Les masques khmers, un patrimoine vivant au cœur du quotidien

Chez les Khmers du Sud, le métier de fabrication artisanale de chapeaux et de masques est un art ancien qui unit la beauté du geste, la foi et la mémoire collective. Chaque pièce, façonnée à la main, porte en elle l’âme d’un peuple, son imaginaire et sa quête d’harmonie entre le bien et le mal.

Les masques khmers, un patrimoine vivant au cœur du quotidien

Né il y a plus de deux siècles, ce métier traditionnel accompagne toutes les formes d’expression artistique du peuple khmer: la danse populaire, la danse rituelle, le théâtre Robam ou encore le drame chanté Dù kê.

Derrière chaque chapeau, chaque masque, se cache un univers de symboles. Les couleurs, les motifs et les traits de décoration incarnent des personnages précis, racontent des légendes et transmettent une philosophie, celle du triomphe du bien sur le mal, de la lumière sur l’obscurité.

Façonner un masque ou un chapeau relève d’un véritable travail d’artiste. Entièrement réalisés à la main, ces objets exigent patience, minutie et imagination. Du modelage du moule au séchage, du ponçage à la peinture, de la pose des motifs au sertissage de paillettes, de perles ou d’élytres de scarabées, chaque étape témoigne d’une dextérité rare et d’un profond respect pour la tradition.

Giông Luc, un hameau de la commune de Châu Thành, dans la province de Vinh Long, passe pour être le berceau du théâtre Robam. Ses habitants ont longtemps fait vivre cet art sacré. À plus de soixante-dix ans, l’artisan émérite Thach Sang, en est l’une des figures emblématiques. Malgré l’âge, il continue de danser, de créer et de fabriquer des masques utilisés par les troupes locales et régionales.

«Autrefois, après les récoltes, surtout avant la fête du Chol Chnam Thmay, les amateurs de théâtre Robam se réunissaient sur les places pour jouer et divertir les villageois. C’est ici, à Giông Luc, que cette scène populaire était la plus vibrante», raconte-t-il avec fierté.

Thach Sang confectionnent des masques traditionnelles. Photo: VOV
Thach Sang confectionnent des masques traditionnelles. Photo: VOV

Pour Thach Sang, chaque battement de tambour, chaque masque coloré évoque le souvenir d’un âge d’or où les spectacles illuminaient les nuits du delta.

Autre grand maître, Lâm Phen, de la commune de Song Lôc, pratique cet art depuis plus de trente ans. Pour lui, la difficulté réside dans la restitution de l’âme du personnage.

«Chaque masque doit exprimer un caractère unique. Il doit dégager puissance, ruse ou bienveillance. C’est le seul moyen de captiver le public», affirme-t-il.

En 2002, Lâm Phen a ouvert un petit atelier pour présenter ses créations aux visiteurs et initier les jeunes à cet art exigeant. Pour lui, cette transmission est autant un devoir de fierté qu’un moyen de subsistance.

Dans la vie contemporaine, les masques et chapeaux khmers ne se limitent plus à la scène, ils ornent les temples, les festivals, les expositions, et sont devenus des objets d’art recherchés, symboles d’une culture vivante.

Le docteur Son Cao Thang, spécialiste de la culture khmère. Photo : VOV
Le docteur Son Cao Thang, spécialiste de la culture khmère. Photo : VOV

Le docteur Son Cao Thang, vice-doyen de la faculté de Langue, culture et arts khmers du Sud à l’Université de Trà Vinh, fait partie de cette jeune génération passionnée.

«La fabrication d’un masque requiert une très grande précision. Cette minutie reflète non seulement la qualité esthétique de l’œuvre, mais aussi la dévotion de l’artisan. Créer un masque, c’est créer une âme», affirme-t-il.

Les festivals khmers sont toujours hauts en couleur. Photo : VOV
Les festivals khmers sont toujours hauts en couleur. Photo : VOV

Le 27 juin 2025, le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme a officiellement inscrit le métier de fabrication des chapeaux et masques khmers de Vinh Long sur la liste du Patrimoine culturel immatériel national.

Mais derrière cette reconnaissance, la préservation du métier demeure un défi: les artisans expérimentés se raréfient, et la transmission, encore majoritairement familiale, peine à s’ouvrir, comme nous l’explique Lâm Huu Phuc, directeur adjoint du Département de la Culture, des Sports et du Tourisme de Vinh Long.

«La plupart des techniques, qui sont d’ailleurs sophistiquées, se transmettent de père en fils, ce qui rend la conservation d’autant plus difficile. Nous organisons régulièrement des ateliers de formation pour encourager les jeunes à apprendre et à perpétuer ce métier, essentiel à la vie culturelle khmère», nous dit-il.

Malgré les aléas du temps, cet art n’a jamais disparu. Perpétué de génération en génération, il demeure un héritage vivant, indissociable des traditions artistiques et spirituelles des Khmers du Sud.

Dans chaque atelier, au détour d’un temple ou d’une fête, les masques et chapeaux continuent de briller, porteurs d’un souffle ancien qui relie le passé au présent, un patrimoine vivant au cœur du quotidien.

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