Au cœur des forêts de pins situées dans la zone frontalière de la province de Lang Son, dans le nord-est du Vietnam, les membres de l’équipe du projet parcourent chaque semaine de longues distances en forêt et franchissent des cours d’eau afin d’atteindre les sites d’installation des pièges entomologiques.
Ils y collectent de minuscules spécimens d’insectes nuisibles, discrets, mais bien présents dans l’écosystème forestier.
Ces spécimens constituent des indicateurs clés permettant de préserver, de manière précoce et à distance, la santé des écosystèmes forestiers.
Détecter tôt les insectes exotiques pour protéger les forêts et leurs écosystèmes
Selon les estimations scientifiques, à l'échelle mondiale, les ravageurs forestiers causent chaque année des dommages sur environ 35 millions d’hectares de forêts, représentant ainsi un défi majeur pour la gestion et la protection des ressources forestières.
Le projet régional intitulé « Construction d’un réseau de biosécurité et de santé forestière en Asie du Sud-Est », soutenu par le Centre australien de recherche agricole internationale (ACIAR), vise à renforcer les capacités de surveillance, de détection précoce et de réponse face aux ravageurs forestiers.
Lancé en 2022, le projet est mis en œuvre dans six pays d’Asie du Sud-Est : le Vietnam, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie.
Le projet repose sur la mise en réseau des autorités de gestion, des institutions de recherche et du secteur privé de la région.
L’un des volets clés du projet est le programme de « Pièges de surveillance dans les zones à haut risque (HRSS) », destiné à détecter précocement les insectes susceptibles d’envahir les territoires via des points d’entrée stratégiques, tels que les aéroports, les ports maritimes et les zones frontalières.
Au Vietnam, le Centre de recherche sur la protection des forêts (FPRC) relevant de l’Institut vietnamien des sciences forestières est le principal organisme de mise en œuvre du projet.
Selon le directeur du FPRC, docteur Dao Ngoc Quang, l'équipe de recherche a sélectionné trois zones à risque d'invasion d'espèces exotiques pour y installer des pièges : une zone logistique à l'aéroport de Noi Bai (à Hanoi), une vaste zone de stockage de bois près du port de Dinh Vu (à Hai Phong), et une forêt frontalière à Na Hinh (province de Lang Son).
En trois ans, le projet a permis de collecter environ 3 000 échantillons d'insectes, classés en une cinquantaine de groupes morphologiques, et d'identifier une quarantaine d'espèces, dont certaines potentiellement nouvelles.
Bien que le piégeage n'ait été mis en œuvre que l'an dernier dans la zone forestière frontalière de Lang Son, le nombre de spécimens collectés sur ce site représente déjà près de la moitié du total des trois sites de surveillance, ce qui indique qu'il s'agit d'un point névralgique pour le risque d'espèces exotiques envahissantes.
Évoquant les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre du projet, Nguyen Hoai Thu, membre de l’équipe, indique que la principale difficulté réside dans les conditions d’accès aux sites.
Les sites de piégeage se situent dans des zones reculées, nécessitant des ascensions abruptes et des déplacements difficiles. La présence de guides, gardes forestiers ou habitants locaux connaissant bien le terrain, est donc indispensable.
Selon elle, le personnel du projet n’étant pas présent en permanence sur le terrain, la gestion des points de piégeage requiert des soutiens pour assurer le suivi.
En l’absence d’une coordination étroite, les pièges peuvent être déplacés, perturbés par les passages humains, voire retirés avant les périodes prévues de contrôle, ce qui compromet la continuité du suivi scientifique.
Outre les contraintes géographiques, la classification des échantillons est également très chronophage en raison du grand nombre d’espèces et de leurs similitudes morphologiques, ce qui impose une observation minutieuse des moindres détails et une comparaison rigoureuse pour les identifier avec précision.
À Lang Son, les pièges de surveillance sont installés dans des forêts de pins plantées, notamment dans la zone du poste de garde-frontière de Na Hinh et dans la forêt appartenant à des ménages du village de Ban Anh, commune de Thuy Hung.
Depuis avril 2024, les pièges sont inspectés et les échantillons sont collectés une fois par semaine.
Surveillance high-tech pour protéger les forêts frontalières
Selon le docteur Dao Ngoc Quang, la recherche et la détection précoce, des ravageurs, en particulier des espèces exotiques envahissantes, revêtent une importance cruciale pour la protection des forêts.
Le résultat final du projet consiste à établir un inventaire des espèces d’insectes collectées, à identifier celles qui sont exotiques ou susceptibles de devenir envahissantes, et à fournir ainsi une base scientifique solide pour formuler des recommandations de gestion.
Toutefois, une évaluation complète de leur niveau de nuisance nécessite des recherches supplémentaires sur leur biologie, leur capacité d’adaptation et leurs impacts à long terme.
Selon lui, des études internationales démontrent qu'investir dans des mesures préventives et la surveillance précoce des ravageurs forestiers présente une rentabilité très élevée, avec un ratio bénéfice-coût pouvant atteindre 30 pour 1.
À l’inverse, une fois qu’une espèce exotique devient invasive, les coûts de traitement sont considérables et s’inscrivent dans la durée.
Au Vietnam, le coût annuel de la surveillance dans le cadre du projet s’élève actuellement à environ 80 000 dollars australiens pour l’ensemble des trois sites, un montant bien inférieur au coût des mesures d'atténuation des conséquences d’une infestation majeure.
À l’heure actuelle, les sites de surveillance se concentrent principalement dans certaines régions du Nord, alors que le Vietnam dispose de longues frontières terrestres, d’un littoral étendu et de nombreux ports maritimes répartis sur l’ensemble du territoire.
L’élargissement du réseau de surveillance et sa mise à jour annuelle permettraient de réduire les risques, de protéger la santé des forêts et d’assurer des moyens de subsistance durables.
Évaluant les résultats du projet, l’ambassadrice d’Australie au Vietnam, Gillian Bird, a rappelé que, depuis 32 ans, l’Australie, par l’intermédiaire de l’ACIAR, a investi dans la recherche agricole afin de soutenir le développement économique du Vietnam, avec plus de 260 projets de recherche menés en partenariat avec des institutions vietnamiennes.
Le projet de biosécurité forestière aide les chercheurs vietnamiens à constituer les preuves scientifiques nécessaires pour protéger la valeur économique et la santé des forêts plantées face aux menaces posées par les espèces exotiques envahissantes.
« Il est formidable de constater que ce projet contribue au développement d'un réseau de collaboration en biosécurité forestière dans la région, où les scientifiques vietnamiens partagent leurs résultats de recherche et soutiennent le renforcement des capacités de leurs collègues du Cambodge, du Laos, de Thaïlande, de Malaisie et d'Indonésie », a souligné l'ambassadrice Gillian Bird.