Photo : baobienphong.
Photo : baobienphong.

Culture et cosmologie des Muong à travers un calendrier de bambou

Dans le système des savoirs autochtones des minorités ethniques du Vietnam, le calendrier en bambou des Muong se distingue comme une méthode de gestion du temps à la fois symbolique et pratique. Considéré comme un trésor inestimable, il incarne trois valeurs fondamentales : le savoir, la culture et la spiritualité.

Considéré comme un trésor inestimable, le calendrier en bambou des Muong incarne trois valeurs fondamentales : le savoir, la culture et la spiritualité.

Sur le plan du savoir, il constitue une base de données sur le climat, les récoltes et les expériences d’organisation de la vie.

En termes de culture, il reflète une pensée symbolique, un mode de vie et une structure sociale propre aux Muong.

En ce qui concerne la spiritualité, il illustre le lien entre l’homme, l’univers et les ancêtres, servant de « boussole » qui guide vers une vie en harmonie avec le ciel et la terre.

À l’heure où de nombreuses valeurs traditionnelles se perdent peu à peu, le calendrier en bambou devient d’autant plus précieux. Il ne s’agit pas seulement d’un patrimoine matériel, mais d’un symbole d’identité, de mémoire communautaire et spirituelle d’une ethnie.

Dans le système des savoirs autochtones des minorités ethniques du Vietnam, le calendrier en bambou des Muong se distingue comme une méthode de gestion du temps à la fois symbolique et pratique.

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Le calendrier en bambou (aussi appelé Khao roi) des Muong de Hoa Binh a été reconnu comme patrimoine immatériel national en 2022. Photo : langvanhoa.

Bien plus qu’un simple outil pour suivre les cycles agricoles, organiser les fêtes ou observer les conditions météorologiques, il représente une vision du monde, une conception de l’homme et de sa relation avec la nature dans la culture des Muong.

Un trésor muong gravé dans le bambou

L’ethnie Muong, l’une des principales minorités ethniques du Vietnam, habite essentiellement dans les zones montagneuses du Nord, notamment dans les provinces de Hoa Binh, Thanh Hoa, Phu Tho et Son La.

Troisième plus grande population parmi les 54 groupes ethniques du Vietnam, l’ethnie muong possède une culture riche et ancienne, clairement exprimée à travers sa langue, ses coutumes, son architecture sur pilotis, ses arts folkloriques et son patrimoine oral dont l’épopée Mo Muong est emblématique.

L'économie traditionnelle des Muong est étroitement liée à l'agriculture, notamment la riziculture inondée, associée à l'élevage, au tissage et à la chasse.

Dans un environnement où le climat, la météo et les cycles des cultures ont un impact profond sur la riziculture et les activités agricoles, les Muong ont développé un système de calendrier spécifique pour enregistrer et prédire les phénomènes naturels, planifier les travaux agricoles et organiser les rites spirituels.

Ils utilisent plusieurs types de calendriers : le Da ro (calendrier de la Tortue), le Khao roi (ou Khao doi), le calendrier du nouveau riz et le calendrier populaire des eaux.

Chaque type repose sur un phénomène naturel différent comme les déplacements de l’étoile Roi (Pleiades) ou encore les variations des crues et décrues.

Parmi ceux-ci, le Khao roi, gravé sur des lames de bambou, d’où le nom de « calendrier en bambou », est le plus précieux. Ce calendrier est un patrimoine culturel immatériel unique, témoignage vivant de la transmission orale et non manuscrite du savoir, incarnant la résilience et l’ingéniosité des Muong.

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Chaque plaquette comprend 30 marques représentant les 30 jours du mois. Photo : baodantoc.

Pour le fabriquer, on utilise des tiges de bambou mûr, fendues en deux, puis gravées sur la surface intacte.

Les gravures, principalement des lignes, des points, des cercles ou d'autres symboles géométriques, sont disposées dans un ordre précis, correspondant à chaque jour, phases lunaires ou périodes saisonnières.

Chaque signe a sa propre signification : bon jour, mauvais jour, jour de fête, jour de culte des ancêtres, période des plantations et des récoltes.

L'utilisation du calendrier en bambou n'est pas personnelle, mais étroitement liée aux activités communautaires, démontrant ainsi son rôle non seulement comme outil de mesure du temps, mais aussi comme institution culturelle et sociale, contribuant au maintien de la cohésion, de l'unité et de l'identité unique des Muong à travers les générations.

Le calendrier Khao roi se compose de 12 plaquettes de bambou, chacune gravée avec des marques symbolisant les jours, les mois et les phénomènes naturels.

On distingue trois zones principales sur chaque plaquette : les signes du mois en haut, les jours sur le côté, et au centre, les phénomènes naturels comme la pluie, le vent, les tempêtes, les jours néfastes pour le commerce ou propices à la pêche.

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L’artisan émérite Bui Thanh Binh avec un ancien calendrier en bambou des Muong et un modèle agrandi exposé dans son musée de la culture des Muong. Photo : dantocmiennui.

Selon Bui Thanh Binh, directeur du musée du patrimoine de l’ethnie Muong, pour les Muong, une journée se divise en 16 heures, soit 1,5 heure solaire chacune, mesurées non par horloge mais par des repères naturels : le chant du coq, le lever et le coucher du soleil, le midi, la tombée de la nuit… La journée commence avant l’aube, vers 2–4h du matin.

Un guide rituel communautaire des Muong

Les décisions majeures, liées au mariage, à la construction ou réparation des maisons, aux voyages, aux activités commerciales, s’appuient toutes sur le calendrier Khao roi pour choisir jours et heures propices.

L’artisan Bui Chi Luong, venu du district de Kim Boi (province de Hoa Binh), explique qu’un mois est divisé en trois parties : racine (10 premiers jours), milieu (10 jours suivants) et sommet (10 derniers jours), comme la croissance d’une plante, symbolisant l’interprétation cyclique du temps par analogie avec la nature.

Dans la vie quotidienne, le calendrier en bambou est un véritable « manuel du temps » pour la communauté. Avant chaque saison agricole, le chaman ou le chef de village consulte le calendrier en bambou pour déterminer les dates propices aux semailles ou aux cérémonies de pluie.

Il sert aussi de repère pour les rites (mariage, funérailles), les fêtes traditionnelles (Khai ha, prières pour de bonnes récoltes), et les événements importants (construction de maison, voyage, affaires).

Dans certaines localités, c’est également un outil pédagogique pour transmettre aux jeunes générations le savoir ancestral et les coutumes des Muong.

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L'artisan du peuple Bui Van Minh présente la méthode de calcul agrandie du calendrier en bambou pour une meilleure compréhension. Photo : baodantoc.

Apparu très tôt dans l’histoire des Muong, le calendrier en bambou a été reconnu en 2022 comme patrimoine culturel immatériel national du Vietnam, marquant sa valeur dans la préservation de l’identité culturelle de cette ethnie.

Véritable incarnation de la richesse des savoirs autochtones vietnamiens, le calendrier en bambou, d’un simple outil de calcul, est devenu un symbole culturel où convergent connaissances, croyances et identité nationale.

La préservation et la recherche sur le calendrier en bambou contribuent non seulement à préserver un précieux patrimoine culturel, mais nous aident également à mieux comprendre le lien entre l'homme et la nature, entre la tradition et la modernité, dans le processus de développement durable de la culture des minorités ethniques du Vietnam.

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