après Nguyen Ngoc Xuan, responsable du laboratoire de l’entreprise, ces mesures permettent d’économiser 20 à 30 millions de dongs par tonne de produit, tout en réduisant significativement les émissions et la quantité de déchets enfouis.
Des défis techniques et financiers persistants
Malgré ces avancées, la généralisation du co-traitement se heurte à plusieurs obstacles. De nombreuses usines vietnamiennes utilisent encore des équipements datant de 20 à 30 ans, peu compatibles avec les technologies modernes. La rénovation ou la construction de nouvelles installations nécessite un investissement financier considérable et des interruptions temporaires de production, ce qui freine la transition.
De plus, les entreprises peinent à accéder aux financements verts ou aux fonds préférentiels pour la protection de l’environnement, alors que le coût d’un système complet de co-traitement reste élevé.
Un autre défi majeur est l’approvisionnement en déchets adaptés. Les cimenteries doivent souvent acheter les déchets auprès de sociétés de collecte, mais les volumes et la qualité des déchets recyclables demeurent instables. Le manque d’infrastructures de prétraitement et de tri complique encore davantage la continuité de la production.
Nécessité d’un cadre politique de soutien
Pour surmonter ces obstacles, les experts et représentants du secteur appellent à la mise en place d’un cadre politique cohérent et d’un mécanisme incitatif clair. Les priorités incluent :
- des réglementations techniques spécifiques pour le co-traitement des déchets industriels,
- un système de certification des réductions d’émissions de CO₂,
- des incitations fiscales et crédits verts pour les investissements dans les technologies propres,
- ainsi qu’un label “ciment vert” pour les produits respectueux de l’environnement.
Par ailleurs, il est nécessaire de clarifier les politiques liées à la responsabilité élargie des producteurs (EPR) pour les emballages et déchets industriels, et de renforcer la coopération entre les autorités locales et les entreprises dans la gestion des flux de déchets.
Vers une industrie du ciment durable
Grâce aux progrès scientifiques et technologiques, le Vietnam démontre qu’il est possible de concilier croissance industrielle et protection de l’environnement. Le co-traitement des déchets et la valorisation énergétique offrent une voie concrète pour réduire les émissions et favoriser une économie circulaire.
Toutefois, pour que ce modèle devienne la norme, il faut un engagement plus fort des pouvoirs publics et un accès élargi aux ressources financières vertes. En soutenant les innovations déjà en cours, le Vietnam pourrait devenir un pionnier régional du “ciment vert”, contribuant activement à la transition énergétique et à la neutralité carbone d’ici 2050.