La finale du tournoi d’arts martiaux mixtes (MMA) - LION Championship 23 -, opposant Pham Van Nam à Lê Van Tuân (-56 kg), organisée mi-juin 2025 à Hanoï, a captivé le public tant par la qualité technique de l’affrontement que par le parcours de résilience des deux combattants. Avant d’atteindre le monde professionnel, tous deux ont exercé comme chauffeurs de moto-taxi, reflet d’une réalité partagée par nombre d’athlètes vietnamiens: la lutte quotidienne pour concilier passion et revenus.
Entre passion et revenus
Selon le décret 152 du gouvernement, daté du 7 novembre 2018, un entraîneur en chef d’équipe nationale perçoit 505.000 dôngs par jour, contre 215.000 dôngs pour un entraîneur régional ou provincial. Les membres de l’équipe nationale touchent 270.000 dôngs quotidiens, contre 180.000 pour les sélections locales. En moyenne, les revenus mensuels, nourriture comprise, oscillent entre 5 et 12 millions de dôngs, un montant modeste au regard des sacrifices exigés par une pratique de haut niveau. Pour les sportifs ayant fondé une famille, la pression financière s’accentue, les poussant souvent à cumuler des emplois secondaires - chauffeurs de moto-taxi, commerce en ligne, ou autres activités - pour compléter leurs revenus.
À cette précarité s’ajoutent l’instabilité liée aux primes de performance, les blessures, et la brièveté des carrières, autant de facteurs qui freinent l’engagement à long terme. Cette insécurité nuit à l’investissement total et à la sérénité indispensables à l’excellence.
Selon Nguyên Hông Minh, ancien directeur du Département des sports de haut niveau 1, relevant de l’Autorité des sports du Vietnam, le développement du sport professionnel repose sur l’amélioration du statut socio-économique des entraîneurs et des athlètes. “Ce n’est qu’à cette condition que les familles accepteront que leurs enfants poursuivent une carrière sportive”, estime-t-il. Un professionnel du sport doit pouvoir vivre décemment de sa vocation.
La dépendance excessive au financement public constitue un autre frein majeur. Le sport de haut niveau au Vietnam repose quasi exclusivement sur les fonds publics, soumis à des arbitrages budgétaires contraignants. Un changement de paradigme est nécessaire : mobiliser l’investissement privé, diversifier les sources de revenus, et réduire la charge pesant sur le budget de l’État.
Malgré l’adoption de la Stratégie nationale de développement du sport à l’horizon 2030, vision 2045, la mise en œuvre reste lente. De nombreuses disciplines peinent à se structurer autour de modèles économiques viables. Les recettes issues des droits télévisuels, du sponsoring ou du tourisme sportif sont encore largement inexploitées. À cela s’ajoute l’absence de mécanismes incitatifs et de compétences managériales, freinant la création de valeur et la rétention des talents. Le phénomène de fuite des cerveaux ou de reconversion précoce en dehors du secteur sportif s’en trouve accentué.
Des signaux encourageants
Récemment, le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme a publié la décision N°1722, lançant l’élaboration d’un nouveau décret encadrant les régimes spécifiques applicables aux entraîneurs et athlètes pendant les périodes d’entraînement et de compétition. Ce projet, porté par l’Autorité des sports du Vietnam, devrait être soumis au gouvernement en novembre 2025. Il reflète une volonté institutionnelle forte d’améliorer les conditions de vie et de travail des acteurs du sport professionnel.
Parallèlement, Hanoï a introduit début 2024 un régime d’indemnisation inédit : les athlètes et entraîneurs convoqués en équipe nationale reçoivent une allocation mensuelle de 7 millions de dôngs (5 millions pour les juniors), avec des primes revalorisées lors des grandes compétitions. Un champion olympique perçoit désormais une prime mensuelle de 74,5 millions de dôngs ; les médaillés d’or des Jeux asiatiques et des SEA Games reçoivent respectivement 33,5 et 15 millions. Les entraîneurs bénéficient de 50% de ces montants, reconnaissant ainsi leur contribution déterminante.
Le développement durable du sport vietnamien exige une dynamique conjointe : des politiques publiques ambitieuses et une accélération de la privatisation du secteur. Il faut professionnaliser les compétitions, valoriser les droits de diffusion, attirer les sponsors et investir massivement dans les infrastructures. Les modèles économiques émergents - tourisme sportif, produits dérivés, services éducatifs ou ludiques - doivent également être encouragés.
Il est tout aussi crucial d’accompagner les athlètes dans leur reconversion, à travers des programmes de formation et d’orientation professionnelle, pour garantir leur avenir au-delà de la compétition.
Lorsque sécurité matérielle et perspectives de carrière post-sportive seront assurées, les athlètes vietnamiens pourront s’engager pleinement, mus par leur passion et leur ambition de porter haut les couleurs du Vietnam sur la scène continentale et mondiale.