Chaque ghe Ngo, qui représente tout un village et sa pagode, est orné de motifs colorés et saisissants, avec une paire d’yeux finement décorés et une figure de proue soigneusement sculptée.
Les ghe Ngo appartiennent à la communauté et occupent une place particulière au sein des pagodes khmères, lieux de culte et de respect.
Dans la vie spirituelle des Khmers, ces embarcations jouent un rôle essentiel. Les figures de proue représentant la force des équipes sont donc traitées avec un grand respect. Elles sont considérées comme des objets sacrés et utilisées uniquement lors des courses traditionnelles, où leur mise à l’eau fait l’objet d’un rite complet.
Les Khmers considèrent que toute chose possède une âme, et le ghe Ngo n’échappe pas à cette croyance. Son âme se manifeste par une figure de proue, qui diffère d’une pirogue à une autre.
Il existe cependant quelques motifs récurrents, tels que le Sath Krud (oiseau mythique), le Neang Machha (sirène), le dragon, l’éléphant, le tigre ou le cheval. Ces figures ne sont pas seulement décoratives, elles incarnent des valeurs spirituelles et des croyances propres à chaque pagode.
«Dans la culture khmère, pour choisir la figure de proue d’un ghe Ngo, on se base sur le nom du village ou de la pagode, généralement en khmer. La consonne finale du nom détermine l’animal: co-ngô correspond au tigre, cho-nhô au lion, do-no au chien, to-nô au dragon, bo-mô à la souris, dô-vô à l’éléphant, so-lo au cerf, et o à l’oiseau Krud. Toutefois, si l’animal choisi selon cette règle est considéré comme faible, comme le chien, la souris ou le cerf, il peut être remplacé par un animal plus puissant», explique Châu On, un maître artisan khmer.

Ces figures de proue sculptées par les artisans khmers créent une atmosphère mystérieuse et fascinante. Son Sa The, habitante de la ville de Soc Trang, en est une spécialiste.
«Normalement, je peins des statues de Bouddha ou décore pour d’autres occasions, mais pendant le festival Oc Om Boc, je décore aussi les ghe Ngo. Insuffler l’âme à un ghe Ngo me procure beaucoup de joie. Par exemple, si l’embarcation est comme un dragon, je dessine les motifs comme ses écailles… Une fois sur l’eau, cela devient très impressionnant», nous dit-elle avec fierté.
Pour la pagode et les villageois, la figure de proue représente les couleurs de l’équipe et sert de signe distinctif pendant la course, comme l’indique Kim Thành Quân, chef du comité d’administration de la pagode Prek Ta Cuol, à Cân Tho.
«La figure de proue de notre ghe Ngo est un phénix, qui est d’ailleurs la marque de toutes nos embarcations cérémonielles. Selon la croyance khmère, le phénix symbolise le pouvoir», explique-t-il.
Ainsi, le ghe Ngo et sa figure de proue dépassent le cadre de la course pour devenir le reflet d’une identité partagée. Chaque pirogue incarne à la fois l’esthétique, la croyance et l’histoire de la communauté qui la fait vivre.
Sur les eaux du delta du Mékong, ce patrimoine immatériel continue de fédérer les Khmers autour de leur mémoire et de leur avenir.