Le plus grand et le plus ancien paysage karstique d’Asie
L’UNESCO n’a pas tari d’éloges à propos du patrimoine transfrontalier Phong Nha - Ke Bang (Quang Binh, Vietnam) et Hin Namno (Khammouane, Laos). Selon le dernier dossier de l’organisation, ces deux sites, situés au cœur de la chaîne de Truong Son, forment un ensemble géologique et biologique transfrontalier couvrant près de 220 000 hectares. Cette région abrite les formations karstiques les plus anciennes d’Asie, datant du Paléozoïque, il y a plus de 400 millions d’années, constituant une preuve exceptionnelle du critère de l’UNESCO relatif à la valeur géologique et géomorphologique remarquable.
Ce système karstique continu comprend plus de 220 km de grottes et de rivières souterraines, dont la grotte de Son Doong (Vietnam), la plus grande au monde en diamètre, et la grotte Xe Bang Fai (Laos), dont le débit de crue peut atteindre 2 880 m³/s. Les formations karstiques, grottes à ramifications multiples, grottes sèches, grottes suspendues et dolines fermées, se retrouvent ici avec une densité élevée et dans un état quasi intact, créant un paysage d’une valeur scientifique et esthétique exceptionnelle à l’échelle mondiale.
Selon Nguyen Luong, expert en conservation de la faune et de la flore à FFI, la diversité des matériaux géologiques, calcaire, grès, schiste ou encore granit, imbriqués entre eux, a donné naissance à un système géomorphologique complexe, offrant un intérêt de référence pour la géologie, l’hydrologie, la biologie et l’étude du changement climatique de ce patrimoine transfrontalier.
Pour sa part, Pham Hong Thai, directeur du parc national de Phong Nha - Ke Bang, souligne : « Selon les critères de l’UNESCO, cette zone constitue un exemple rare d’écosystème karstique intact, interconnecté et fonctionnant naturellement à grande échelle. La coexistence de forêts sempervirentes, de forêts sèches sur calcaire, de forêts naines humides sur grès et de forêts de pins calcaires rares crée une mosaïque d’habitats caractéristiques pour des milliers d’espèces vivantes ».
À noter également la richesse biologique souterraine, avec des espèces spécialisées dans les grottes : poissons aveugles, insectes dépigmentés, lichens, algues et de nombreuses espèces endémiques jamais recensées ailleurs. La continuité transfrontalière garantit la poursuite naturelle des processus d’évolution et d’adaptation biologique, sans fragmentation due aux frontières administratives.
« La zone est considérée comme un point chaud mondial de biodiversité, avec plus de 2 700 espèces de plantes vasculaires, dont plus de 400 endémiques du centre du Laos et du centre du Vietnam. On y dénombre 800 espèces de vertébrés : 154 mammifères, 117 reptiles, 58 amphibiens, 314 oiseaux et 170 poissons d’eau douce. La présence d’espèces rares, menacées et endémiques, telles que le Douc noir, le Gibbon à joues blanches du Sud, diverses orchidées, bégonias et poissons cavernicoles, atteste de l’importance vitale de cette région pour la conservation mondiale. Pas moins de 133 espèces végétales et 104 espèces animales sont menacées à l’échelle mondiale, et au moins 38 espèces animales endémiques de la cordillère annamitique, faisant de cette région l’ultime refuge pour de nombreuses espèces », estime l’expert Nguyen Luong.
Une gestion transfrontalière durable
Phong Nha - Ke Bang et Hin Namno sont tous deux reconnus comme parcs nationaux. Au Vietnam, Phong Nha - Ke Bang a été créé en 1986, agrandi en 2015 et classé site national spécial en 2009. Au Laos, Hin Namno a été désigné parc national en 2020 en vertu de la nouvelle loi forestière, et figure également sur la Liste verte de l’UICN - un indicateur de conservation reconnu à l’échelle mondiale.
Selon Pham Hong Thai, les responsables des deux parcs nationaux ont élaboré des plans de gestion transfrontalière complets et rigoureux, incluant : l’aménagement de zones tampons, le développement d’un tourisme durable, la limitation du nombre et du type de visiteurs dans les grandes grottes comme Son Doong et Xe Bang Fai, ainsi qu’une surveillance stricte des activités affectant les écosystèmes, de l’exploitation forestière au braconnage. L’unification de ces deux zones protégées contiguës en un seul patrimoine transnational accroît la superficie de conservation et renforce l’intégrité écologique ; elle élargit aussi la représentativité des différentes formes géomorphologiques et écologiques de la chaîne de Truong Son.
Les experts affirment que ce patrimoine transfrontalier renforce la capacité d’adaptation face aux menaces communes telles que l’exploitation forestière, la chasse illégale ou encore le développement incontrôlé des infrastructures touristiques.
Bien que des risques subsistent - déforestation, infrastructures, impacts du tourisme de masse -, la coopération dans la gestion bilatérale constitue un modèle de conservation conjointe, tout en soutenant les moyens de subsistance locaux grâce à l’écotourisme et à l’exploitation durable des produits forestiers.
Le Docteur Leonid Averyanov (Allemagne), l’un des vingt scientifiques ayant contribué à l’élaboration du dossier de candidature du patrimoine transfrontalier susmentionné, a écrit : « Cette extension est également un symbole de la coopération régionale de l’ASEAN dans la préservation de la nature. Elle ne contribue pas seulement aux objectifs de conservation mondiale, mais elle valorise aussi les savoirs traditionnels et le patrimoine culturel immatériel des communautés autochtones telles que les Salang, Bru Van Kieu, May, Ruc ou encore Arem.
Elle participe au maintien de la stabilité dans les zones frontalières, affirme une souveraineté douce à travers la coopération environnementale, et crée les bases d’un écotourisme responsable, en remplacement des formes d’exploitation à court terme. Surtout, avec des dizaines d’espèces animales et végétales ne survivant plus que dans cette région, le patrimoine transfrontalier Phong Nha - Ke Bang et Hin Namno représente leur ultime espoir de survie à long terme, tout en demeurant l’une des dernières « perles vertes » d’Asie du Sud-Est ayant conservé son intégrité écologique et son paysage singulier.