
Sur la plage encore humide, quelques colonnes de fumée s’élèvent, embaumant l’air du parfum sucré des patates douces et du manioc grillés, qui se mêle à la senteur salée des crevettes et des poissons fraîchement sortis de mer. Une atmosphère à la fois rustique et singulière, qui ne se retrouve nulle part ailleurs que dans les villages de pêcheurs du littoral vietnamien.

Depuis plus de trois siècles, le village de Phuoc Hai vit au rythme des marées. Ici, la pêche est bien plus qu’un métier : c’est une tradition, transmise de génération en génération. Près de 80 % des habitants vivent de la mer et de la transformation des produits de la pêche.

Sous la lumière de la lune, la plage se couvre de silhouettes ployant sous le poids des paniers de crevettes et de poissons. Les bruits des pas dans le sable se mêlent au ressac et aux claquements des tôles des embarcations, formant une rythmique sourde, presque militaire.

À minuit, le marché aux poissons s’anime. Il bat son plein jusqu’à l’aube, dans une cacophonie joyeuse de voix, de rires, de marchandages, mêlée au fracas des vagues. Les lampes torches scintillent sur la plage tandis que, plus loin, les bateaux alignés brillent comme des constellations à la surface de l’eau.

Phuoc Hai n’est pas seulement un lieu de production halieutique ; c’est aussi un témoignage vivant du patrimoine culturel vietnamien. Dans les ruelles, à la lumière du matin, les femmes raccommodent leurs filets avec une dextérité silencieuse, leurs doigts burinés courant sur les mailles comme des pinceaux patientant sur la toile du temps.

Au fil des ans, la modernisation a transformé le village : plus de 500 bateaux équipés de technologies de navigation permettent désormais des campagnes de pêche hauturière, portant les captures annuelles entre 35 000 et 40 000 tonnes, dont près de 40 % destinées à l’exportation. Mais l’esprit du lieu demeure inchangé : rude, simple, profondément attaché à la mer.

Aujourd’hui, Phuoc Hai attire autant les pêcheurs que les visiteurs. Chaque week-end, familles et groupes d’amis affluent de toute la région pour savourer l’ambiance unique du marché de nuit, puis déguster, au petit matin, un festin de fruits de mer grillés ou bouillis, servis sur de simples tables de plastique.

Les voyageurs s’émerveillent de choisir eux-mêmes crabes, crevettes et poissons frétillants dans des bassins encore argentés d’écailles, avant de les voir cuisinés à la minute. L’authenticité séduit : ici, pas de mise en scène, seulement la fraîcheur des produits et l’hospitalité spontanée des habitants.

« C’est la mer elle-même que l’on goûte », raconte Bich Thuy, touriste venue de Cu Chi, tandis que Minh Khoi s’enthousiasme : « On repart non seulement avec un panier de poissons, mais également avec un peu de l’âme de ce village. »

Après la pandémie, Phuoc Hai a retrouvé son souffle. La pêche, le tourisme et l’artisanat se complètent désormais, offrant une dynamique nouvelle aux habitants. Entre filets réparés sur le pas des maisons, cris d’enfants sur la plage et effluves marins, le village semble renaître, tout en gardant son authenticité.

Demain, le défi sera de conjuguer préservation des traditions et développement durable. Mais déjà, Phuoc Hai s’affirme comme une étape incontournable sur la carte touristique du Vietnam, un lieu où la mer ne nourrit pas seulement les corps, mais aussi l’esprit de ceux qui viennent s’y ressourcer.

