Dans cet échange chaleureux, il partage avec nous son regard sur les transformations du Vietnam, ses espoirs pour l’avenir, et les moments marquants de son parcours personnel – des années d’études et de travail à l’étranger jusqu’à ses contributions concrètes au développement du pays natal.
Ayant traversé un long chemin de vie et été témoin des périodes tumultueuses de l’histoire nationale, le docteur Vo Ta Hân exprime une fierté profonde en repensant aux 50 années écoulées depuis la réunification.
Pour lui, le Vietnam d’aujourd’hui est la preuve vivante de la résilience et de la ténacité du peuple vietnamien. De la cendre de la guerre, le pays s’est redressé avec vigueur pour devenir une nation dynamique, ouverte sur le monde et toujours plus engagée sur la voie du progrès.
Selon le docteur Hân, le tournant historique de 1986 avec la politique de Renouveau (Đổi mới) a constitué un virage décisif, permettant au Vietnam de passer d’une économie centralisée à une économie de marché à orientation socialiste.
Depuis, le pays enregistre une croissance impressionnante, attire des investissements étrangers massifs et s’impose comme un pôle industriel compétitif dans la région. Toutefois, avec son regard avisé d’économiste, il insiste : ce renouveau appelle aussi à des réformes institutionnelles plus profondes, à l’amélioration de la gouvernance et à une stratégie de développement durable.
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Le docteur Vo Ta Hân a aidé à connecter le Vietnam au reste du monde, notamment dans son rôle au sein de la communauté d’affaires à Singapour. |
Éminent expert en finance et en banque, le docteur Vo Ta Hân est aussi un représentant exemplaire de la communauté vietnamienne aux États-Unis, toujours tourné vers son pays d’origine. Il est à l’initiative du programme de dons de livres spécialisés en anglais, destinés aux universités vietnamiennes.
Ce projet, mené sur de nombreuses années, représente une valeur équivalente à plus de 90 milliards de dôngs – témoignage éloquent de son engagement en faveur du savoir et de la jeunesse.
Ses efforts ont été récompensés par son inscription dans la liste des 50 personnalités de la communauté vietnamienne à l’étranger ayant le plus contribué au développement de Hô Chi Minh-Ville au cours des 50 dernières années.
« Ayant vécu et travaillé à Singapour pendant 30 ans (1981–2010), je revenais au Vietnam presque chaque mois, et j’ai été frappé par les progrès rapides du pays. De nombreux amis de la diaspora gardent encore l’image d’un Vietnam figé dans le passé. Je leur conseille toujours de revenir au moins une fois pour mettre à jour leur perception – afin de pouvoir discuter avec objectivité et empathie ».
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Le docteur Vo Ta Hân. |
« Un jour, un journaliste japonais renommé est venu m’interviewer à Singapour. Après plus d’une heure d’échange, il a éteint son enregistreur, m’a regardé et m’a dit doucement : « Vous savez, parmi tous les peuples d’Asie, les Japonais ne respectent réellement qu’un seul : les Vietnamiens » (the only race in Asia that we respect!) ».
« J’ai bon espoir et je suis convaincu que le Vietnam poursuivra sa trajectoire ascendante. » Après les leçons de l’Histoire, guidé par un dirigeant éclairé, notre pays deviendra une nation forte – non pour dominer, mais pour ne plus jamais être dominée. Le peuple vietnamien est et restera un peuple dont nous pouvons être fiers ».
Dans cette dynamique de développement, le docteur Vo Ta Hân souligne le rôle essentiel de la communauté vietnamienne à l’étranger – ces enfants du pays qui, malgré l’éloignement, gardent au cœur l’amour de la Patrie.
« La diaspora fait partie intégrante de la nation vietnamienne », affirme-t-il.
Les près de 19 milliards de dollars de transferts de fonds enregistrés en 2023 en sont la preuve tangible. Mais au-delà des chiffres, c’est l’intelligence, le savoir-faire et la volonté de contribuer – les moteurs d’une génération prête à transmettre, innover et connecter le Vietnam au monde.
Journaliste : Monsieur, après tant d’années passées à l’étranger et vos retours réguliers au Vietnam, quel regard portez-vous sur l’évolution du pays ces 50 dernières années ?
Le docteur Vo Ta Hân : Je suis né en 1948 à Huê, j’ai grandi à Saïgon, et je suis parti étudier aux États-Unis en 1968. Mon premier retour au pays date de 1988, deux ans après le lancement de la politique de Đổi mới.
À l’époque, le Vietnam était encore très pauvre, ce qui était compréhensible après une guerre longue et destructrice, et dans un contexte d’isolement.
Ayant vécu en plein conflit pendant les 20 premières années de ma vie, depuis l’arrestation de mon père par les Français à Dà Nang à la fin des années 1940, jusqu’aux événements du Tết Mâu Thân (en 1968, année du Singe), j’avais en moi une grande inquiétude. Lorsque la guerre a pris fin le 30 avril 1975, j’étais à Montréal.
Ce jour-là, j’ai ressenti une tristesse profonde à l’idée d’avoir perdu mon pays familier, mais aussi un soulagement de voir les armes se taire.
De 1981 à 2010, j’ai vécu à Singapour. J’y retournais fréquemment au Vietnam pour le travail, et j’ai pu observer, de mes propres yeux, les transformations spectaculaires du pays.
C’est pourquoi je dis toujours à mes amis de la diaspora : il faut revenir pour voir de ses propres yeux – le Vietnam d’aujourd’hui n’est plus celui que vous avez quitté.
Journaliste : Selon vous, quelle a été l’importance de la politique de Đổi mới de 1986 dans cette transformation ?
Le docteur Vo Ta Hân : La politique du « Đổi mới » était une décision à la fois opportune et essentielle. Dans un contexte d’isolement, le Vietnam n’avait pas d’autre choix que de se réformer pour s’ouvrir et se développer. L’enjeu n’était pas seulement de “changer”, mais de bien choisir son modèle. J’ai proposé que le Vietnam s’inspire du modèle singapourien – un équilibre entre esprit socialiste et économie de marché – tout en restant attentif à notre propre réalité. Il ne faut jamais copier mécaniquement un autre modèle.
Journaliste : Quelles sont, pour vous, les transformations les plus marquantes sur le plan économique, des infrastructures et de la vie quotidienne ?
Le docteur Vo Ta Hân: Les progrès en matière d’infrastructure et d’économie sont évidents. Mais ce qui me touche le plus, c’est l’amélioration des conditions de vie. Je me souviens encore des enfants quémandant les restes devant les restaurants, des adultes récupérant des sacs plastiques usés, ou des foules se pressant pour acheter des vêtements d’occasion « SIDA » dans les années 1980. Pourtant, en quelques années seulement, le Vietnam a surmonté la pauvreté et vu émerger une classe moyenne – preuve d’un progrès réel.
Journaliste : Vous qui avez beaucoup vécu à l’étranger, quel est selon vous le regard du monde sur le Vietnam ?
Le docteur Vo Ta Hân : Après la guerre, l’image du Vietnam était celle d’un pays en ruine. Mais depuis la politique de Đổi mới, le pays surprend le monde entier par son dynamisme. Cela dit, nous devons rester lucides. Le Vietnam est un petit pays, il lui faut être souple, vigilant, souverain, et construire un développement durable dans un monde complexe.
Journaliste : Avez-vous un souvenir marquant de vos derniers retours au Vietnam ?
Le docteur Vo Ta Hân : Un souvenir émouvant remonte à mon dernier voyage avant ma retraite et mon départ de Singapour. Lors d’une cérémonie d’adieu, j’ai rencontré une jeune femme frêle, mais déterminée. Elle a repris la direction du programme Books4Vietnam et gère aussi des bourses pour les élèves défavorisés dans les régions reculées. La voir prête à poursuivre ce que j’ai commencé fut pour moi un grand bonheur, comme un passage de témoin providentiel.
Journaliste : Selon vous, comment la diaspora vietnamienne peut-elle contribuer davantage au développement du pays ?
Le docteur Vo Ta Hân : La communauté vietnamienne à l’étranger est une ressource précieuse. Je la divise en trois groupes : (1) ceux qui ont quitté le pays après 1975 et qui sont âgés aujourd’hui ; (2) leurs enfants, nés à l’étranger, souvent brillants, mais peu connectés au Vietnam ; (3) les étudiants partis récemment, qui ont grandi au Vietnam et sont donc plus enclins à contribuer au pays. Il faut des politiques ciblées pour chaque groupe afin de valoriser au mieux l’intelligence vietnamienne à l’échelle mondiale.
Journaliste : Dans votre domaine de spécialité, quelles sont les contributions ou collaborations avec le Vietnam auxquelles vous tenez particulièrement ?
Le docteur Vo Ta Hân : Je peux partager quelques actions que j’ai entreprises.
J’ai contribué à la reprise des relations entre le Vietnam et Singapour à travers des propositions politiques soumises à feu le Premier ministre Lee Kuan Yew.
J’ai participé au développement des capacités nationales avec le programme Books4Vietnam, qui a permis d’envoyer plus d’un million de livres au Vietnam, et à la création du club des experts vietnamiens à Singapour (Vietnam 2020).
J’ai aidé à connecter le Vietnam au reste du monde, notamment dans mon rôle au sein de la communauté d’affaires à Singapour.
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Depuis 1988, le docteur Vo Ta Hân a lancé le programme « Books4Vietnam », faisant don de plus d’un million de livres scientifiques et techniques en provenance de l’étranger aux bibliothèques des universités et collèges au Vietnam. |
J’ai contribué à établir un pont entre les Vietnamiens de l’intérieur et ceux de l’extérieur à travers des activités médiatiques et culturelles, comme la revue Vietnam NewsWatch, et en facilitant le retour au pays du compositeur Pham Duy.
J’ai eu l’honneur de recevoir le Diplôme de reconnaissance du ministre des Affaires étrangères en 2006, celui du Premier ministre en 2011, et d’être nommé parmi « Les figures discrètes, mais nobles » en 2022.
Pour ces contributions, je suis honoré en 2025 parmi la liste des 50 personnalités de la communauté vietnamienne à l’étranger ayant le plus contribué au développement de Hô Chi Minh-Ville au cours des 50 dernières années
Journaliste : En regardant le parcours du pays depuis un demi-siècle après la réunification, quels sentiments particuliers éprouvez-vous pour la Patrie ?
Le docteur Vo Tá Hân : Pour moi, la Patrie est toujours l’ancrage de l’âme. Après tant d’années à vivre loin du pays, chaque retour me fait ressentir profondément les transformations impressionnantes du Vietnam – non seulement dans le paysage urbain, mais aussi dans la stature et la position du pays sur la scène internationale.
Je suis ému de voir la jeunesse vietnamienne d’aujourd’hui dynamique, confiante et bien intégrée au monde. Cela me rend encore plus confiant quant à l’avenir radieux de notre peuple. Ces émotions continuent de m’inspirer, où que je sois, à vouloir apporter ma modeste contribution à la Patrie vietnamienne.