Ce film ravive la culture folklorique tout en y insufflant une touche de modernité grâce aux effets visuels en 3D, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour l'industrie de l'animation, tant sur le marché national qu'international.
Dans le contexte où l’industrie cinématographique s’efforce d’affirmer sa position sur la scène régionale et internationale, la sortie du premier long métrage d’animation 3D projeté en salle, « Le petit Trang Quynh : La légende de Kim Nguu » constitue une étape majeure. Ce film ouvre de nouvelles perspectives de développement pour l’animation vietnamienne, un secteur longtemps considéré comme en retrait par rapport aux autres genres cinématographiques.
Un aspect particulièrement remarquable de ce premier long métrage d’animation vietnamien sorti en salle réside dans la capacité du réalisateur et de son équipe à raviver un riche patrimoine de culture folklorique, longtemps relégué à l’oubli ou exploité de manière fragmentaire.
Lever les verrous de l’animation vietnamienne
À partir de la légende du Buffle d’Or du lac de l’Ouest (Hanoï), tissée avec le mythe de la pagode Kim Nguu à Bac Ninh (Nord), le film « Le petit Trang Quynh : La légende de Kim Nguu » élargit l’espace et la profondeur culturelle en évoquant le « Linh Nam chich quai »— un trésor d’histoires de créatures fantastiques, de héros et de batailles aux couleurs mythologiques vietnamiennes.
Il s'agit d'un choix stratégique : au lieu de créer un univers totalement fictif, le réalisateur a construit son récit sur des fondations culturelles solides, ce qui facilite l’identification du public et renforce sa fierté.
La particularité du film ne réside pas seulement dans l’illustration du folklore, mais dans la narration authentique à travers la langue, les personnages et les décors traditionnels.
Le village traditionnel de Khoai, avec son banian, son puits et sa maison commune typiques du Nord du Vietnam, ainsi que les costumes traditionnels, comme l’ao tu than (tunique traditionnelle à quatre pans), le vay dup (jupe ample portée par les femmes du Nord du Vietnam) et le khan xep (turban traditionnel porté par les hommes), évoquent la mémoire du folklore. La figure de Trang Quynh est ici incarnée en un personnage enfantin intelligent, espiègle et courageux.
L’esprit folklorique du film ne reste pas enfermé dans une image archaïque, mais est dynamisé par une modernité insufflée grâce à la technologie 3D, aux effets visuels fluides, aux couleurs éclatantes et à une mise en scène d’action soignée.
Les scènes de poursuite et de combat contre les forces du mal créent une tension dramatique, transmettant l’esprit de lutte et de solidarité face à l’adversité — une valeur fondamentale des contes populaires.
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Une scène du film « Le petit Trang Quynh : La légende de Kim Nguu ». Photo : Nguoilaodong. |
Ainsi, le film séduit à la fois les enfants par son univers féerique et touche les adultes en quête de racines culturelles à travers une forme innovante. C’est la manière dont le réalisateur, artiste émérite Trinh Lam Tung, incarne une pensée d’intégration fondée sur l’identité nationale, transformant la culture traditionnelle en fondement d’une œuvre moderne, destinée à conquérir progressivement les marchés nationaux et internationaux.
L’utilisation de technologies 3D avancées, combinée à une diffusion multi-plateforme (cinéma et numérique) en partenariat avec Galaxy Studio, s’inscrit dans une stratégie visant à faire passer l’animation vietnamienne d’une production artistique locale à une création culturelle capable de rayonner à l’international.
L'industrie de l'animation au Vietnam se développe de manière spontanée, avec peu de financement, de personnel et de formation structurée ; la plupart des artistes doivent travailler en sous-traitance pour des studios étrangers, tandis que les projets locaux restent fragmentés, dépendants des financements externes, et souffrent d'une production bricolée, ce qui rend difficile la création d’œuvres abouties.
Même si « Le petit Trang Quynh » est reconnu pour sa forte identité culturelle et les efforts importants qu’il représente, il reste avant tout le résultat du dévouement d’un petit groupe d’artistes, et non le fruit d’une industrie structurée. Les productions d’animation nationales de qualité sont encore rares et dispersées, faute de soutien solide de la part de l’État, du secteur privé ou du public.
À l’inverse, dans des pays où l’animation est bien développée, comme le Japon, la Corée du Sud ou les États-Unis, chaque film naît d’une chaîne bien organisée, allant de la formation à la création artistique, de la technologie à la promotion et à la commercialisation.
Sans un écosystème professionnel solide pour soutenir cette filière, les efforts actuels ne permettront que de maintenir l’animation vietnamienne à flot, sans vraiment poser les bases d’une industrie culturelle durable.
Un autre enjeu majeur est la perception du marché et du public national. Tant que l’animation sera considérée comme un produit uniquement destiné aux enfants, les investissements resteront modestes et fragmentés.
Dans ce contexte, le film 3D « made in Vietnam » comme « Le petit Trang Quynh » constitue un véritable coup de pouce, rappelant la nécessité de reconsidérer le rôle de l’animation dans la culture et la création nationales.
Mettre le public au centre
L'Artiste du Peuple Pham Ngoc Tuan, fort de plus de 35 ans d’expérience dans le domaine de l’animation, estime que l’apparition des films d’animation vietnamiens sur grand écran est un signe encourageant, marquant une avancée significative dans le processus d’intégration et de développement. Toutefois, cette évolution s’accompagne de nombreuses pressions pour les professionnels du secteur.
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L'Artiste du Peuple Pham Ngoc Tuan. Photo : Sconnect. |
Avant tout, les scénarios doivent être véritablement innovants et créatifs, évitant les schémas narratifs anciens. Le contenu doit être profond, émotionnel, porteur d’un message clair, en phase avec l’esprit du temps.
Sur le plan technique, la créativité doit être homogène, avec des équipements modernes. Avec un coût de production moyen d’environ 20 milliards de dôngs par film — voire bien plus en cas d’utilisation de technologies complexes — cela représente un défi majeur pour les studios d’animation vietnamiens, en particulier les petites et moyennes entreprises.
Les experts estiment que le monde souffre d’une « soif » de contenus locaux. Des plateformes telles que Netflix, Disney, Amazon Prime… recherchent constamment des films d’animation venus d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Sud, ce qui représente une opportunité évidente pour l’animation vietnamienne à condition d’investir stratégiquement dans des contenus culturels et de respecter les standards techniques internationaux.
Le réalisateur Trinh Lam Tung souligne que, pour un développement durable, il faut placer le public au centre.
Sans créer une véritable valeur d’expérience pour les spectateurs, une œuvre aura du mal à durer et à devenir une base solide pour l’industrie. La relation réciproque entre les créateurs et le public est essentielle. Chaque film est une occasion d’écouter les spectateurs, permettant ainsi d’ajuster la création de manière plus concrète à travers les projections, échanges et retours directs.
Pour sortir l’animation nationale de sa fragmentation actuelle, il faut une stratégie globale, intersectorielle et à long terme : formation des ressources humaines, investissement en capital, réforme du droit d’auteur, développement de chaînes de valeur en aval, telles que la distribution, la commercialisation, ainsi que des liens avec la culture, l’éducation et le tourisme.
Dans un contexte où de nombreux pays s’efforcent d’élargir leur rayonnement culturel par le biais du cinéma, en particulier l’animation, le Vietnam ne peut rester en marge. Le pays possède un patrimoine folklorique d’une grande richesse ainsi qu’une jeune génération talentueuse dans les domaines de la création visuelle.
Des œuvres comme « Le petit Trang Quynh : La légende de Kim Nguu », si elles bénéficient d’un investissement structuré et cohérent, ont pleinement le potentiel de devenir des « ambassadeurs » emblématiques de l’animation vietnamienne.