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Plus qu’une simple boisson, l’alcool de maïs de Ban Pho est l’expression d’un savoir populaire transmis de génération en génération. |
Personne ne saurait dire quand a commencé la distillation de cet alcool. Ce que l’on sait, c’est qu’à Ta Van Chu, Ban Pho, Ta Cu Ty, les foyers ne se sont jamais éteints : les femmes H’Mong y entretiennent la flamme des marmites dans leurs cuisines de terre battue, distillant patiemment une liqueur dorée, ancrée dans le quotidien du travail agricole et les coutumes des zones montagneuses.
Mais la richesse de cette tradition ne réside pas uniquement dans les ingrédients utilisés, à savoir du maïs cultivé sur les roches escarpées de Lung Phinh, puis séché naturellement au-dessus des cheminées pour préserver son amidon et sa texture, elle réside surtout dans le savoir-faire local accumulé, raffiné, filtré par le temps.
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Après avoir été égrené, le maïs est moulu, cuit à la vapeur, puis mélangé à un ferment végétal gardé jalousement dans chaque famille. |
Après avoir été égrené, le maïs est moulu, cuit à la vapeur, puis mélangé à un ferment végétal gardé jalousement dans chaque famille. Ce levain sacré, véritable « âme » du ruou ngô, est issu de dizaines de plantes médicinales de la forêt, récoltées sur les hauteurs, lavées, séchées, broyées et mêlées selon des recettes gardées secrètes.
La distillation, elle, s’opère dans un espace pensé avec soin : à l’abri du vent, près de l’annexe de la maison, où chaleur et humidité sont contrôlées. Les outils sont rudimentaires – chaudrons en cuivre, tuyaux en bambou, jarres en terre cuite – mais leur assemblage minutieux participe à l’unicité de la boisson. L’eau utilisée provient impérativement de sources pures jaillissant des montagnes calcaires.
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La distillation s’opère dans un espace pensé avec soin : à l’abri du vent, près de l’annexe de la maison, où chaleur et humidité sont contrôlées. |
Loin des machines industrielles et des manuels de chimie, les artisans distillent à l’instinct : ils évaluent la limpidité du liquide, écoutent le murmure de l’ébullition, hument les fermentations pour ajuster le feu, réguler le temps de repos. Un artisanat patient, méticuleux, empreint de sagesse populaire.
Aujourd’hui, l’alcool de maïs n’est plus réservé aux seuls banquets communautaires. Il est devenu un produit commercial estampillé d’une marque collective, reconnu sur les étals des festivals, foires gastronomiques et événements de promotion régionale. Certaines familles investissent désormais dans des étiquettes, codes-barres et protections contre la contrefaçon pour répondre à la demande touristique.
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L’alcool de maïs est devenu un produit commercial estampillé d’une marque collective. |
Face à l’érosion des métiers traditionnels, l’alcool de Ban Pho est une preuve vivante de la résilience du savoir autochtone et de sa capacité à se convertir en moteur de développement économique, culturel et social.
Les autorités provinciales de Lao Cai et du district de Bac Ha s’engagent dans la valorisation de ce patrimoine en intégrant la production d’alcool à leur programme « À chaque commune, son produit » (OCOP), en organisant des festivals culinaires régionaux, et en promouvant la commercialisation du ruou ngo. Celui-ci a d’ailleurs obtenu la certification OCOP quatre étoiles, aux côtés du thé biologique de Ban Lien, cinq étoiles – les deux piliers agricoles du district.
À long terme, la stratégie de développement durable repose sur le tourisme communautaire. Le visiteur de Bac Ha ne se contente plus de contempler les vergers de pruniers en fleurs ou de flâner dans les marchés locaux. Il peut désormais participer à chaque étape de la fabrication du ruou ngo, écouter les contes liés aux plantes médicinales, et déguster le nectar autour d’un feu, en compagnie des villageois.
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La distillation du ruou ngo à Ban Pho est un manifeste vivant du génie populaire, un ferment de développement durable mêlant traditions, savoirs et espoirs d’avenir. |
Dans la grande marche vers la préservation des identités culturelles, la distillation du ruou ngo à Ban Pho incarne bien plus qu’un métier : elle est un manifeste vivant du génie populaire, un ferment de développement durable mêlant traditions, savoirs et espoirs d’avenir.