Le cœur de l'industrie culturelle
Au milieu de l’animation de la rue Hang Bac subsiste une petite boutique tenue par Nguyen Chi Thanh. Ouverte depuis plus d’un siècle, elle incarne la cinquième génération d’orfèvres de la famille. Jour après jour, M. Thanh s’affaire sur son vieux établi en bois.
Le tintement régulier de son petit marteau rappelle que Hanoi conserve encore une part de mémoire vivante, à travers les mains tremblantes mais fermes d’un vieil artisan.
« Beaucoup viennent photographier ma boutique. Ma famille pratique ce métier depuis cinq générations. Cela permet de vivre, sans pour autant s’enrichir », confie-t-il avec un sourire bienveillant.

L’histoire de M. Thanh illustre que la valeur des métiers traditionnels ne réside pas seulement dans leurs produits, mais aussi dans les hommes et les récits qu’ils portent.
Aujourd’hui, les visiteurs se rendent dans ces rues artisanales non seulement pour acheter des objets, mais aussi pour « acquérir » des histoires et des expériences culturelles. Ce sont elles qui confèrent une âme aux produits artisanaux et transforment de modestes artisans en captivants « conteurs ».
Dans le contexte de la mondialisation, la notion d’« industries culturelles » n’est plus une théorie lointaine, mais une voie prometteuse pour redonner vie aux villages artisanaux.
Il ne s’agit pas seulement de produire, mais aussi d’exploiter, de créer et de commercialiser des valeurs culturelles, en transformant l’héritage traditionnel en produits et services attractifs, à forte compétitivité.
Les artisans et les villages constituent le cœur de cette mutation. Ils ne sont pas seulement des fabricants, mais aussi des « conteurs », des « créateurs » porteurs d’un savoir-faire et de connaissances inestimables. Chaque pièce artisanale recèle une histoire de culture, d’histoire et d’humanité.
Afin de libérer ce potentiel, l’État et la ville de Hanoi ont mis en place des politiques de soutien globales.

Le gouvernement et la municipalité honorent et distinguent les artisans avec les titres de « Maître artisan du peuple » et « Maître artisan émérite » conformément au décret 62/2014/ND-CP. Ces distinctions ne se limitent pas à une reconnaissance symbolique, elles s’accompagnent d’aides financières et d’une couverture santé. De quoi permettre aux artisans de vivre de leur art et de continuer à transmettre la flamme culturelle.
Parmi eux, Tran Do, surnommé le « magicien de l’émail », est l’unique maître artisan du peuple de Bat Trang. Il a ressuscité avec succès plusieurs techniques d’émaux anciens, dont l’émail céladon et l’émail bleu, contribuant à préserver le patrimoine céramique vietnamien.
Autre exemple : Ha Thi Vinh, figure féminine du village de Bat Trang. Elle maîtrise les techniques traditionnelles tout en modernisant la production et en insufflant une vision entrepreneuriale audacieuse. Elle a redynamisé l’entreprise familiale, modernisé les processus, tout en préservant l’esprit artisanal et l’excellence des produits.

Son parcours montre que, pour survivre dans l’ère nouvelle, les métiers traditionnels doivent combiner savoir-faire et sens économique.
La complémentarité entre l’habileté de Tran Do, la vision d’Ha Thi Vinh et la créativité de jeunes artisanes comme Vu Nhu Quynh illustre la vitalité actuelle de la céramique de Bat Trang.
De même, dans le village de soierie de Phung Xa (district de My Duc), l’artisane Phan Thi Thuan innove en produisant une soie unique à partir de fibres de lotus, alliant tradition et invention.

Le financement, clé du développement
Malgré les politiques de soutien, l’accès au crédit reste un obstacle majeur pour de nombreux artisans et petites unités de production. Les prêts préférentiels issus de fonds comme le Fonds de soutien au développement rural (décret 52/2018/ND-CP) constituent une solution concrète, mais les démarches administratives complexes et l’absence de garanties freinent leur accès.
Pour y remédier, les mécanismes de financement doivent gagner en flexibilité. Au-delà des garanties traditionnelles, des modèles de microcrédit adaptés aux spécificités artisanales devraient être développés, reposant sur la réputation des artisans ou la garantie des associations professionnelles. Un soutien direct des budgets locaux, sous forme de capital initial pour l’innovation technologique ou la gestion environnementale, représenterait également une option efficace, permettant aux artisans d’investir, d’améliorer productivité et qualité, et de créer des produits à plus forte valeur ajoutée.
Construire une marque et raconter une histoire
À l’ère des industries culturelles, le produit artisanal ne constitue plus une fin en soi : il s’intègre dans une chaîne de valeur plus vaste, associant expérience, service et récit.
La mise en valeur de l’image des artisans et des villages permet non seulement de pérenniser leur activité, mais aussi de renforcer leur attractivité touristique. Les villages deviennent alors des espaces culturels, où les visiteurs rencontrent les gardiens des traditions et observent directement les étapes de fabrication. Ces expériences uniques transforment les villages artisanaux en véritables « destinations culturelles ».
Hanoi peut s’enorgueillir d’un patrimoine artisanal d’une grande diversité, source inépuisable d’expériences touristiques.
Le village de Van Phuc dévoile la finesse de ses soieries ; Chuong perpétue l’art du chapeau conique ; Phu Vinh offre un tressage raffiné du bambou et de l’osier ; Chang Son séduit avec ses éventails en papier délicats. Ngũ Xa, Quat Dong, Vong ou Dao Thuc incarnent respectivement les traditions du bronze, de la broderie, du cốm (riz vert) et des marionnettes sur l’eau. Chaque lieu incarne une identité culturelle singulière.
Ces artisans et villages méritent d’être intégrés aux « carnets de voyage » de Hanoi, avec leurs histoires uniques.
À Bat Trang, par exemple, les visiteurs ne se contentent pas d’acheter de la poterie: ils expérimentent le modelage de leurs propres créations. De même, les circuits touristiques pourraient inclure la boutique de M. Thanh à Hang Bac, où l’on découvre le travail de l’argent et les récits familiaux. Cela garantit aux artisans des revenus durables tout en diffusant la culture de Hanoi à l’international.
Parallèlement, les produits doivent bénéficier d’une promotion accrue sur les plateformes numériques. Courts-métrages, documentaires et récits en ligne sur les artisans et leur savoir-faire peuvent séduire un large public, notamment étranger.
L’industrie culturelle n’est pas une opposition aux métiers traditionnels, mais un chemin pour les inscrire dans le XXIᵉ siècle. En combinant les valeurs artisanales, la créativité des artisans et le soutien de l’État, les villages de métiers ne se contentent pas de renaître : ils ouvrent de nouvelles perspectives prometteuses, contribuant à la fois à l’économie et à la culture nationale.