Chaque goutte dorée, riche en goût et en parfum iode, naît du mariage subtil de poissons frais, de sel blanc et d’un savoir-faire jalousement préservé.
Plus qu’un simple produit, la sauce de poisson de Sa Chau incarne l’essence même de la mer et de la terre et est appréciée dans tout le pays.
À Sa Chau, la fabrication de la sauce de poisson est une tradition ancienne, profondément ancrée dans la vie des habitants.
Depuis des générations, ceux-ci préservent un savoir-faire artisanal, en suivant un processus minutieux et rigoureux, et sans recourir à aucune machine.
C’est ce savoir-faire qui confère à la sauce de poisson de Sa Chau sa qualité exceptionnelle et sa renommée unique.
Vu Duy Tinh fait partie des artisans-sauciers qui perpétuent cette tradition depuis 50 ans…
“La fabrication de la sauce de poisson est une tradition dans ma famille depuis plus de 200 ans. Mon épouse exerce également ce métier. Depuis notre mariage en 1978, nous perpétuons ensemble ce métier familial, transmettant goût et authenticité de génération en génération”, nous dit-il.
La qualité de la sauce de poisson de Sa Châu repose sur des poissons typiques de la côte de Giao Hung.
Ils sont soigneusement choisis : ni réfrigérés, ni écrasés, et seulement récoltés quand ils sont les plus gras, c’est à dire en hiver et au printemps.
On évite les poissons trop jeunes, jugés pauvres en nutriments, ainsi que les plus âgés dont les viscères volumineux risqueraient de donner à la sauce une amertume indésirable.
Pour le transport, les poissons sont mis dans des paniers en bambou, jamais dans des conteneurs en plastique, afin de préserver leur fraîcheur et leur goût, comme nous l’explique Vu Van Hai, un autre artisan-saucier du village.
“La sauce de poisson de Sa Châu se prépare à partir de crevettes et de poissons, soigneusement salés. Pour 10 kilos de poisson, on utilise environ 1,3 kilos de sel, et pour 10 kilos de crevettes, entre 1,7 et 1,8 kilos de sel. La quantité de sel varie selon la saison: quand l’eau est abondante et que les crevettes sont charnues, on en met moins. Le mélange doit être remué avec soin et uniformité. La fermentation dure au moins un an. Plus elle est longue, plus la sauce devient savoureuse et parfumée. Quand le liquide atteint le bon niveau de salinité et remonte à la surface, c’est le signe que la sauce est prête. Par temps très ensoleillé, comme en juin, le séchage au soleil prend 2 à 3 jours. Si le soleil est plus doux, il faut prolonger le séchage pour obtenir une meilleure qualité”, détaille-t-il.

Outre le poisson frais, le sel est un élément clé pour obtenir une sauce de poisson de qualité. À Sa Châu, on utilise uniquement le sel du village de Bach Long, qui est réputé pour sa salinité parfaite et sa richesse en oligo-éléments. Le meilleur moment pour acheter ce sel se situe entre fin avril et fin mai.
On a alors de gros grains blancs et brillants, bien séparés, qui sont entreposés pendant au moins un an afin d’en adoucir l’amertume et de garantir une sauce de poisson douce en fin de bouche et parfumée, comme nous l’indique Nguyên Van Ba, artisan du village.
“La proportion de sel utilisée pour préparer la sauce de poisson varie selon la saison. En mai et juin, le sel représente environ 16% du poids total des crevettes, des poissons et du sel destinés à la fermentation. À partir d’octobre, cette proportion doit être portée à 18%. En début d’année, les crevettes sont encore petites et leur chair peu abondante, donc moins de sel suffit. À la fin de la saison, quand les crevettes sont plus charnues, il faut augmenter la quantité de sel pour garantir la qualité et la saveur de la sauce”, nous explique-t-il.
Après avoir été salé selon un dosage précis, le poisson est laissé à fermenter naturellement pendant six mois, puis placé dans des paniers en bambou recouverts de mousseline pour en extraire la sauce pure.
Contrairement à ce qui est fait dans d’autres régions, cette sauce n’est jamais chauffée et reste exposée au soleil pendant six mois supplémentaires.
Le liquide est versé dans de larges bassines en terre cuite, d’environ 20 cm de profondeur, disposées dans les cours des maisons des artisans.
Le séchage se fait jour et nuit, pour concentrer le goût et la douceur naturelle de la sauce. Très sensible à la pluie, la sauce doit être protégée à tout moment.
Dès qu’il commence à pleuvoir, même en pleine nuit, les artisans se précipitent pour couvrir les bassines et préserver ce précieux trésor culinaire.
La saison idéale pour la fabrication de la sauce de poisson s’étend d’avril à octobre, lorsque le soleil brille intensément et que la chaleur est suffisante pour concentrer le liquide.
Sous cette lumière, chaque récipient de sauce prend une couleur acajou, dégage un parfum envoûtant et capture l’essence du sel, du poisson et du soleil dans chaque goutte.
Vu Van Huy, lui, est de la troisième génération d’une lignée de sauciers.
“Pendant la fermentation dans les jarres, la sauce de poisson produit beaucoup de gaz, qu’il faut libérer en remuant. Une bonne sauce de poisson se reconnaît à trois critères: l’odeur, le goût et la couleur. L’odeur doit être typique de la sauce traditionnelle, le goût ne doit pas être amer ou trop salé, et laisse une douce note sucrée en bouche”, nous dit-il.
À son apogée, le village de Sa Chau comptait près de 400 foyers fabriquant de la sauce de poisson.
Aujourd’hui, il n’en reste qu’environ 30, dont 10 grandes exploitations produisant en moyenne 450 000 à 500 000 litres par an.
Véritable fierté des habitants locaux, chaque goutte de sauce de poisson reflète l’histoire d’un village côtier du Nord du Vietnam, qui s’attache patiemment à préserver ses saveurs traditionnelles.