Réinventer les récits du passé
« Il fut un temps où les souvenirs vendus au sein du Temple de la Littérature étaient dépourvus de lien avec l’essence même du lieu, souvent sans créativité, parfois même étrangers à la culture locale. Cette situation, qui concernait non seulement le Temple de la Littérature, mais également de nombreux autres sites patrimoniaux, ne pouvait perdurer dans un espace aussi emblématique », confie le Dr. Le Xuan Kieu, directeur du Centre des activités culturelles et scientifiques du Temple de la Littérature, lors du forum « Réinventer les récits anciens : du patrimoine aux produits culturels ».
Face à cette réalité, le centre a entrepris une réorientation stratégique : les souvenirs doivent désormais refléter l’âme du monument, s’inspirer des motifs traditionnels et des figures historiques, tout en étant confectionnés par les villages d’artisans de Hanoï.
Chaque objet, carnet, stylo, vêtement, chapeau, se veut à la fois esthétique, fonctionnel et respectueux de l’environnement.
Grâce à une collaboration étroite avec des designers talentueux et des villages artisanaux renommés comme Bat Trang, Van Phuc, Ha Thai ou Phu Vinh, plus de 70 articles originaux ont vu le jour et sont aujourd’hui proposés aux visiteurs.
De leur côté, les jeunes créateurs du studio Boi An se sont immergés dans l’étude des motifs anciens, leur redonnant vie à travers une approche contemporaine.
Par exemple, l’œuvre « Giảng học đồ », longtemps méconnue, a été revisitée sous forme de créations visuelles modernes et accessibles.
D’autres produits, tels que des bijoux inspirés des motifs du temple communal Kim Ngan, des coussins décorés d’éléments du patrimoine céramique de Chu Dau ou de gravures en bois traditionnelles participent à cette démarche de renouvellement.
Ces initiatives montrent que le patrimoine ne doit pas être figé dans les vitrines des musées. Il peut se transformer en biens de consommation modernes, contribuant à diffuser l’héritage culturel et à raviver la mémoire collective.
Commercialiser sans trahir l’esprit du patrimoine
Alors que le flux touristique vers Hanoï ne cesse de croître, l’absence d’une offre structurée de souvenirs représente un manque à gagner évident.
Pourtant, selon le Dr. Le Xuan Kieu, les synergies entre les designers, les artisans et les gestionnaires de sites restent insuffisantes.
L’exploitation d’espaces publics sans soutien financier initial contraint souvent les porteurs de projet à adopter un modèle de dépôt-vente, limitant ainsi leur capacité à proposer des créations véritablement identitaires.
L’absence d’investisseurs, de bases de données patrimoniales fiables et de mécanismes de protection intellectuelle freine également le développement du secteur.

Artisan héritier de l’art du tò he (figurines en pâte), Dang Van Hau a développé une matière plus résistante, tout en perpétuant les traditions populaires.
Il appelle à la mise en place de politiques de soutien plus claires et favorables aux entreprises culturelles, ainsi qu’à un rapprochement renforcé entre designers, entrepreneurs et artisans.
Active depuis 1996 dans la promotion des savoir-faire artisanaux des minorités ethniques, Tran Tuyet Lan, directrice de l’entreprise sociale Craft Link, insiste :
« Ce qui confère une véritable valeur aux produits culturels, ce n’est pas seulement la technique, mais aussi l’histoire et l’identité qu’ils véhiculent. »
Selon elle, il est crucial de garantir la transmission intergénérationnelle des savoirs traditionnels au sein des communautés.
« Les artisans doivent pouvoir vivre de leur métier. L’accès au marché est donc vital, car il constitue l’incitation la plus forte à préserver et valoriser le patrimoine », conclut-elle.
Protéger la créativité, partager les bénéfices
Pour Doan Tran Lam, du Club du patrimoine des temples communaux, le Vietnam est en train de passer d’un modèle de conservation classique à une ère de créativité et de numérisation.
Dans ce nouveau contexte, la question des droits de propriété intellectuelle appliqués aux patrimoines et aux produits dérivés demeure un défi mondial.
Les créations sont facilement copiables et la protection juridique reste lacunaire.
Il devient dès lors essentiel de trouver un équilibre entre les droits des communautés détentrices du patrimoine et ceux des créateurs contemporains.
Chaque produit culturel devrait porter l’empreinte de l’âme vietnamienne tout en incarnant une valeur universelle, afin de rayonner sur la scène internationale.