Le delta du Mékong, au Sud du Vietnam, cœur de la production aquacole vietnamienne — 95 % du pangasius et 70 % de la crevette du pays — fait face à de multiples défis liés au changement climatique : intrusion saline, érosion côtière et fluviale, raréfaction de la ressource en eau. Ces pressions environnementales entraînent une hausse des coûts de production, une baisse de la productivité et menacent directement les moyens de subsistance de millions d’habitants.
Dans ce contexte, l’aquaculture verte et circulaire apparaît comme une orientation incontournable pour répondre aux normes environnementales imposées par les marchés d’exportation.
L’industrie se met au vert sous la pression des marchés
Selon l’Association vietnamienne des producteurs et exportateurs de produits de la mer (VASEP), de plus en plus d’entreprises s’orientent vers des modèles de production circulaire, à faibles émissions, afin de se conformer aux réglementations internationales. L’objectif : réduire l’empreinte carbone, limiter l’usage de produits chimiques et renforcer la traçabilité.

Chez Minh Phu, leader de la crevette, l’accent est mis sur la prévention sanitaire grâce aux probiotiques et à l’amélioration de l’immunité des animaux. L’entreprise expérimente des modèles d’élevage en dessous de la capacité de charge des écosystèmes et recourt à des bactéries, algues et protéines hydrolysées pour créer un milieu équilibré, réduisant ainsi l’utilisation d’antibiotiques.
« Nous intégrons des enzymes et des micro-organismes dans l’alimentation, ce qui améliore l’absorption et réduit les rejets polluants », explique Le Quang Huy, docteur en aquaculture au sein du groupe. Les déjections collectées sont transformées en biofertilisants. Minh Phu mise sur une chaîne complète d’économie circulaire où chaque maillon contribue à la durabilité.
Des modèles intégrés et certifiés

D’autres initiatives émergent, comme le modèle crevettes-riz, combinant aquaculture et agriculture, considérée comme particulièrement adaptée aux conditions locales. Selon Ngo Tien Chuong, expert aquacole au sein de la coopération allemande (GIZ), ce système attire l’intérêt des entreprises et autorités. « Nous avons déjà certifié 696 hectares selon le standard BAP (Best Aquaculture Practices) dans la province, et visons désormais la certification bio », souligne-t-il.
Les Émirats, l’Union européenne, les États-Unis ou encore le Japon exigent désormais des standards rigoureux (ASC, BAP, GlobalGAP, labels écologiques). Ces certifications conditionnent l’accès aux marchés et renforcent l’image de responsabilité environnementale des exportateurs vietnamiens.
Des contraintes structurelles persistantes

L’aquaculture vietnamienne reste confrontée à de lourds défis : fragmentation de la production, infrastructures insuffisantes, coûts élevés, concurrence accrue de l’Inde et de l’Équateur, sans oublier les risques sanitaires et les barrières commerciales.
Pour Mme Le Hang, vice-secrétaire générale de la VASEP, la durabilité passe par la digitalisation et la traçabilité (technologies 4.0), l’usage accru de bio-produits, la valorisation des sous-produits (qui représentent 50 % de la valeur de la crevette) et la généralisation des modèles écologiques (crevette-riz, crevette-forêt). « L’économie circulaire doit devenir le socle du secteur », insiste-t-elle.
Une transformation incontournable
Avec plus de 750 000 hectares d’élevages de crevettes et une production annuelle de 1,3 million de tonnes, le Vietnam se trouve à un tournant. La « révolution verte » du secteur, selon le vice-ministre de l’Agriculture Phung Duc Tien, passe par une triple transition : économie circulaire, réduction des émissions et transformation numérique.
« La technologie décidera du positionnement du Vietnam sur le marché mondial », souligne-t-il, citant les progrès attendus dans la sélection génétique, l’alimentation, la biosécurité et la traçabilité.
Au-delà de la compétitivité économique, il s’agit pour le pays d’assumer sa responsabilité environnementale. L’aquaculture durable est appelée à jouer un rôle clé dans l’atteinte de l’objectif national de neutralité carbone à l’horizon 2050.