Les pratiques du then ont été inscrites fin décembre 2019 dans la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Ces airs folkloriques des Tày, Nùng et Thái, ethnies minoritaires peuplant des provinces montagneuses comme Lang Son, Cao Bang, Bac Kan, Thai Nguyên, Tuyên Quang, ect., s’avèrent plus envoûtants encore lorsqu’ils sont accompagnés du dàn tinh, sorte de luth à deux ou trois cordes, à caisse ronde et à long manche.
Il s’agit d’un art combinant littérature, peinture, danse et musique. La tradition veut que le then soit constitué d’airs et de danses que cette communauté pratique lors des cérémonies cultuelles. Par ce rituel, les montagnards formulent leurs aspirations à de bonnes moissons, une bonne santé, la prospérité, une vie heureuse et paisible.
Une nonagénaire prêtresse du then
À l’arrivée du printemps, la fête du then se tient avec effervescence dans le village de Ngoc Tri, district de Binh Gia, province de Lang Son. Dans cette contrée montagnarde peuplée par l’ethnie Tày, les chanteuses âgées préservent avec soin des airs anciens tout en cherchant à transmettre leur passion et leurs connaissances aux jeunes.
L'artisane Mô Thi Kit. Photo : CTV/CVN.
La Prêtresse du then (chaman qui dirige les cérémonies rituelles à travers ce chant) Mô Thi Kit, 98 ans, a un rôle central dans cette fête printanière qui rassemble de nombreux autochtones. Sagace, leste et enthousiasme, la nonagénaire, titulaire du prestigieux titre d’ « Artisane du Peuple » décerné par l’État, est considérée comme « un trésor vivant du then ».
Née au sein d’un berceau des pratiques du then, Mme Kit peut dire que ce chant rituel coule dans ses veines. Dotée d’une belle voix, elle a hérité de sa belle-mère (aussi Prêtresse du then) différents airs rituels dont chacun est destiné à un rite spécifique, par exemple prier pour une vie en paix, souhaiter longue vie aux anciens, pendre la crémaillère, célébrer l’âge de maturité d’un villageois, soulager la peine de victimes, réconforter des malheureux… Sans oublier une multitude d’airs de louanges.
Pour la nonagénaire, une séance rituelle du then doit suivre une procédure de 24 étapes, chacune avec un air spécifique. Il est évident donc que le maître de cérémonie doit avoir une bonne mémoire et une certaine endurance vocale. « Quand j’étais jeune, lors des fêtes du then, je pouvais chanter et jouer du dàn tinh durant trois jours et nuits d’affilée. J’ai reçu nombre de prix lors de festivals provinciaux et nationaux. Et je suis toujours prête à participer à des cérémonies rituelles ou festives, sur invitation de l’organisateur », s’enthousiasme la nonagénaire avec un doux sourire.
Soucieuse de préserver ce patrimoine, l’artisane propose des cours aux jeunes qui le souhaitent. Parmi sa centaine d’élèves, une douzaine sont aussi devenus des chamans capables de diriger les rites cultuels. Malgré la musique moderne qui s’immisce jusque dans les villages les plus reculés, le then est toujours vivace dans le village de Pu Tang (du district de Cao Lôc, province de Lang Son), terre natale de l’ethnie Nùng.
L'artisane Mông Thi Sâm. Photo : CTV/CVN
Autre Prêtresse du then, Mông Thi Sâm, 81 ans, est titulaire du titre honorifique d’ « Artisane du Peuple ». « J’assure depuis 65 ans ce rôle dans mon village. Ce titre se transmet dans ma famille depuis huit générations », explique l’octogénaire avec un brin d’orgueil. Pour elle, c’est une profession exigeante où, outre la passion, on doit faire ses preuves, se perfectionner continuellement et diriger à la perfection tous les rites.
Les séances du then qu’elle tient régulièrement à Pu Tang sont tellement attractives qu’elles sont devenues des rendez-vous très suivis par tous les villageois. Son savoir, elle l’a transmis à des dizaines de personnes qui le pratiquent dans diverses localités. Son petit-fils Chu Van Minh, 20 ans, a déjà un riche répertoire et une belle assurance d’instrumentiste. Nul doute qu’il reprendra le flambeau !
Un sort prédestiné pour la musique
Triêu Thuy Tiên, 71 ans, vice-présidente de l’Association de préservation des airs folkloriques des ethnies minoritaires de la province de Lang Son et présidente du Club provincial des pratiques du then, s’est faite un nom dans cet art. Ses mérites ont été récompensés par le prestigieux titre d’ « Artisane du Peuple ».
Née à Tân Van (district de Binh Gia), une contrée montagnarde peuplée de Nùng, et donc terre du then, la petite Thuy Tiên s’est trouvée très tôt ensorcelée par cet art vocal de son ethnie. « Dès mon enfance, j’ai été immergée dans ces airs folkloriques que chantaient ma grand-mère, ma mère et des paysannes. Après le bac, j’ai été admise dans la troupe artistique de Lang Son. Le début d’une vie étroitement liée au then et dàn tinh », confie Thuy Tiên.
L'artisane Triêu Thuy Tiên. Photo : CTV/CVN.
L’ « Artiste du Peuple » Triêu Thuy Tiên a décroché une belle collection de médailles, dont l’argent au Festival national de chant, danse et musique en 1982, l’or au même festival tenu en 1985 et 1987. Sans compter le titre de « Meilleure chanteuse de then » décroché lors de concours nationaux de chants folkloriques.
Actuellement, la chanteuse septuagénaire est toujours aussi passionnée et dynamique. Elle se consacre corps et âme à la collecte d’airs anciens en langue Tày (dont plusieurs sur le point de tomber dans l’oubli) et aussi à la création de chants nouveaux. « Il existe deux courants : les airs anciens et les airs nouveaux. Les premiers sont interprétés par les chamans lors des cérémonies rituelles, les nouveaux sont accessibles à tous », explique Thuy Tiên.
Les chants nouveaux sont créés pour exalter les beautés du pays, louer les bons exemples au sein de la communauté. Le club des pratiques du then qu’elle préside rassemble plus de 300 membres d’âges différents. Dans son sillage, des dizaines d’autres clubs ont fait leur apparition à Lang Son, aussi bien dans les agglomérations urbaines que rurales.
« Malgré mon grand âge, je nourris encore bien des ambitions. Mon plus grand souhait serait que les airs de then soient chantés par nos jeunes, et qu’ils se perpétuent ainsi à jamais de génération en génération, comme autrefois », conclut-elle.