Industrie de l’environnement : levier clé de la croissance verte au Vietnam

Le docteur Trinh Xuan Duc estime que le Vietnam se situe encore au seuil du développement d’une véritable industrie de l’environnement et nécessite un modèle adapté pour en faire un secteur économique stratégique.

Le docteur Trinh Xuan Duc a partagé ses réflexions lors du colloque "Promouvoir l’industrie de l’environnement au Vietnam – Résoudre le défi du traitement et du recyclage des déchets solides. Photo : congthuong.vn
Le docteur Trinh Xuan Duc a partagé ses réflexions lors du colloque "Promouvoir l’industrie de l’environnement au Vietnam – Résoudre le défi du traitement et du recyclage des déchets solides. Photo : congthuong.vn

Pour mieux comprendre cette question, le docteur Trinh Xuan Duc, directeur de l’Institut des sciences et techniques des infrastructures et de l’environnement (SIIEE), a apporté son éclairage.

Journaliste : Docteur Trinh Xuan Duc, en tant que chercheur en technologies environnementales, comment évaluez-vous l’état actuel de la construction et du développement de l’industrie de l’environnement au Vietnam ?

Le docteur Trinh Xuan Duc : D’abord, il faut clarifier ce qu’on entend par “industrie de l’environnement”. Une véritable industrie implique des matières premières d’entrée, une chaîne de valeur de production, des services, la recherche, l’éducation, des politiques et un système de financement. Dans ce cas précis, la matière première essentielle est constituée par les déchets issus des activités industrielles et domestiques.

L’industrie de l’environnement ne se limite pas à la dépollution. Elle regroupe quatre niveaux : Nettoyage, pour restituer l’environnement en traitant les déchets ; Recyclage, transformation des déchets en matières premières ; Circularité, fermant la boucle production-consommation-recyclage ; Zéro déchet, un système de production-consommation sans rejet ou avec réutilisation totale.

Actuellement, le Vietnam opère principalement au niveau 1 — le nettoyage — et commence timidement à aborder le recyclage (niveau 2). L’industrie de l’environnement reste très jeune et embryonnaire : elle n’offre pas encore une chaîne de valeur complète, ni une base scientifique, technologique ou financière assez solide pour être autonome et durable.

Journaliste : Quels sont selon vous les blocages majeurs ralentissant la structuration de cette industrie, en particulier dans la fourniture de technologies, d’équipements et de services de gestion des déchets solides ?

Le docteur Trinh Xuan Duc : Les principales lacunes identifiées sont :

Premièrement, une absence de politique cohérente et intégrée, avec un cadre réglementaire fragmenté entre le niveau central et local, ce qui décourage l’investissement et complique l’exécution des projets.

Deuxièmement, des mécanismes d’incitation inefficaces ou inadaptés, même pour les entreprises pionnières dans le recyclage : elles ont du mal à accéder aux aides ou à bénéficier de normes flexibles alignées sur leurs besoins.

Troisièmement, le manque de soutien aux phases d’expérimentation technologique : certaines technologies sont maîtrisées au niveau de prototypes, mais restent verrouillées faute de zones tests ou de financements pour monter en échelle.

Quatrièmement, une infrastructure industrielle et technique limitée, notamment en fabrication locale d’équipements essentiels : cela oblige le pays à importer la majorité des machines de traitement des déchets.

Cinquièmement, des limitations d’accès au financement vert pour les PME, même si des fonds dédiés existent, leur impact reste insuffisant pour stimuler l’innovation.

Cinquièmement, un déficit de conscience collective, empêchant de reconnaître les déchets comme une ressource renouvelable plutôt que comme un déchet à éliminer.

Sans correction profonde de ces lacunes, le Vietnam restera confiné au stade de la dépollution et ne pourra pas évoluer vers une économie circulaire ou une industrie véritablement verte apte à innover et à exporter.

Journaliste : Quel modèle de développement industriel environnemental recommandez-vous pour le Vietnam ? Et quels éléments doivent être priorisés pour assurer un développement durable et efficace du secteur ?

Le docteur Trinh Xuan Duc : Le Vietnam doit définir un modèle de développement clair, tout en s’inspirant des exemples internationaux. Plusieurs pays offrent des approches intéressantes :

La R. de Corée, qui mise sur la maîtrise technologique à travers le soutien public et l’innovation privée.

La Chine, qui privilégie les infrastructures à grande échelle et les entreprises étatiques pour internaliser la technologie.

Les États-Unis, focalisés sur la R&D, les technologies avant-gardistes et l’industrie 4.0.

Je propose un modèle hybride adapté au Vietnam, structuré autour de trois piliers : Maîtrise technologique : développement local d’équipements lourds (incinérateurs à lit fluidisé, systèmes de tri à la source...) avec un accompagnement financier et des infrastructures de test public.

Leadership du secteur privé : les entreprises doivent piloter l’innovation, avec un État facilitateur (régulation, liens avec le milieu académique, soutien aux incubateurs technologiques).

Investissement global sur toute la chaîne de valeur : de la R&D à la commercialisation en passant par la construction pilote et le financement des premiers déploiements, y compris via des subventions publiques temporaires pour concurrencer les importations.

Enfin, il faut dépasser la logique du « marché autorégulateur ». Cette industrie naissante nécessite un accompagnement étatique affirmé, sans lequel les initiatives risquent de s’éteindre avant même de prendre forme.

Je vous remercie, Docteur Trinh Xuan Duc, pour cet éclairage.

Back to top