80e Fête nationale : le football au Vietnam - un parcours d’introduction et une mission politique liée à l’indépendance

Le football fit son apparition au Vietnam à la fin du XIXᵉ siècle, dans les bagages des colons français. À ses débuts, il n’était qu’un divertissement réservé aux militaires et aux fonctionnaires de l’administration coloniale.

Image de l’équipe de football de Hai Phong lors d’un match amical avec les marins du navire de guerre français Dumont d’Urville. (Photo d’archives)
Image de l’équipe de football de Hai Phong lors d’un match amical avec les marins du navire de guerre français Dumont d’Urville. (Photo d’archives)

Mais le charme du ballon rond gagna rapidement les milieux de fonctionnaires, d’ouvriers, puis attira de plus en plus de jeunes vietnamiens. D’un simple jeu importé, il devint bientôt un loisir populaire, profondément enraciné dans la société et porteur des échos d’une époque en pleine mutation.

En 1905, un match disputé à Saigon entre l’équipage du cuirassé britannique King Alfred et une formation composée de joueurs franco-vietnamiens entra dans l’histoire comme la première rencontre internationale sur le sol vietnamien. L’année suivante, E. Breton, commissaire de l’Union des Sociétés françaises des Sports athlétiques, introduisit officiellement les règles du football en Cochinchine et réorganisa le Cercle sportif Saigonnais selon le modèle des clubs européens. Dès lors, la pratique se diffusa vers le Centre et le Nord du pays, donnant naissance à de solides équipes, comme l’Olympique de Haiphong, le Légionnaire de Đáp Cầu ou encore le Stade hanoïen. Ce qui n’était qu’un passe-temps de colon devint rapidement un mouvement populaire, vecteur de cohésion et de conscience nationale.

L’équipe de football du Cercle Sportif Saigonnais. (Photo d’archives)
L’équipe de football du Cercle Sportif Saigonnais. (Photo d’archives)

Dans les années 1920 et 1930, le football ouvrier se développa vigoureusement. De nombreuses équipes virent le jour dans les usines et manufactures : Ouvriers de Haiphong, Cheminots, Électriciens de Hanoï, Tisserands de Nam Dinh… Officiellement, elles avaient pour objectif la santé et le loisir, parfois des rencontres amicales avec des équipes françaises. Mais, en réalité, ces rassemblements servaient aussi de couvertures aux activités clandestines des militants révolutionnaires. Le ballon rond devint ainsi un moyen de rapprocher les masses et d’alimenter l’élan pour l’indépendance nationale.

Après le 2 septembre 1945, jour où le Président Ho Chi Minh proclama l’Indépendance sur la place Ba Dinh, la jeune République dut affronter en même temps la famine, l’analphabétisme, l’ennemi extérieur et les forces réactionnaires intérieures.

Lorsque la situation se détériora à l’automne 1946, malgré les accords temporaires du 14 septembre, les relations franco-vietnamiennes se tendirent au bord de la rupture. Dans ce climat lourd, le football fut soudain investi d’une mission inattendue : servir de canal diplomatique. Ho Chi Minh surprit tout le monde en annonçant l’organisation à Haiphong d’un match amical entre une équipe vietnamienne et les marins du croiseur français Dumont D’Urville.

Image du navire de guerre français Dumont D'Urville. (Photo d'archive)
Image du navire de guerre français Dumont D'Urville. (Photo d'archive)

Au-delà du sport, l’enjeu était de manifester la bonne volonté du peuple vietnamien, d’apaiser les tensions et de maintenir un minimum de dialogue avant que la guerre n’éclate.

La charge de constituer l’équipe revint à l’ancien joueur Nguyen Lan. En une seule nuit, à bicyclette, il rassembla à la hâte un effectif disparate, composé de figures connues et de noms presque anonymes.

Le 21 octobre 1946, le stade de la gare de Haiphong déborda de spectateurs. Les drapeaux rouges à étoile d’or flottaient, accompagnés de banderoles proclamant « Soutenir la Révolution ». Sur le terrain, les marins français imposaient leur carrure et leurs uniformes impeccables, tandis que les Vietnamiens, plus petits, mais habiles, entraient vêtus du maillot jaune traditionnel.

Dès le coup d’envoi, la tension était palpable. À la surprise générale, Haiphong ouvrit le score en première mi-temps, déclenchant une clameur immense. Mais, à la pause, les organisateurs décidèrent de laisser les Français égaliser afin de ne pas raviver l’hostilité. Le match s’acheva sur le score de 1–1, un résultat jugé idéal, à la fois honorable et prudent. Surtout, les craintes de troubles, d’attentats ou de violences fomentées par des éléments hostiles ne se réalisèrent pas. Au contraire, la rencontre se déroula dans une atmosphère tendue, mais pacifique, vécue comme une victoire sécuritaire et diplomatique.

Cet épisode, apparemment anodin, eut une portée considérable. En quatre-vingt-dix minutes, le football contribua à désamorcer les tensions, à montrer au monde la volonté pacifique du Vietnam et à préserver la dignité nationale. Le ballon rond se transforma en instrument de « diplomatie douce », maintenant un fil de communication fragile avec la France, et offrant à la jeune République une respiration politique dans la tourmente.

Depuis ses premiers pas en Indochine jusqu’aux jours qui suivirent l’indépendance, le football vietnamien a toujours dépassé le simple cadre du sport. Il a incarné un espace d’expression collective, un symbole d’unité et un vecteur d’émancipation.

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Image de l’équipe de football de Hai Phong lors d’un match amical avec les marins du navire de guerre français Dumont d’Urville. (Photo d’archives)

Le match de 1946 à Haiphong ne fut pas seulement une parenthèse sportive : il s’imposa comme une page de l’histoire nationale, démontrant que le sport pouvait marcher aux côtés de la politique dans l’œuvre de sauvegarde de la patrie. L’image de ces joueurs, modestes, mais intrépides, courant sur la pelouse tout en veillant à préserver la paix, reste gravée dans la mémoire.

Elle rappelle que le football, de distraction coloniale qu’il fut, s’est mué en véritable « sport roi », intimement lié au destin politique et social du Vietnam.

NDEL

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