En tirant pleinement profit de ses atouts en faveur de l’économie verte, le Vietnam peut non seulement espérer une croissance du PIB à deux chiffres, mais aussi se rapprocher des objectifs de développement durable. C’est le point mis en avant par le professeur Dinh Duc Truong, chef du département de l’Environnement, du Changement climatique et de l’Urbanisme à l’Université nationale d’économie, dans un entretien avec le journal Nhân Dân.
Contributions de la croissance verte selon trois scénarios
Journaliste : Le rapport d’étude « L’impact de la croissance verte sur la croissance économique au Vietnam : un objectif de croissance à deux chiffres est-il envisageable ? », réalisé par l’Université d’Économie nationale, avance que la croissance verte constitue une stratégie de développement clé permettant au Vietnam de dépasser les limites de l’ancien modèle de croissance et d’atteindre une prospérité durable. En tant que chef de projet, pourriez-vous nous en dire plus ?
Prof. Dinh Duc Truong : Dans un contexte où le Vietnam est confronté à de nombreux défis en matière d’environnement, de ressources et de développement durable, la stratégie de croissance verte joue un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs économiques à long terme.
Notre groupe de recherche a formulé trois scénarios de croissance avec des contributions différenciées de la croissance verte :
- Scénario de croissance traditionnelle : Si le Vietnam poursuit son modèle actuel basé sur les industries lourdes, l’exportation de ressources brutes, une main-d’œuvre bon marché et une forte dépendance aux investissements étrangers directs (IDE), le PIB ne croîtra que de 6 à 7 % par an, rendant difficile l’atteinte d’un taux à deux chiffres.
- - Scénario de transition verte modérée : Le Vietnam commence progressivement à appliquer les stratégies de croissance verte, tout en conservant partiellement les secteurs traditionnels. Parallèlement, il développe activement les industries vertes, les énergies renouvelables, l’agriculture propre et les technologies de pointe. Avec le soutien étatique et la participation croissante du secteur privé dans les initiatives durables, le PIB pourrait croître de 7 à 9 % par an.
- Scénario de croissance verte ambitieuse : Si les stratégies vertes sont mises en œuvre de manière coordonnée et vigoureuse à grande échelle, le PIB pourrait enregistrer une croissance spectaculaire de 10 à 12 % par an.
En tirant pleinement profit de ses atouts en faveur de l’économie verte, le Vietnam peut non seulement espérer une croissance du PIB à deux chiffres, mais aussi se rapprocher des objectifs de développement durable, réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre et améliorer la qualité de vie.
Journaliste : Quels seraient les impacts concrets de la croissance verte dans le scénario de croissance à deux chiffres, selon vous ?
Prof. Dinh Duc Truong : En adoptant une stratégie ambitieuse de croissance verte, le Vietnam pourrait atteindre une croissance à deux chiffres en s’appuyant sur plusieurs facteurs : le potentiel des énergies renouvelables ; les bénéfices des technologies propres et de l’innovation ; la croissance issue de l’économie circulaire ; le développement des industries vertes et de l’emploi.
Il faut aussi compter sur l’innovation, le développement du secteur privé, la durabilité, la réduction des émissions, l’amélioration de la productivité et la baisse des coûts énergétiques, ainsi que les investissements verts et l’augmentation de la productivité du travail.
Les secteurs clés susceptibles de devenir des locomotives de l’économie verte au Vietnam sont les énergies renouvelables. Ces dernières années, les politiques d’encouragement à l’investissement ont conduit à un essor des projets d’énergie renouvelable, renforçant la sécurité énergétique nationale et réduisant progressivement la dépendance au charbon.
L’industrie manufacturière peut également connaître une percée grâce à l’adoption de processus propres et d’économies d’énergie. De plus, les secteurs de haute technologie, tels que l’informatique, les télécommunications et la biotechnologie représentent des moteurs potentiels pour une croissance verte future. En agriculture, l’application de modèles intelligents et biologiques offre également des perspectives notables.
Le secteur des transports joue un rôle important, notamment dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’amélioration de la qualité de l’air urbain. Le développement de réseaux de transport public modernes et l’encouragement à l’utilisation de véhicules électriques ou à carburants propres dans les grandes villes comme Hanoï et Hô Chi Minh-Ville sont cruciaux.
Solutions pour concrétiser la stratégie de croissance verte
Journaliste : Le Vietnam fait partie des pays ayant adopté tôt une stratégie de croissance verte liée à sa stratégie de développement socio-économique. Toutefois, la mise en œuvre de cette stratégie rencontre encore des obstacles. Quels sont-ils, selon vous ?
Prof. Dinh Duc Truong : Bien que le pays ait défini des orientations et des politiques claires en faveur de la croissance verte, il demeure confronté à des défis majeurs dans la transition vers ce modèle.
Le premier obstacle réside dans le financement. Le développement des infrastructures et technologies vertes requiert des investissements conséquents, estimés à 4-5 milliards de dollars par an, alors que les ressources budgétaires sont limitées et que le secteur privé national reste fragile.
Le deuxième défi concerne la technologie et les infrastructures. De nombreuses technologies d’énergies renouvelables et solutions d’efficacité énergétique sont encore peu accessibles ou n’ont pas encore été largement transférées au Vietnam. Le réseau électrique, les transports intelligents et les installations de traitement des déchets manquent de cohérence, limitant l’efficacité des projets verts. En outre, les ressources humaines qualifiées pour l’économie verte sont encore insuffisantes.
Sur le plan institutionnel, la coordination intersectorielle reste inefficace. Des chevauchements et un manque de synergie entre les autorités centrales et locales affaiblissent la mise en œuvre des programmes de croissance verte.
Enfin, les barrières culturelles et les habitudes sociales représentent aussi un frein. De nombreuses entreprises, notamment les PME, hésitent à investir dans les technologies propres en raison des coûts initiaux élevés. Par ailleurs, une partie de la population n’est pas encore prête à modifier ses habitudes de consommation ou à payer plus cher pour des produits écologiques.
Journaliste : Pour surmonter ces défis et maximiser le potentiel de la croissance verte, quelles solutions recommandez-vous ?
Prof. Dinh Duc Truong : Pour concrétiser la stratégie de croissance verte, le gouvernement doit adopter des politiques intégrées. Il est crucial de mobiliser les ressources financières à travers des instruments innovants, comme les obligations vertes, les fonds d’investissement verts, et d’élargir les incitations fiscales et les crédits bonifiés pour attirer le secteur privé dans les projets verts.
Il est également essentiel de capter les financements internationaux (prêts concessionnels, aides) et de renforcer les partenariats public-privé pour financer des programmes à grande échelle.
Ensuite, il faut développer des infrastructures vertes et stimuler l’innovation technologique, notamment en investissant dans les réseaux électriques intelligents, les stations de recharge pour véhicules électriques, les transports publics modernes, ainsi que les infrastructures de recyclage et traitement des déchets.
L’État doit aussi soutenir la recherche-développement (R&D) en technologies environnementales, favoriser l’émergence de start-up vertes et encourager les transferts technologiques internationaux pour réduire les coûts de mise en œuvre et ouvrir de nouveaux secteurs industriels.
Par ailleurs, une réforme du cadre réglementaire et un soutien renforcé aux entreprises sont nécessaires. Il faut notamment proposer une assistance technique et financière aux PME pour les aider à moderniser leurs processus de production, adopter des technologies économes en énergie et mieux gérer les déchets.
Il convient aussi de renforcer les compétences humaines, promouvoir la consommation verte, sensibiliser le public, et accroître la coopération internationale et régionale.
En résumé, la croissance verte constitue un fondement stratégique permettant au Vietnam de viser une croissance à deux chiffres, tout en conciliant développement économique et protection de l’environnement pour une croissance stable et durable à long terme.
Si le Vietnam applique de manière cohérente et efficace les stratégies définies, en matière d’investissement, d’infrastructure, de réforme institutionnelle, de formation des ressources humaines, et de transformation sociale, alors l’objectif d’un PIB en croissance durable à deux chiffres devient parfaitement atteignable.