Dans un contexte musical dominé par le numérique, les effets scéniques et les tendances internationales influençant de plus en plus les goûts du public, certains jeunes artistes vietnamiens font le choix conscient de revenir aux racines traditionnelles comme source d’inspiration vibrante, pour dialoguer, innover et avancer.
Quand la tradition devient matière
Depuis plus de douze ans, le groupe d'artistes Dan Do développe sans relâche un nouveau système d'instruments de musique fabriqués à partir de céramique et de bambou, associé à des éléments de musique expérimentale, de performance et d'art contemporain. À partir de matériaux rustiques, ils ont créé un langage sonore unique.
« Nous avons choisi le bambou et l'argile, car ce sont des matériaux étroitement liés à la vie et à la culture de nombreuses communautés en Asie du Sud-Est. L'exploitation de ces matériaux traditionnels nous offre une grande richesse d’inspiration, tout en ouvrant des perspectives pour explorer la profondeur culturelle », a déclaré l'artiste Nguyen Duc Minh, responsable artistique et musical chez Dan Do.
Début 2025, Dan Do a lancé un projet d’art contemporain audacieux intitulé GOm Show, en prenant la céramique comme point de départ pour une nouvelle exploration sonore.
Contrairement aux spectacles classiques, GOm Show ne raconte pas d’histoire de manière descriptive, mais propose un monde musical sans paroles, où les émotions prennent forme à travers les sons des tambours en jarre, des luths en poterie, des cloches en grès, ou encore de la céramique tournante.
« La céramique, c’est la terre, l’eau et le feu. GOm Show n’est pas un récit, c’est un éveil. Elle résonne comme une mémoire du peuple vietnamien, une manière de raconter à travers le son, et non par les mots », souligne Nguyen Duc Minh.
Créer des instruments en céramique est un véritable défi : matériau fragile, son instable, jamais identique. Mais c’est justement cette imprévisibilité qui donne à chaque représentation son caractère unique.
Dans GOm Show, chaque artiste explore librement les vibrations, les résonances et les graves pour trouver le mode d'expression le plus adapté.
« Nous ne composons pas de musique pour les artistes. Nous construisons un espace expérimental où chacun découvre sa propre voix artistique. Chaque spectacle est un processus de création, jamais une reproduction », affirme Dinh Anh Tuan, cofondateur du groupe Dan Do.
L’originalité de GOm Show réside aussi dans son mode de production collectif, réunissant plusieurs générations d’artistes, des fondateurs aux jeunes talents.

Quynh Mai, l’une des jeunes artistes du groupe, avoue que les instruments en céramique lui étaient totalement étrangers au départ, tout comme la méthode de travail. Mais la sincérité et la passion de ses aînés lui ont donné la conviction d’être sur la bonne voie.
Elle ne cache pas les difficultés lors des répétitions : la céramique est très fragile et exige précision et persévérance. Chaque séance est autant un entraînement technique qu’un voyage créatif et introspectif.
« On n’apprend pas simplement pour jouer. Chacun doit trouver sa propre voix dans le son de la céramique. C’est parfois stressant, mais tellement stimulant », confie Quynh Mai.
GOm Show ne se limite pas à un projet musical, en effet, c’est aussi un modèle créatif communautaire.
Nguyen Phuong Lai, directrice de production du groupe, explique : « Nous avons sélectionné des dizaines de candidats venus de différentes villes et provinces, certains avec une formation musicale, d’autres simplement portés par la passion. Après plusieurs phases d’essai, le groupe compte désormais dix membres, chacun assumant un rôle spécifique dans cette structure collective ».
Le spectacle sera présenté au public à l’Opéra de Hanoi les 28 et 29 juin. Ensuite, le groupe prévoit des représentations régulières dans un espace artistique du centre-ville de Hanoi, à destination tant du public vietnamien qu’international.
En parallèle, Dan Do prépare un nouveau projet utilisant le bois comme matériau, associé à des scénographies en mouvement, des performances corporelles et des jeux de lumière, poursuivant son exploration des valeurs traditionnelles sous un angle contemporain.
Un « héritage » à préserver et à transmettre
Autre figure emblématique de l'aventure créative issue de la culture traditionnelle : l’artiste Ly Mi Cuong. Né à Lung Phin, district de Dong Van, dans la province de Ha Giang (au Nord), Cuong a grandi au son du khen, de la flûte et des chants folkloriques des H’Mong.
À 15 ans, il est parti seul à Hanoi pour étudier la musique et a réussi l'examen d'entrée à l'Académie nationale de musique. C'est ainsi qu'il a commencé son parcours pour faire connaître la musique ethnique sur les grandes scènes.
« Je ne veux pas que la musique ethnique reste confinée aux musées ou aux festivals. Je veux qu’elle soit présente sur les scènes modernes, pour que les jeunes la perçoivent comme quelque chose de proche et de précieux », affirme-t-il.

Dans le projet Thanh Canh 2023, Ly Mi Cuong a collaboré avec l’artiste Bao Trung (spécialiste du beatbox) et le directeur musical Nguyen Quoc Hoang Anh, créant un espace scénique multimédia où les sons du khen des H’Mong se mêlent aux rythmes vocaux modernes.
« Quand Cuong joue du khen, je crée le fond sonore avec ma voix. On a l'impression d'un dialogue, sans paroles, où le son devient langage », confie Bao Trung.
Au-delà de la scène, Cuong s’engage activement auprès des jeunes des régions montagneuses. Il organise régulièrement des rencontres et ateliers à Ha Giang pour sensibiliser les jeunes aux instruments traditionnels et les encourager à être fiers de leur identité culturelle.
Il est aussi le fondateur de H’Mong Culture, une communauté d’étudiants appartenant à l’ethnie H’Mong à Hanoi, œuvrant à la préservation des traditions par la musique, les performances et les pratiques culturelles.
Son projet personnel actuel « Not Si » est une initiative d’éducation artistique dédiée aux enfants des H’Mong.
Mi Cuong collabore avec les responsables culturels locaux pour organiser des cours, produire des supports pédagogiques et aider les enfants à se familiariser avec les instruments de musique traditionnels.
De nombreux enfants savent jouer de la flûte et de la guimbarde, témoignant d'un amour naturel pour la musique traditionnelle.
« Dans le contexte de la mondialisation, il est admirable qu'un jeune H’Mong se préoccupe encore de son héritage culturel ethnique. Cuong est non seulement talentueux, mais aussi profondément attaché à sa terre natale », a commenté l'artiste Nguyen Quoc Hoang Anh.
La tradition n'est pas seulement une mémoire à préserver, mais aussi une ressource vivante que les jeunes peuvent explorer et diffuser.
À travers des projets mêlant héritage et modernité, une nouvelle génération d’artistes contribue à faire revivre le patrimoine par des approches créatives, profondément personnelles.